Chapitre 1-3

1283 Words
La perspective de me retrouver à nouveau en isolement m’était insupportable. Une cellule de prison ou l’espace. Mes options étaient sinistres. Mais savoir que j’étais innocente me donnait la conviction nécessaire. « Merci de votre sollicitude, Gardienne. Mais je suis innocente. Je dois y croire si je veux gagner. Je ne peux pas les laisser s’en tirer comme ça, et je dois penser à ces pauvres patients et à leurs familles. Je ne quitterai pas la planète, je ne gâcherai pas ma carrière. Si je m’enfuis, tout le monde croira ce qu’on dit à mon propos, que j’ai menti sur les risques, que j’ai menti pour protéger l’entreprise. C’est faux. Je n’ai rien fait de ce genre. Je leur ai donné les vraies données et je peux le prouver. Je ne veux pas changer de planète. Celle-ci me convient très bien. J’avais une vie agréable. Je veux la récupérer ! » Des larmes m’emplirent les yeux, mais je les chassai. Ma maison me manquait, ma voiture de sport me manquait, mon satané chat me manquait. Je n’avais jamais eu aussi envie de m’endormir dans mon lit. Mais j’avais assez pleuré comme ça. C’était même la seule chose que j’avais faite pendant mes premiers mois en prison. Ça suffit. J’étais innocente, et j’allais le prouver. Je retrouverais ma liberté et ma vie au laboratoire. Je continuerais mes recherches et je sauverais des vies. C’était la seule chose que j’avais toujours désirée. Je ne voulais pas abandonner. Mon père se serait retourné dans sa tombe si j’avais fui ce combat. Il avait vu ma mère mourir quand je n’avais que cinq ans. Je me souvenais à peine d’elle, mais je me souvenais de la sensation de son crâne chauve lorsque je la prenais dans mes bras. Je me souvenais de l’odeur de maladie dans la maison. Après sa mort, mon père avait fait de son mieux pour s’accrocher. Il y était parvenu, jusqu’à mon départ pour l’université. Ensuite, il s’était mis à boire et ça l’avait tué. Culpabilité. Le mot était faible pour les émotions qui surgissaient en moi lorsque je pensais à mon père. Je n’aurais jamais dû le laisser seul. Je savais que ma mère lui manquait toujours. Je savais qu’il luttait contre ses propres démons. Mais j’avais dix-huit ans ; et j’avais hâte de découvrir le monde et d’entamer une nouvelle vie. J’avais déménagé à plus de mille kilomètres pour aller à la fac et je ne rentrais que deux fois par an. J’étais partie et il s’était éteint. Grosse erreur. Terrible. Non. Je ne fuirais pas, cette fois-ci. La gardienne Égara soupira et je n’aimai pas du tout la déception et la résignation que je vis dans ses yeux, comme si j’avais fait le mauvais choix. « Très bien. Sachez que cette compatibilité a été enregistrée dans votre dossier. Si vous changez d’avis, la loi vous autorise à me contacter. Si vous choisissez de devenir une Épouse, votre condamnation sera annulée, votre casier judiciaire redeviendra vierge » et vous serez envoyée à vos compagnons immédiatement. » Alors qu’elle parlait, elle plaça une étrange machine portable près de ma tête et je poussai un cri aigu lorsqu’une vive douleur me frappa à la tempe. « Aïe ! m’exclamai-je en me débattant, tirant sur mes menottes avec une détermination toute retrouvée. Qu’est-ce que c’était ? — Je suis désolée, Rachel, mais c’était nécessaire. » Elle s’éloigna et alla placer le drôle d’objet cylindrique sur la table avant de revenir vers moi avec sa tablette dans les mains, les sourcils froncés. « Et je suis désolée pour le mal de tête que vous allez ressentir pendant ces prochaines heures, reprit-elle. Normalement, vous seriez dans le transporteur pendant que votre cerveau s’habituerait à l’UPN, mais vous n’aurez pas cette chance. — L’UPN ? Qu’est-ce que c’est que ça ? » J’avais envie de me poser la main sur la tempe pour la frotter. Qu’est-ce qu’elle venait de me faire ? « Qu’est-ce que vous m’avez fait ? » Les menottes autour de mes poignets se détachèrent alors que la gardienne appuyait sur sa tablette. Elle leva les yeux vers les miens, et je n’y lus aucune compassion, seulement de la pitié. « L’UPN est une unité de préparation neurale, nécessaire pour quitter la planète. Sa technologie neurale se fondra à votre centre du langage, vous permettant de comprendre et de parler toutes les langues de la Coalition. Vous ne pourrez pas devenir une Épouse si vous n’en avez pas. — Mais je ne veux pas devenir une Épouse. » Alors que je me levais, un garde entra dans la pièce avec les longues chaînes familières qui cliquetaient entre deux menottes. Je savais qu’il allait me ramener en prison, à l’isolement, où les gardiens me traitaient comme si j’étais invisible, tel un rat dans une cage qui avait besoin de nourriture et d’eau, mais rien d’autre. C’était tout de même mieux que l’alternative. Je ne voulais pas être autre chose qu’une simple détenue à leurs yeux, une autre bouche à nourrir. Je ne voulais pas qu’ils me remarquent. Mais j’étais innocente. Mon avocat et les amis que j’avais en dehors de la prison découvriraient forcément la vérité. Il fallait que je croie que le juge qui s’occupait de mon affaire percerait à jour les mensonges du procureur. « Si vous ne voulez pas devenir une Épouse, alors pourquoi avoir suivi le conseil de votre avocat en venant vous faire tester ? » Sa question touchait un point sensible, mais je refusais de me laisser intimider. Je refusais de croire que le système judiciaire puisse me décevoir à ce point-là. « Juste au cas où, « dis-je. Elle hocha la tête d’un mouvement bref et précis. « Exactement ? Et maintenant, vous avez l’UPN, juste au cas où. » Elle me rétorquait avec mes propres arguments, mais son ton voulait clairement dire qu’elle pensait que je changerais d’avis, et vite. Et si le système me décevait et que j’étais condamnée pour de bon, je reviendrais peut-être. Ce rêve. Mon corps était toujours crispé de désir. Je voulais que ces grandes mains me parcourent le corps. J’avais l’impression d’être une pauvre idiote en manque, mais je n’arrivais pas à penser à autre chose qu’à la façon dont ils m’avaient caressé la peau, dont leurs énormes sexes m’avaient étirée. Le plaisir intense que j’avais ressenti en les chevauchant m’avait donné l’o*****e le plus puissant de ma petite vie pitoyable. Un faux o*****e, dû au truc que leur machine m’avait fait au cerveau. Si j’avais bien compris, j’avais vécu les souvenirs d’une autre femme, ce dont elle avait fait l’expérience. Je trouvais tout ceci flippant. Et je ne voulais pas quitter la Terre. Je voulais récupérer ma p****n de vie et j’allais y arriver. Je pouvais survivre deux mois de plus à l’isolement. Je refusais de craquer. Mais une petite voix s’était mise à me hanter dans le silence de mon existence en prison. Même si je gagnais mon procès en appel, qu’adviendrait-il de moi ? Même si on me permettait de rentrer chez moi ? Serais-je vraiment libre ? Si les poursuites étaient abandonnées, si mon nom était blanchi, il y aurait toujours des gens pour douter, pour estimer que mes données et moi étions salies. Aucun laboratoire ne voudrait de moi. Pas aux États-Unis, en tout cas. Je serais obligée de déménager, de commencer une nouvelle vie. Et si je ne gagnais pas, si le système me laissait tomber ? Je préférerais encore rester en prison pendant des décennies plutôt qu’être envoyée sur une planète où je serais à la merci de pas un, mais deux énormes extraterrestres. D’une manière ou d’une autre, j’étais déjà condamnée à vie.
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