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1037 Words
7 Cinq autres années ont passé depuis le jour où la femme abandonnée a été couchée dans sa tombe. Nous sommes en 1866. Un certain jour de cette année, les journaux donnèrent deux nouvelles qui firent grand bruit : la nouvelle d’une élévation à la pairie, la nouvelle d’un suicide. Après avoir bien fait son chemin au barreau, Mr Delamayn réussissait encore mieux au Parlement. Il devint l’un des hommes les plus éminents de la Chambre : il parlait clairement, il avait du bon sens, de la modestie ; il n’était jamais trop long ; il tenait la Chambre attentive, quand des hommes d’une plus haute valeur la fatiguaient. Les chefs de son parti disaient ouvertement : « Nous devons faire quelque chose pour Delamayn. » L’occasion s’offrit, et ils tinrent parole. Leur Solicitor général avança d’un pas dans la hiérarchie gouvernementale ; ils mirent Delamayn à sa place. Ce fut un tollé général parmi les membres plus anciens du barreau. Le ministre répondit : – Nous avions besoin d’un homme qui eût l’oreille de la Chambre. Les journaux appuyèrent la nomination de Mr Delamayn. Un grand débat survint, et le nouveau Solicitor général justifia le choix du ministère et la bonne opinion des journaux. Ses ennemis disaient, avec une intention ironique : – Il sera Lord Chancelier. Ses amis faisaient, dans le cercle intime, des plaisanteries sans malice qui tendaient à la même conclusion ; ils avertissaient ses deux fils, Julius et Geoffrey (alors au collège), de surveiller leurs relations, attendu que d’un jour à l’autre ils pouvaient se trouver les fils d’un lord. Les choses commençaient réellement à prendre cette tournure. S’élevant toujours, Mr Delamayn fut bientôt fait Attorney général. Vers la même époque, tant il est vrai que rien ne réussit comme le succès, un de ses parents sans enfants mourut et lui laissa une belle fortune. Dans le cours de l’été de 1866, un poste de grand juge devint vacant. Le ministère avait fait antérieurement un choix très impopulaire. Il chercha les moyens de remplacer plus heureusement son Attorney général et il offrit ce poste à Mr Delamayn. Celui-ci préférait rester à la Chambre et refusa. Les ministres ne voulurent point considérer le refus comme définitif ; on lui dit : – Voulez-vous prendre le poste avec la pairie ? Mr Delamayn consulta sa femme et accepta. La Gazette de Londres annonça au monde son élévation au titre de baron Holchester de Holchester ; et les amis de la famille se frottèrent les mains en disant : – Qu’est-ce que nous vous avions dit ? Voilà nos deux jeunes amis Julius et Geoffrey fils d’un lord ! Où en était pendant ce temps Mr Vanborough ? Exactement au point où nous l’avions laissé cinq années auparavant. Il était riche et même plus riche que jamais. Il avait d’aussi belles relations de famille que jamais. Il était aussi ambitieux que jamais ; mais c’était tout. Il était toujours à la Chambre ; il tenait toujours son rang dans la société ; personne ne l’aimait ; il ne s’était pas fait d’amis. Toujours la vieille histoire, avec cette différence que l’homme aigri l’était chaque jour davantage, que ses cheveux étaient devenus plus gris, que son caractère était devenu plus irritable et moins endurant que jamais. Sa femme avait son appartement dans la maison, lui le sien ; et leurs domestiques de confiance prenaient soin qu’ils ne se rencontrassent pas même dans l’escalier. Ils n’avaient pas d’enfants. Ils ne se voyaient que lors de leurs grands dîners et de leurs bals. Les gens mangeaient leurs dîners, dansaient dans leurs salons, et quand ils se communiquaient leurs impressions au sortir de la fête, ils se disaient : comme c’est ennuyeux ! Ainsi, celui qui avait été autrefois l’homme de loi de Mr Vanborough s’était élevé jusqu’à la pairie – il ne pouvait aller plus haut ! – tandis que, du bas de l’échelle, Mr Vanborough le regardait ; tout riche et bien apparenté qu’il était, il n’avait pas plus de chance de parvenir à la Chambre des lords que vous ou moi. C’est peu dire. Sa carrière était terminée ; le jour où fut annoncée la nomination du nouveau pair, il prit la résolution d’en finir. Il jeta de côté le journal sans dire un mot et sortit. Sa voiture le conduisit vers les parages où l’on voit encore quelques champs verdoyants, au nord-ouest de Londres, non loin du chemin qui mène à Hampstead. Il se dirigea seul et à pied vers la villa où il avait autrefois vécu près de la femme envers laquelle il avait eu des torts si cruels. Des maisons neuves s’étaient bâties à l’entour. Une partie du vieux jardin avait été vendue. Après un moment d’hésitation, il s’arrêta devant la porte et sonna. Il donna sa carte au domestique. Le maître de la maison connaissait ce nom, comme celui d’un homme qui jouissait d’une grande fortune et qui était membre du Parlement ; il demanda poliment à quelle heureuse circonstance il devait l’honneur de cette visite. Mr Vanborough répondit brièvement et simplement : – J’ai autrefois habité cette maison. J’ai de grands souvenirs qui s’y rattachent et dont il n’est pas nécessaire que je vous importune. Voudrez-vous bien excuser ce qui peut paraître étrange dans ma demande. Je désirerais revoir la salle à manger, si vous n’y voyez pas d’empêchement et si je ne dérange personne. Les « demandes étranges » des hommes riches sont de la nature des demandes privilégiées, pour l’excellente raison qu’on est certain qu’elles ne sont pas faites dans un but intéressé. On conduisit Mr Vanborough dans la salle à manger. Le maître de maison, secrètement intrigué, l’observait. Il alla droit au seuil de la porte-fenêtre qui conduisait au jardin. Là, il demeura debout, la tête penchée sur sa poitrine et absorbé dans ses pensées. Était-ce dans ces lieux qu’il l’avait vue pour la dernière fois, le jour où il l’avait quittée à jamais ? Oui, c’était là. Après une minute ou deux il revint à lui, mais avec l’air égaré d’un homme qui sort d’un rêve. – C’est une jolie habitation, dit-il. Il balbutia quelques remerciements, jeta encore un regard en arrière, avant que la porte se refermât, et revint même sur ses pas. Il sortit enfin, et se fit conduire à la résidence du nouveau lord Holchester, où il laissa une carte. Puis il rentra chez lui. Son secrétaire lui rappela qu’il avait un rendez-vous dans dix minutes. Mr Vanborough le remercia du même air distrait et égaré que tout à l’heure avait remarqué le propriétaire de la villa, et il passa dans son cabinet de toilette. La personne avec laquelle il avait pris un rendez-vous se présenta, et le domestique vint frapper à la porte. Elle était fermée au verrou. Il fallut la briser, et on trouva Mr Vanborough étendu sur le sol. On reconnut qu’il s’était donné la mort de sa propre main.
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