Première partie-2

3030 Words
Heureusement pour lui et pour moi, il revint aussitôt sur l’eau et s’accrocha aux barques du traguet. J’eus un instant de terreur en lui voyant faire le plongeon ; mais, dès que je le vis sauvé, je songeai à me sauver moi-même : car il rugissait de fureur et allait ameuter contre moi tous les laquais du palais Aldini. J’enfilai la première porte qui s’offrit à moi, et, courant à travers les galeries, j’allais franchir l’escalier, lorsque j’entendis des voix confuses qui venaient à ma rencontre. Je remontai précipitamment et me réfugiai sous les combles du palais, où je me cachai dans un grenier parmi de vieux tableaux rongés des vers, et des débris de meubles. Je restai là deux jours et deux nuits sans prendre aucun aliment et sans oser me frayer un passage au milieu de mes ennemis. Il y avait tant de monde et de mouvement dans cette maison qu’on n’y pouvait faire un pas sans rencontrer quelqu’un. J’entendais par la lucarne les propos des valets qui se tenaient dans la galerie de l’étage inférieur. Ils s’entretenaient de moi presque continuellement, faisaient mille commentaires sur ma disparition, et se promettaient de m’infliger une rude correction s’ils réussissaient à me rattraper. J’entendais aussi mon patron sur sa barque s’étonner de mon absence, et se réjouir à l’idée de mon retour dans des intentions non moins bienveillantes. J’étais brave et vigoureux ; mais je sentais que je serais accablé par le nombre. L’idée d’être battu par mon patron ne m’occupait guère ; c’était une chance du métier d’apprenti qui n’entraînait aucune honte. Mais celle d’être châtié par des laquais soulevait en moi une telle horreur que je préférais mourir de faim. Il ne s’en fallut pas de beaucoup que mon aventure n’eût ce dénouement. À quinze ans, on supporte mal la diète. Une vieille camériste qui vint chercher un pigeon déserteur sous les combles trouva, au lieu de son fugitif, le pauvre barcarolino évanoui et presque mort au pied d’une vieille toile qui représentait une sainte Cécile. Ce qu’il y eut de plus frappant pour moi dans ma détresse, c’est que la sainte avait entre les bras une harpe de forme antique que j’eus tout le loisir de contempler au milieu des angoisses de la faim, et dont la vue me devint tellement odieuse que pendant bien longtemps, par la suite, je ne pus supporter ni l’aspect ni le son de cet instrument fatal. La bonne duègne me secourut et intéressa la signora Aldini à mon sort. Je fus promptement rétabli des suites du jeûne, et mon persécuteur, apaisé par cette expiation, agréa l’aveu de ma faute et l’expression brusque, mais sincère, de mes regrets. Mon père, en apprenant de mon patron que j’étais perdu, était accouru. Il fronça le sourcil lorsque madame Aldini lui manifesta l’intention de me prendre à son service. C’était un homme rude, mais fier et indépendant. C’était bien assez, selon lui, que je fusse condamné par ma délicate organisation à vivre à la ville. J’étais de trop bonne famille pour être valet, et quoique les gondoliers eussent de grandes prérogatives dans les maisons particulières, il y avait une distinction de rang bien marquée entre les gondoliers de la place et les gondolieri di casa. Ces derniers étaient mieux vêtus, il est vrai, et participaient au bien-être de la vie patricienne ; mais ils étaient réputés laquais, et il n’y avait point de telle souillure dans ma famille. Néanmoins madame Aldini était si gracieuse et si bienveillante que mon brave homme de père, tortillant son bonnet rouge dans ses mains avec embarras, et tirant à chaque instant, par habitude, sa pipe éteinte de sa poche, ne sut que répondre à ses douces paroles et à ses généreuses promesses. Il résolut de me laisser libre, comptant bien que je refuserais. Mais moi, quoique je fusse bien dégoûté de la harpe, je ne songeais qu’à la musique. Je ne sais quelle puissance magnétique la signora Aldini exerçait sur moi ; c’était une véritable passion, mais une passion d’artiste toute platonique et toute philharmonique. De la petite chambre basse où l’on m’avait recueilli pour me soigner ; car j’eus, par suite de mon jeûne, deux ou trois accès de fièvre, je l’entendais chanter, et cette fois elle s’accompagnait avec le clavecin, car elle jouait également bien de plusieurs instruments. Enivré de ses accents, je ne compris pas même les scrupules de mon père, et j’acceptai sans hésiter la place de gondolier en second au palais Aldini. Il était de bon goût à cette époque d’être bien monté en barcaroles, c’est-à-dire que, de même que la gondole équivaut, à Venise, à l’équipage dans les autres pays, de même les gondoliers sont un objet à la fois de luxe et de nécessité comme les chevaux. Toutes les gondoles étant à peu près semblables, d’après le décret somptuaire de la république, qui les condamna indistinctement à être tendues de noir, c’était seulement par l’habit et par la tournure de leurs rameurs que les personnes opulentes pouvaient se faire remarquer dans la foule. La gondole du patricien élégant devait être conduite, à l’arrière, par un homme robuste et d’une beauté mâle, à l’avant, par un négrillon singulièrement accoutré, ou par un blondin indigène, sorte de page ou de jockey vêtu avec élégance, et placé là comme un ornement, comme la poupée à la proue des navires. J’étais donc tout à fait propre à cet honorable emploi. J’étais un véritable enfant des lagunes, blond, rosé, très fort, avec des contours un peu féminins, ayant la tête, les pieds et les mains remarquablement petits, le buste large et musculeux, le cou et les bras ronds, nerveux et blancs. Ajoutez à cela une chevelure couleur d’ambre, fine, abondante, et bouclée naturellement ; imaginez un charmant costume demi-Figaro, demi-Chérubin, et le plus souvent les jambes nues, la culotte de velours bleu de ciel attachée par une ceinture de soie écarlate, et la poitrine couverte seulement d’une chemise de batiste brodée plus blanche que la neige ; vous aurez une idée du pauvre histrion en herbe qu’on appelait alors Nello, par contraction de son nom véritable, Daniele Gemello. Comme il est de la destinée des petits chiens d’être cajolés par les maîtres imbéciles et battus par les valets jaloux, le sort de mes pareils était généralement un mélange assez honteux de tolérance illimitée de la part des uns, et de haine brutale de la part des autres. Heureusement pour moi, la Providence me jeta sur un coin béni : Bianca Aldini était la bonté, l’indulgence, la charité descendues sur la terre. Veuve à vingt ans, elle passait sa vie à soulager les pauvres, à consoler les affligés. Là où il y avait une larme à essuyer, un bienfait à verser, on la voyait bientôt accourir dans sa gondole, portant sur ses genoux sa petite fille âgée de quatre ans ; miniature charmante, si frêle, si jolie, et toujours si fraîchement parée, qu’il semblait que les belles mains de sa mère fussent les seules au monde assez effilées, assez douces et assez moelleuses pour la toucher sans la froisser ou sans la briser. Madame Aldini était toujours vêtue elle-même avec un goût et une recherche que toutes les dames de Venise essayaient en vain d’égaler ; immensément riche, elle aimait le luxe, et dépensait la moitié de son revenu à satisfaire ses goûts d’artiste et ses habitudes de patricienne. L’autre moitié passait en aumônes, en services rendus, en bienfaits de toute espèce. Quoique ce fût un assez beau denier de veuve, comme elle l’appelait, elle s’accusait naïvement d’être une âme tiède, de ne pas faire ce qu’elle devait ; et, concevant de sa charité plus de repentir que d’orgueil, elle se promettait chaque jour de quitter le siècle et de s’occuper sérieusement de son salut. Vous voyez, d’après ce mélange de faiblesse féminine et de vertu chrétienne, qu’elle ne se piquait point d’être une âme forte, et que son intelligence n’était pas plus éclairée que ne le comportaient le temps et le monde où elle vivait. Avec cela, je ne sais s’il a jamais existé de femme meilleure et plus charmante. Les autres femmes, jalouses de sa beauté, de son opulence et de sa vertu, s’en vengeaient en assurant qu’elle était bornée et ignorante. Il y avait de la vérité dans cette accusation ; mais Bianca n’en était pas moins aimable. Elle avait un fonds de bon sens qui l’empêchait d’être jamais ridicule, et, quant à son manque d’instruction, la naïveté modeste qui en résultait était chez elle une grâce de plus. J’ai vu autour d’elle les hommes les plus éclairés et les plus graves ne jamais se lasser de son entretien. Vivant ainsi à l’église et au théâtre, dans la mansarde du pauvre et dans les palais, elle portait avec elle en tous lieux la consolation ou le plaisir, elle imposait à tous la reconnaissance ou la gaieté. Son humeur était égale, enjouée, et le caractère de sa beauté suffisait à répandre la sérénité autour d’elle. Elle était de moyenne taille, blanche comme le lait et fraîche comme une fleur ; tout en elle était douceur, jeunesse, aménité. De même que, dans toute sa gracieuse personne, on eût vainement cherché un angle aigu, de même son caractère n’offrit jamais la moindre aspérité, ni sa bonté la moindre lacune. À la fois active comme le dévouement évangélique et nonchalante comme la mollesse vénitienne, elle ne passait jamais plus de deux heures dans la journée au même endroit ; mais dans son palais elle était toujours couchée sur un sofa, et dehors elle était toujours étendue dans sa gondole. Elle se disait faible sur les jambes, et ne montait ou ne descendait jamais un escalier sans être soutenue par deux personnes ; dans ses appartements elle était toujours appuyée sur le bras de Salomé, une belle fille juive, qui la servait et lui tenait compagnie. On disait à ce propos que madame Aldini était boiteuse par suite de la chute d’un meuble que son mari avait jeté sur elle dans un accès de colère, et qui lui avait fracturé la jambe : c’est ce que je n’ai jamais su précisément, bien que pendant plus de deux ans elle se soit appuyée sur mon bras pour sortir de son palais et pour y rentrer, tant elle mettait d’art et de soin à cacher cette infirmité. Malgré sa bienveillance et sa douceur, Bianca ne manquait ni de discernement ni de prudence dans le choix des personnes qui l’entouraient : il est certain que nulle part je n’ai vu autant de braves gens réunis. Si vous me trouvez un peu de bonté et assez de fierté dans l’âme, c’est au séjour que j’ai fait dans cette maison qu’il faut l’attribuer. Il était impossible de n’y pas contracter l’habitude de bien penser, de bien dire et de bien faire ; les valets étaient probes et laborieux, les amis fidèles et dévoués… les amants même… (car, il faut bien l’avouer, il y eut des amants) étaient pleins d’honneur et de loyauté. J’avais là plusieurs patrons ; de tous ces pouvoirs, la signora était le moins impératif. Au reste, tous étaient bons ou justes. Salomé, qui était le pouvoir exécutif de la maison, maintenait l’ordre avec un peu de sévérité ; elle ne souriait guère, et le grand arc de ses sourcils se divisait rarement en deux quarts de cercle au-dessus de ses longs yeux noirs. Mais elle avait de l’équité, de la patience et un regard pénétrant qui ne méconnaissait jamais la sincérité. Mandola, premier gondolier, et mon précepteur immédiat, était un Hercule lombard, qu’à ses énormes favoris noirs et à ses formes athlétiques on eût pris pour Polyphème. Ce n’en était pas moins le paysan le plus doux, le plus calme et le plus humain qui ait jamais passé de ses montagnes à la civilisation des grandes cités. Enfin le comte Lanfranchi, le plus bel homme de la république, que nous avions l’honneur de promener tous les soirs en gondole fermée avec madame Aldini, de dix heures à minuit, était bien le plus gracieux et le plus affable seigneur que j’aie rencontré dans ma vie. Je n’ai jamais connu de feu monseigneur Aldini qu’un grand portrait en pied qui était à l’entrée de la galerie, dans un cadre superbe un peu détaché de la muraille, et semblant commander à une longue suite d’aïeux, tous de plus en plus noirs et vénérables, qui s’enfonçaient, par ordre chronologique, dans la profondeur sombre de cette vaste salle. Torquato Aldini était habillé dans le dernier goût du temps, avec un jabot de dentelle de Flandre, et un habit du matin de gros d’été vert-pomme, à brandebourgs rose-vif : il était admirablement crêpé et poudré. Mais, malgré la galanterie de ce déshabillé pastoral, je ne pouvais le regarder sans baisser les yeux ; car il y avait sur sa figure d’un jaune brun, dans sa prunelle noire et ardente, dans sa bouche froide et dédaigneuse, dans son attitude impassible, et jusque dans le mouvement absolu de sa main longue et maigre, ornée de diamants, une expression de fierté arrogante et de rigueur inflexible que je n’avais jamais rencontrée sous le toit de ce palais. C’était un beau portrait, et le portrait d’un beau jeune homme : il était mort à vingt-cinq ans, à la suite d’un duel avec un Foscari, qui avait osé se dire de meilleure famille que lui. Il avait laissé une grande réputation de bravoure et de fermeté ; mais on disait tout bas qu’il avait rendu sa femme très malheureuse, et les domestiques n’avaient pas l’air de le regretter. Il leur avait imprimé une telle crainte qu’ils ne passaient jamais le soir devant cette peinture, saisissante de vérité, sans se découvrir la tête, comme ils eussent fait devant la personne de leur ancien maître. Il fallait que la dureté de son âme eût fait beaucoup souffrir la signora, et l’eût bien dégoûtée du mariage ; car elle ne voulait point contracter de nouveaux liens, et repoussait les meilleurs partis de la république. Cependant elle avait besoin d’aimer ; car elle souffrait les assiduités du comte Lanfranchi, et ne semblait lui refuser des douceurs de l’hyménée que le serment indissoluble. Au bout d’un an, le comte, désespérant de lui inspirer la confiance nécessaire pour un tel engagement, et cherchant fortune ailleurs, lui confessa qu’une riche héritière lui donnait meilleure espérance. La signora lui rendit aussitôt généreusement sa liberté ; elle parut triste et malade pendant plusieurs jours, mais, au bout d’un mois, le prince de Montalegri vint occuper dans la gondole la place que l’ingrat Lanfranchi avait laissée vacante, et pendant un an encore, Mandela et moi promenâmes sur les lagunes ce couple bénévole, et en apparence fortuné. J’avais un attachement très vif pour la signora. Je ne concevais rien de plus beau et de meilleur qu’elle sur la terre. Quand elle tournait sur moi son beau regard presque maternel, quand elle m’adressait en souriant de douces paroles (les seules qui pussent sortir de ses lèvres charmantes), j’étais si fier et si content que, pour lui faire plaisir, je me serais jeté sous la carène tranchante du Bucentaure. Quand elle me donnait un ordre, j’avais des ailes ; quand elle s’appuyait sur moi, mon cœur palpitait de joie ; quand, pour faire remarquer ma belle chevelure au prince de Montalegri, elle posait doucement sa main de neige sur ma tête, je devenais rouge d’orgueil. Et pourtant je promenais sans jalousie le prince à ses côtés ; je répondais gaiement à ces quolibets pleins de bienveillance que les seigneurs de Venise aiment à échanger avec les barcaroles pour éprouver en eux l’esprit de repartie ; et, malgré l’excessive liberté dont le gondolier provoqué jouit en pareil cas, jamais je n’avais senti contre le prince le plus léger mouvement d’aigreur. C’était un bon jeune homme ; je lui savais gré d’avoir consolé la signora de l’abandon de M. Lanfranchi. Je n’avais pas cette sotte humilité qui s’incline devant les prérogatives du rang. En fait d’amour, nous ne les connaissons guère dans ce pays, et nous les connaissions encore moins dans ce temps-là. Il n’y avait pas une telle différence d’âge entre la signora et moi, que je ne pusse être amoureux d’elle. Le fait est que je serais embarrassé aujourd’hui de donner un nom à ce que j’éprouvais alors. C’était de l’amour peut-être, mais de l’amour pur comme mon âge ; et de l’amour tranquille, parce que j’étais sans ambition et sans cupidité. Outre ma jeunesse, mon zèle et mon caractère facile et enjoué, j’avais plu particulièrement à la signora par mon amour pour la musique : elle prenait plaisir à voir l’émotion que j’éprouvais au son de sa belle voix, et chaque fois qu’elle chantait, elle me faisait appeler. Accorte et familière, elle me faisait entrer jusque dans son cabinet, et m’autorisait à m’asseoir auprès de Salomé. Il semblait qu’elle eût aimé à voir cette farouche camériste se départir un peu avec moi de son austérité. Mais Salomé m’imposait beaucoup plus que la signora, et jamais je ne fus tenté de m’enhardir auprès d’elle. Un jour la signora me demanda si j’avais de la voix. Je lui répondis que j’en avais eu, mais qu’elle s’était perdue. Elle voulut que j’en fisse l’essai devant elle. Je m’en défendis, elle insista, il fallut céder. J’étais fort troublé, et convaincu qu’il me serait impossible d’articuler un son ; car il y avait bien un an que je ne m’en étais avisé. J’avais alors dix-sept ans. Ma voix était revenue, je ne m’en doutais pas. Je mis ma tête dans mes deux mains ; je tâchai de me rappeler une strophe de la Jérusalem, et le hasard me fit rencontrer celle qui exprime l’amour d’Olinde pour Sophronie, et qui se termine par ce vers : Brama assaï, poco spera, nulla chiede.Alors, rassemblant mon courage et me mettant à crier de toute ma force comme si j’eusse été en pleine mer, je fis retentir les lambris étonnés de ce lai plaintif et sonore, sur lequel nous chantons dans les lagunes les prouesses de Roland et les amours d’Herminie. Je ne me méfiais pas de l’effet que j’allais produire ; comptant sur le filet enroué que j’avais fait sortir autrefois de ma poitrine, je faillis tomber à la renverse, lorsque l’instrument que je recélais en moi, à mon insu, manifesta sa puissance. Les tableaux suspendus à la muraille en frémirent, la signora sourit, et les cordes de la harpe répondirent par une longue vibration au choc de cette voix formidable. « Santo Dio ! s’écria Salomé en laissant tomber son ouvrage et en se bouchant les oreilles, le lion de Saint-Marc ne rugirait pas autrement ! » La petite Aldini, qui jouait sur le tapis, fut si épouvantée qu’elle se mit à pleurer et à crier. Je ne sais ce que fit la signora. Je sais seulement qu’elle, et l’enfant, et Salomé, et la harpe, et le cabinet, tout disparut, et que je courus à toutes jambes à travers les rues, sans savoir quel démon me poussait, jusqu’à la Quinta-Valle ; là, je me jetai dans une barque et j’arrivai à la grande prairie qu’on nomme aujourd’hui le Champ-de-Mars, et qui est encore le lieu le plus désert de la ville. À peine me vis-je seul et en liberté, que je me mis à chanter de toute la force de mes poumons. Ô miracle ! j’avais plus d’énergie et d’étendue dans la voix qu’aucun des cupidi que j’avais admirés à Chioggia. Jusque-là j’avais cru manquer de puissance, et j’en avais trop. Elle me débordait, elle me brisait. Je me jetai la figure dans les longues herbes, et, en proie à un accès de joie délirante, je fondis en larmes. Ô les premières larmes de l’artiste ! elles seules peuvent rivaliser de douceur ou d’amertume avec les premières larmes de l’amant.
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