La Première Piste
Samuel
Les jours se succédaient, dans une spirale qui m'échappait de plus en plus. Chaque matin, je me levais dans l’appartement d’Alexandre, me forçant à revêtir son masque, à marcher dans ses pas, à devenir celui que j'avais à peine connu. À la surface, je n'étais rien d'autre qu'un homme qui essayait de survivre à un monde de mensonges. Mais au fond de moi, un feu brûlait, une détermination sans faille. Je devais savoir. Je devais comprendre.
Ce matin-là, je me trouvai face à un dilemme. Clara était partie en course, et Lucas, son fils, était à l'école. C'était l'occasion rêvée pour fouiller un peu plus dans les affaires de mon frère, peut-être y trouver des indices qui m'échapperaient dans la vie quotidienne. Mon esprit tourbillonnait encore autour de la question qui m’obsédait : Qui avait tué Alexandre ? Et pourquoi ?
Je me dirigeai vers son bureau, un coin isolé de l’appartement où il passait des heures à travailler. Un bureau ordonné, presque clinique, mais je savais que dans ces papiers se cachait peut-être une vérité que j’étais prêt à découvrir. Je n’avais plus peur de ce que je pourrais trouver. Peu importe le prix, il fallait que je sache.
En fouillant dans ses tiroirs, je tombai sur un carnet de notes. Il semblait anodin au départ, mais quelque chose m’indiquait qu'il n'en était pas ainsi. Je l’ouvris avec précaution, en m’assurant que rien ne manquait, que personne ne pourrait soupçonner ce que j’étais en train de faire. Chaque page contenait des observations, des schémas, des noms. Alexandre avait l'air de mener une sorte d’enquête. Des mots revenaient fréquemment : "Rencontre à minuit", "Réseaux souterrains", "Liaison avec D.".
Je me figeai en lisant un nom qui me fit l'effet d'une claque : Damien Rousseau. Ce nom ne m'était pas inconnu. C’était un homme que j’avais vu une fois, brièvement, lors de notre rencontre. Un homme mystérieux, à l’allure dangereuse. Il avait semblé éviter tout contact direct, et mon frère semblait l’éviter également. Mais pourquoi ce nom revenait-il aussi souvent dans les écrits d'Alexandre ?
Je feuilletai rapidement les pages, chaque mot m’ouvrant de nouvelles portes. Alexandre avait effectivement eu des contacts avec Damien, et non seulement cela, mais il semblait y avoir une certaine tension dans ces échanges. Des termes comme menace et répercussions apparaissaient dans les notes. Mon frère savait quelque chose, et cela le mettait en danger. Je le sentais à travers les mots griffonnés dans ce carnet.
À un moment donné, je tombai sur une page particulièrement marquée, où Alexandre avait noté un rendez-vous. Ce n’était pas un simple café entre amis, c’était une rencontre secrète, avec un lieu précis. Il s’agissait d’un bar dans un quartier de la ville que je connaissais à peine. Le genre de coin où l’on peut facilement disparaître dans la nuit. La note indiquait : "Demain, 22h. Ne pas oublier.".
Ce rendez-vous semblait être l'une des dernières pistes qu'il avait suivies avant sa mort. Peut-être que c'était là qu’il avait découvert quelque chose de crucial. Peut-être que cette rencontre avec Damien Rousseau avait été un point de non-retour.
Je refermai le carnet, mon esprit bouillonnant. Une partie de moi était satisfaite de cette découverte, mais une autre savait qu’elle n’était que le début. Si je voulais comprendre, je devais suivre cette piste, et peut-être même prendre des risques que je n’avais pas encore imaginés.
Je pris une décision rapide : je devais aller à ce bar. Ce soir. Il était temps de comprendre de quoi parlait Alexandre, et pourquoi ce nom, Damien Rousseau, semblait si important. Mais je devais être prudent. Si je voulais être Alexandre aux yeux de Clara, je devais prendre des précautions. Ce n’était pas juste une question de suivre une piste. Il s’agissait de m'immerger dans la vie de mon frère, de comprendre ses relations, ses contacts, sa manière de voir le monde.
Avant de quitter l’appartement, je me rendis à son armoire, pris son manteau en cuir noir, celui qu’il portait souvent, et que je savais associé à une image de sérieux et de confiance. Je n’avais aucune idée de ce qui m’attendait, mais il fallait que je sois prêt.
La soirée arriva bien plus vite que je ne l'avais imaginé. À 21h30, je me préparai en prenant un dernier regard dans le miroir. Le visage qui me renvoyait n’était plus tout à fait celui de mon frère. C’était un visage déformé par la nécessité, par le poids des mensonges que j’étais en train de tisser autour de moi. Mais j'avais la sensation qu'une transformation se produisait, comme si peu à peu je devenais l’homme que j’étais censé être.
Je quittai l’appartement avec le carnet bien serré dans ma poche, et me rendis au bar du quartier. Le lieu était lointain, presque hors du temps, caché dans une ruelle sombre. À l’extérieur, l'endroit semblait désert, mais une lueur chaude se dégageait de l’intérieur, invitant ceux qui cherchaient à s'y retrouver.
Je franchis la porte. La musique était douce, tamisée, mais l’air semblait lourd, chargé de secrets. Je pris une place discrète au fond de la salle, me dissimulant à moitié derrière une colonne. Le bar était presque vide, à l’exception de quelques habitués qui parlaient à voix basse. Et puis, il arriva.
Damien Rousseau.
Je l'avais reconnu instantanément. Il n’avait pas changé. Ses yeux sombres balayaient la pièce avec une vigilance de prédateur, comme s’il attendait quelqu'un. Il s’approcha du comptoir, et commanda une boisson, sans un regard pour le reste de la salle. Il semblait à la fois hors du monde et au centre de tout.
Je pris une inspiration, et attendis. Ce soir-là, je n’étais pas là pour discuter. Je n’étais pas là pour devenir son ami. Je n’étais là que pour une chose : obtenir des réponses.
Et je savais que, peu importe ce qu’il en coûterait, il allait m’en donner.