Emma
Décembre 1868 à était pour moi l’hiver le plus froid que j’avais jamais ressenti. La neige recouvrait tout le sol aussi loin que mes yeux pouvaient la regarder. Ma nouvelle demeure n’était pas aussi spectaculaire que les précédentes. Mais là, au moins, je pouvais dire que c’était la mienne. J’ai pris mes distances avec ma famille, partant aussi loin que mon billet me l’avait permis. Sans dire à qui que ce soit où j’allais. C’est risqué et surtout imprudent de ma part. Mais j’avais besoin de mettre la distance entre eux et moi. Besoin de me retrouver seule et surtout, j’avais besoin d’oublier ce scandale qui avait fait la honte de ma famille. Pourtant, je n’en étais pas vraiment fautive. Mais tout m’était retombé dessus. Un mot, une version et c’est moi qui étais déclaré coupable… Me voilà donc seule, loin de chez moi. Ou plutôt dans mon nouveau chez-moi. Jusqu’ici, je n’ai pas encore fait ce qu’il fallait pour rencontrer les gens de mon entourage. Je ne suis allé nulle part et je suis resté enfermé ici jusqu’à être bien installé. J’ai bien vu des passants regardés devant chez moi. Des enfants chahutés avant d’aller à l’école qui se trouve un peu plus loin. Le village n’est pas très grand et je suppose que tout le monde connaît tout le monde. Et qu’ils doivent tous se demander ce qu’une femme fait seule dans un lieu pareil. Ma petite maison ne se trouve pas dans le village. Elle est un peu en retrait du village. Je suis donc entouré de champs prairie. Quand j’entends du buis à l’extérieur, je ne me focalise pas dessus, il arrive parfois que des passants passent sans pour autant s’arrêter. Me frottant les mains entre elles, je sors à l’arrière de la maison afin de rentrer quelques bûches que je pourrais mettre dans le feu… Comme depuis maintenant quinze jours, je termine ma journée de la même façon. Couché devant un bon feu à lire un livre. Quinze jours que je suis installé et que je ne fais rien d’autres que nettoyer la maison, manger et m’occuper de moi. Je peux encore vivre paisiblement durant quelques mois, aillant pris tout mon argent que j’avais économisé et précieusement caché dans mes bas de laine… Mais je finirai par être obligé de trouver un emploi si je ne veux pas qu’elle fond comme neige au soleil. Aujourd’hui, je dois me rendre en ville, car ma réserve de nourriture s’amenuise et au vu tu temps qu'il fait dehors, je risque d’être bloqué chez moi. Prenant mon courage à demain et me décide à sortir de chez moi. La neige m’arrivant au niveau des genoux, il me faut vingt bonnes minutes pour atteindre le magasin qui se trouve au centre de la ville. Et quand je l’atteins, je suis gelé et trempé…
_ Oh mon Dieu, ma pauvre enfant. Mais qu’est-ce qui vous a pris de venir par ce temps-là !! Me dit la dame qui tient le magasin.
_ Oh, ce n’est rien. Il me fallait des courses.
_ Comment vous sentez vous dans votre nouveau logis ?
_ Très bien, je vous remercie.
_ Vous devez vous sentir bien seule là-haut.
_ Parfois, mieux vaux être seule que mal accompagner.
Elle ne dit rien et prépare ce que j’ai écrit sur la liste. Déposant le tous dans une caisse en bois, elle finit par froncer les sourcils.
_ Vous n’allez pas repartir à pied avec tout ça ? Me demande-t-elle.
_ J’y suis bien obligé. Je n’ai pas encore eu l’occasion d’avoir un cheval à moi. D’ailleurs, il ne me servirait pas à grand-chose, je n’ai pas de chariot non plus.
_ …… J’ai une idée, si vos courses ne pressent pas. Je pourrais demander à Monsieur Mackeen de vous rapporter vos courses.
_ Oh non, ne vous donnez pas cette peine.
_ Je suis sûr que ça ne le dérangera pas, il passe devant chez vous chaque jour. Il habite juste derrière chez vous.
_ Je ne voudrais pas le déranger.
_ Ne vous en faite pas. Rentré vous mettre au chaud. Ce sera moins dangereux pour vous et surtout moins lourds avec tout ce que vous venez d’acheter.
_… Bon. Si vous insistez… Je vous remercie. Bonne journée à vous.
_ Vous de même. Au revoir.
Je fais demi-tour et rentre chez moi. Quand j’arrive, je suis encore plus trempé qu’à l’aller. Je pars vers ma chambre, retire ses habits tout mouillés et me changer pour des vêtements plus chauds. Puis, nettoie le plus gros de ma pièce principale. Je ne voudrais pas que ce monsieur Mackeen pense que je ne tiens pas bien ma maison. Je fais ensuite chauffer de l’eau pour préparer du café.
_ Il y a quelqu’un ??…
Alors qu’ont appelé devant chez moi, je m’emmitouflais dans mon châle et allais ouvrir ma porte.
_ Bonsoir madame. Je m’appelle Ulysse Mackeen. C’est Mirabelle qui m’envoie vous déposer vos courses.
_ Je vous en remercie. Mais allez y rentrer. Dis-je en m’effacent.
Alors que je m’écarte, il entre chez moi et s’avance jusqu’à la table pour poser la caisse de courses.
_ Merci d’avoir fait le détour.
_ Ce n’est rien madame. Je n’ai fait aucun détour, je dois passer par ici pour rentrer chez moi.
_ C’est ce que m’a dit la dame du magasin… Je vous en remercie.
_ Y a pas de quoi. À l’avenir, si jamais il vous faut quelque chose. Dites-le-moi, ça vous évitera de sortir de ce temps-là.
_ Ce ne sera pas nécessaire. Je devrais en avoir assez jusqu’à la fin de l’hiver.
_ La fin de l’hiver ???… Avec ça ?… J’en doute madame, on n'est qu'en décembre. J’ignore comment était le temps par chez vous, avant. Mais ici, l’hiver peut rester jusqu’en mars, avril.
_ Oh… Dans ce cas, effectivement, je n’en aurais certainement pas assez… Mais ça devrait aller jusqu’à la fin du mois de décembre.
_ Si vous le dites… J’ai vu que vous n’aviez plus beaucoup de bois. Si vous voulez, je peux passer demain après-midi afin de vous en coupe.
_ Oh, je devrais y arriver… Ce ne doit pas être bien compliqué…
_ Ça ne me dérange pas. Disons vers 14 heures 30.
_ … Entendu… Merci…
_ De rien… Je vais vous laisser.
_ Oh, vous voulez peut-être prendre un café avant de repartir.
_ Non merci madame, je dois encore m’occuper de mes chevaux. Si vous avez besoin de quoi que ce soit, je suis de l’autre côté du champ derrière.
_ Je n’y manquerai pas… Dans ce cas, au revoir monsieur Mackeen.
_ J’vous en pris, appelez-moi Ulysse.
_ Ulysse, comme les romans ?
_ À ce qu’il parait. Pour ma part, je ne les ai jamais lus.
_ Oh, vous ne savez pas ce que vous avez manqué.
_ Ouais peut-être… Bonne soirée madame.
_ Vous pouvez m’appeler Emma
_ Bonne soirée Emma.
Il retourne jusqu’à l’entrée et repart comme il était venu. Je m’avance jusqu’à la fenêtre et l’admire discrètement. C’est un homme qui doit mesurer dans les mètres quatre-vingts. Portant un épais blouson qui m’empêchait de savoir s’il est muscles ou gros. Mais son visage, bien qu’un peu dissimulé par son chapeau m’ait semblé très beau. Un nez droit, ni trop long, ni trop cour, ni trop gros. Sa bouche disparaît par une barbe de trois ou quatre jours. De grands yeux d’un vert époustouflant. Je crois même que c’est la première fois que je vois des yeux d’une telle couleur. Il n’est pas désagréable à regarder… L’homme monte sur son cheval avec aisance et le guide vers sa propre maison. Quand il n’est plus à portée de vue, je pars ranger mes courses. Loin de moi vouloir me rapprocher de qui que ce soit…