Chapitre 1 : La Rencontre
Espérance
Le crépuscule tombait doucement sur la ville, et l'air était chargé de cette tranquillité propre aux heures de la fin de journée. Le ciel, encore teinté de l'orange vif du soleil couchant, laissait place à la nuit qui s’installait lentement, calme et silencieuse. À cette heure-là, la librairie de quartier était presque vide. Quelques habitués traînaient encore entre les étagères, feuilletant des livres sans but précis, mais la majorité des clients étaient déjà partis, emportant avec eux les dernières heures du jour.
Je rangeais méthodiquement quelques livres qui avaient été laissés en désordre sur le comptoir, mon geste presque automatique. La routine, le calme, l’odeur des pages usées : c’était mon univers. C’est dans cet endroit que je me sentais chez moi, loin des tumultes extérieurs et des ombres qui planaient à l'extérieur de la librairie. Je ne connaissais pas bien les dangers du monde au-delà de ces murs, ni la violence qui semblait ronger la ville, mais ce n’était pas important. Ici, tout était simple, prévisible.
Le tintement de la cloche au-dessus de la porte me fit sursauter. Quelqu’un venait d'entrer. Un homme. Il était grand, d'une prestance imposante, et quelque chose en lui semblait issu d'un autre monde, bien plus sombre et complexe que celui que je connaissais. Il portait un costume noir impeccable, ses yeux d’un bleu glacial paraissant engloutir tout ce qu’ils fixaient. Il ne semblait pas chercher un livre particulier, mais plutôt... quelque chose d'indéfinissable. Il parcourut la librairie du regard, comme s'il cherchait un détail invisible, quelque chose que seuls ses yeux pouvaient percevoir.
Je me figeai un instant en le voyant avancer, ses pas résonnant lourdement sur le parquet. Il s’arrêta près du comptoir et me fixa longuement. Une étrange sensation m'envahit, une sorte de malaise que je ne pouvais expliquer. Je n’avais jamais vu cet homme auparavant, mais quelque chose dans sa présence me semblait terriblement familier, comme une illusion, une vision fugace.
Ses yeux restèrent fixés sur moi, scrutant mon visage d'une manière étrange, comme s'il voulait lire dans mon âme. Je baissai légèrement les yeux, et, bien que déstabilisée, je m’efforçai de sourire poliment.
— "Bonsoir, monsieur. Puis-je vous aider ?" demandai-je, cherchant à reprendre le contrôle de la situation, même si une gêne montait en moi.
L'homme ne répondit pas tout de suite. Il me regarda encore un moment, et un silence pesant s'installa entre nous, lourd de non-dits. Je me sentais de plus en plus mal à l’aise, mais je ne savais pas exactement pourquoi. Il était... différent. Une aura de mystère l'entourait, et même la lumière tamisée de la librairie semblait se plier à sa présence. Il avait quelque chose de magnétique, de perturbant.
Enfin, il prit la parole, et sa voix grave, profonde, résonna dans le silence.
— "Je cherchais quelque chose de... rare."
Les mots étaient simples, mais leur portée m’échappa. Pourtant, ils eurent un impact. Ils résonnèrent en moi comme une promesse implicite, un appel mystérieux. Je haussai un sourcil, intriguée, mais restai sur mes gardes.
— "Qu'est-ce que vous recherchez exactement ?" demandai-je, mon ton professionnel cachant la curiosité qui m’envahissait.
Il me regarda un instant, comme s’il cherchait à mesurer mes paroles avant de répondre. Puis, un sourire léger effleura ses lèvres, presque imperceptible.
— "Vous."
Le choc fut instantané. Je sentis la chaleur envahir mon visage, et un frisson discret me parcourut la colonne vertébrale. Mon esprit se figea. Ce genre de déclaration n’avait pas sa place ici, dans cette librairie où la douceur régnait normalement. Il n’y avait ni agressivité ni menace dans sa voix, mais la simplicité de ses mots m’intimida d’une manière inexplicable.
Un silence s’installa entre nous. Je sentais mes mains trembler légèrement, et malgré mes efforts pour garder mon calme, je me sentais de plus en plus vulnérable. Ce n’était pas normal. Rien de tout cela n'était normal.
— "Je suis désolée, je ne comprends pas." Ma voix trembla un peu, et je maudissais ma propre incapacité à cacher l’inquiétude qui me montait.
Il se rapprocha alors du comptoir, ses yeux toujours rivés sur moi, durs, mais avec une intensité que je ne pouvais pas ignorer. C’était comme si tout ce que j’avais jamais connu était devenu soudainement irréel. Comme si cette rencontre, aussi brève soit-elle, allait marquer un avant et un après dans ma vie.
— "Je vous observerai, Espérance. Peu importe où vous êtes, peu importe ce que vous faites. Vous allez bientôt comprendre pourquoi."
Je reculai d’un pas, le cœur battant à tout rompre. Comment savait-il mon nom ? Pourquoi ces mots ? J’étais envahie par une angoisse diffuse, une sensation de danger imminent. Et pourtant, il n’avait pas l’air menaçant, pas comme un homme qui veut de la violence. Il semblait... détaché. Mais la lourdeur de ses paroles me secoua profondément.
Je cherchai mes mots, mais ils me fuyaient. Je voulais répondre, mais je ne trouvais rien à dire. Tout se mélangeait dans ma tête. Lui, l'homme mystérieux, semblait lire en moi plus clairement que je ne me comprenais moi-même.
— "Je... je ne comprends pas ce que vous voulez dire," balbutiai-je enfin, ma voix hésitante.
Un sourire subtil, presque imperceptible, se dessina sur ses lèvres. Cela me fit froid dans le dos, mais je n'avais pas le temps de réfléchir davantage. Sans un mot de plus, il tourna les talons et s'éloigna, sa silhouette se fondant dans l'ombre de la librairie. Juste avant de franchir la porte, il se retourna et, d’une voix basse, presque murmurée, il lança :
— "À bientôt, Espérance."
Et en un instant, il disparut dans la rue, me laissant là, immobile, encore sous le choc. Je restai figée, mes mains toujours tremblantes. Une partie de moi savait déjà que cette rencontre allait changer ma vie. J'avais l'impression d’avoir franchi une frontière que je ne pouvais pas rétrécir. Brett, cet homme, venait d'entrer dans ma vie d’une manière inquiétante, et de façon tout aussi étrange, il ne semblait pas vouloir en sortir.