Chapter 2

2782 Words
IIUne ronde de nuitDix minutes après, la petite troupe sortait par la rue des Bons-Enfants, derrière la salle de spectacle qu’avait bâtie le cardinal de Richelieu pour y faire jouer Mirame, et dans laquelle le cardinal Mazarin, plus amateur de musique que de littérature, venait de faire jouer les premiers opéras qui aient été représentés en France. L’aspect de la ville présentait tous les caractères d’une grande agitation ; des groupes nombreux parcouraient les rues, et, quoi qu’en ait dit d’Artagnan, s’arrêtaient pour voir passer les militaires avec un air de raillerie menaçante qui indiquait que les bourgeois avaient momentanément déposé leur mansuétude ordinaire pour des intentions plus belliqueuses. De temps en temps des rumeurs venaient du quartier des Halles. Des coups de fusil pétillaient du côté de la rue Saint-Denis, et parfois tout à coup, sans que l’on sût pourquoi, quelque cloche se mettait à sonner, ébranlée par le caprice populaire. D’Artagnan suivait son chemin avec l’insouciance d’un homme sur lequel de pareilles niaiseries n’ont aucune influence. Quand un groupe tenait le milieu de la rue, il poussait son cheval sans lui dire gare, et comme si, rebelles ou non, ceux qui le composaient avaient su à quel homme ils avaient affaire, ils s’ouvraient et laissaient passer la patrouille. Le cardinal enviait ce calme, qu’il attribuait à l’habitude du danger ; mais il n’en prenait pas moins pour l’officier, sous les ordres duquel il s’était momentanément placé, cette sorte de considération que la prudence elle-même accorde à l’insoucieux courage. En approchant du poste de la barrière des Sergents, la sentinelle cria : « Qui vive ? » D’Artagnan répondit, et, ayant demandé les mots de passe au cardinal, s’avança à l’ordre ; les mots de passe étaient Louis et Rocroy. Ces signes de reconnaissance échangés, d’Artagnan demanda si ce n’était pas M. de Comminges qui commandait le poste. La sentinelle lui montra alors un officier qui causait, à pied, la main appuyée sur le cou du cheval de son interlocuteur. C’était celui que demandait d’Artagnan. – Voici M. de Comminges, dit d’Artagnan revenant au cardinal. Le cardinal poussa son cheval vers eux, tandis que d’Artagnan se reculait par discrétion ; cependant, à la manière dont l’officier à pied et l’officier à cheval ôtèrent leurs chapeaux, il vit qu’ils avaient reconnu son Éminence. – Bravo, Guitaut, dit le cardinal au cavalier, je vois que malgré vos soixante-quatre ans vous êtes toujours le même, alerte et dévoué. Que dites-vous à ce jeune homme ? – Monseigneur, répondit Guitaut, je lui disais que nous vivions à une singulière époque, et que la journée d’aujourd’hui ressemblait fort à l’une de ces journées de la Ligue dont j’ai tant entendu parler dans mon jeune temps. Savez-vous qu’il n’était question de rien moins, dans les rues Saint-Denis et Saint-Martin, que de faire des barricades. – Et que vous répondait Comminges, mon cher Guitaut ? – Monseigneur, dit Comminges, je répondais que, pour faire une Ligue, il ne leur manquait qu’une chose qui me paraissait assez essentielle, c’était un duc de Guise ; d’ailleurs, on ne fait pas deux fois la même chose. – Non, mais ils feront une Fronde, comme ils disent, reprit Guitaut. – Qu’est-ce que cela, une Fronde ? demanda Mazarin. – Monseigneur, c’est le nom qu’ils donnent à leur parti. – Et d’où vient ce nom ? – Il paraît qu’il y a quelques jours le conseiller Bachaumont a dit au Palais que tous les faiseurs d’émeutes ressemblaient aux écoliers qui frondent dans les fossés de Paris et qui se dispersent quand ils aperçoivent le lieutenant civil, pour se réunir de nouveau lorsqu’il est passé. Alors ils ont ramassé le mot au bond, comme ont fait les gueux à Bruxelles, ils se sont appelés frondeurs. Aujourd’hui et hier, tout était à la Fronde, les pains, les chapeaux, les gants, les manchons, les éventails ; et, tenez, écoutez. En ce moment en effet une fenêtre s’ouvrit ; un homme se mit à cette fenêtre et commença de chanter : Un vent de FrondeS’est levé ce matin ;Je crois qu’il grondeContre le Mazarin.Un vent de FrondeS’est levé ce matin !– L’insolent ! murmura Guitaut. – Monseigneur, dit Comminges, que sa blessure avait mis de mauvaise humeur et qui ne demandait qu’à prendre une revanche et à rendre plaie pour bosse, voulez-vous que j’envoie à ce drôle-là une balle pour lui apprendre à ne pas chanter si faux une autre fois ? Et il mit la main aux fontes du cheval de son oncle. – Non pas, non pas ! s’écria Mazarin. Diavolo ! mon cher ami, vous allez tout gâter ; les choses vont à merveille, au contraire ! Je connais vos Français comme si je les avais faits depuis le premier jusqu’au dernier : ils chantent, ils payeront. Pendant la Ligue, dont parlait Guitaut tout à l’heure, on ne chantait que la messe, aussi tout allait fort mal. Viens, Guitaut, viens, et allons voir si l’on fait aussi bonne garde aux Quinze-Vingts qu’à la barrière des Sergents. Et, saluant Comminges de la main, il rejoignit d’Artagnan, qui reprit la tête de sa petite troupe suivi immédiatement par Guitaut et le cardinal, lesquels étaient suivis à leur tour du reste de l’escorte. – C’est juste, murmura Comminges en le regardant s’éloigner, j’oubliais que, pourvu qu’on paye, c’est tout ce qu’il lui faut, à lui. On reprit la rue Saint-Honoré en déplaçant toujours des groupes ; dans ces groupes, on ne parlait que des édits du jour ; on plaignait le jeune roi qui ruinait ainsi son peuple sans le savoir ; on jetait toute la faute sur Mazarin ; on parlait de s’adresser au duc d’Orléans et à M. le Prince ; on exaltait Blancmesnil et Broussel. D’Artagnan passait au milieu de ces groupes, insoucieux comme si lui et son cheval eussent été de fer ; Mazarin et Guitaut causaient tout bas ; les mousquetaires, qui avaient fini par reconnaître le cardinal, suivaient en silence. On arriva à la rue Saint-Thomas-du-Louvre, où était le poste des Quinze-Vingts ; Guitaut appela un officier subalterne, qui vint rendre compte. – Eh bien ! demanda Guitaut. – Ah ! mon capitaine, dit l’officier, tout va bien de ce côté, si ce n’est, je crois, qu’il se passe quelque chose dans cet hôtel. Et il montrait de la main un magnifique hôtel situé juste sur l’emplacement où fut depuis le Vaudeville. – Dans cet hôtel, dit Guitaut, mais c’est l’hôtel de Rambouillet. – Je ne sais pas si c’est l’hôtel de Rambouillet, reprit l’officier, mais ce que je sais, c’est que j’y ai vu entrer force gens de mauvaise mine. – Bah ! dit Guitaut en éclatant de rire, ce sont des poètes. – Eh bien, Guitaut ! dit Mazarin, veux-tu bien ne pas parler avec une pareille irrévérence de ces messieurs ! tu ne sais pas que j’ai été poète aussi dans ma jeunesse et que je faisais des vers dans le genre de ceux de M. de Benserade. – Vous, Monseigneur ? – Oui, moi. Veux-tu que je t’en dise ? – Cela m’est égal, Monseigneur ! Je n’entends pas l’italien. – Oui, mais tu entends le français, n’est-ce pas, mon bon et brave Guitaut, reprit Mazarin en lui posant amicalement la main sur l’épaule, et, quelque ordre qu’on te donne dans cette langue, tu l’exécuteras ? – Sans doute, Monseigneur, comme je l’ai déjà fait, pourvu qu’il me vienne de la reine. – Ah oui ! dit Mazarin en se pinçant les lèvres, je sais que tu lui es entièrement dévoué. – Je suis capitaine de ses gardes depuis plus de vingt ans. – En route, monsieur d’Artagnan, reprit le cardinal, tout va bien de ce côté. D’Artagnan reprit la tête de la colonne sans souffler un mot et avec cette obéissance passive qui fait le caractère du vieux soldat. Il s’achemina vers la butte Saint-Roch, où était le troisième poste, en passant par la rue Richelieu et la rue Villedo. C’était le plus isolé, car il touchait presque aux remparts, et la ville était peu peuplée de ce côté-là. – Qui commande ce poste ? demanda le cardinal. – Villequier, répondit Guitaut. – Diable ! fit Mazarin, parlez-lui seul, vous savez que nous sommes en brouille depuis que vous avez eu la charge d’arrêter M. le duc de Beaufort ; il prétendait que c’était à lui, comme capitaine des gardes du roi, que revenait cet honneur. – Je le sais bien, et je lui ai dit cent fois qu’il avait tort, le roi ne pouvait lui donner cet ordre, puisqu’à cette époque-là le roi avait à peine quatre ans. – Oui, mais je pouvais le lui donner, moi, Guitaut, et j’ai préféré que ce fût vous. Guitaut, sans répondre, poussa son cheval en avant, et s’étant fait reconnaître à la sentinelle, fit appeler M. de Villequier. Celui-ci sortit. – Ah ! c’est vous, Guitaut ! dit-il de ce ton de mauvaise humeur qui lui était habituel, que diable venez-vous faire ici ? – Je viens vous demander s’il y a quelque chose de nouveau de ce côté. – Que voulez-vous qu’il y ait ? On crie : « Vive le roi ! » et « À bas le Mazarin ! » ce n’est pas du nouveau, cela ; il y a déjà quelque temps que nous sommes habitués à ces cris-là. – Et vous faites chorus ? répondit en riant Guitaut. – Ma foi, j’en ai quelquefois grande envie ! je trouve qu’ils ont bien raison, Guitaut ; je donnerais volontiers cinq ans de ma paye, qu’on ne me paye pas, pour que le roi eût cinq ans de plus. – Vraiment, et qu’arriverait-il si le roi avait cinq ans de plus ? – Il arriverait qu’à l’instant où le roi serait majeur, le roi donnerait ses ordres lui-même, et qu’il y a plus de plaisir à obéir au petit-fils de Henri IV qu’au fils de Pietro Mazarini. Pour le roi, mort-diable ! je me ferais tuer avec plaisir ; mais si j’étais tué pour le Mazarin, comme votre neveu a manqué de l’être aujourd’hui, il n’y a point de paradis, si bien placé que j’y fusse, qui m’en consolât jamais. – Bien, bien, monsieur de Villequier, dit Mazarin. Soyez tranquille, je rendrai compte de votre dévouement au roi. Puis se retournant vers l’escorte : – Allons, messieurs, continua-t-il, tout va bien, rentrons. – Tiens, dit Villequier, le Mazarin était là ! Tant mieux ; il y avait longtemps que j’avais envie de lui dire en face ce que j’en pensais ; vous m’en avez fourni l’occasion, Guitaut ; et quoique votre intention ne soit peut-être pas des meilleures pour moi, je vous remercie. Et tournant sur ses talons, il rentra au corps de garde en sifflant un air de Fronde. Cependant Mazarin revenait tout pensif ; ce qu’il avait successivement entendu de Comminges, de Guitaut et de Villequier le confirmait dans cette pensée qu’en cas d’évènements graves, il n’aurait personne pour lui que la reine, et encore la reine avait si souvent abandonné ses amis que son appui paraissait parfois au ministre, malgré les précautions qu’il avait prises, bien incertain et bien précaire. Pendant tout le temps que cette course nocturne avait duré, c’est-à-dire pendant une heure à peu près, le cardinal avait, tout en étudiant tour à tour Comminges, Guitaut et Villequier, examiné un homme. Cet homme, qui était resté impassible devant la menace populaire, et dont la figure n’avait pas plus sourcillé aux plaisanteries qu’avait faites Mazarin qu’à celles dont il avait été l’objet, cet homme lui semblait un être à part et trempé pour des évènements dans le genre de ceux dans lesquels on se trouvait, surtout de ceux dans lesquels on allait se trouver. D’ailleurs ce nom de d’Artagnan ne lui était pas tout à fait inconnu, et quoique lui, Mazarin, ne fût venu en France que vers 1634 ou 1635, c’est-à-dire sept ou huit ans après les évènements que nous avons racontés dans une précédente histoire, il semblait au cardinal qu’il avait entendu prononcer ce nom comme celui d’un homme qui, dans une circonstance qui n’était plus présente à son esprit, s’était fait remarquer comme un modèle de courage, d’adresse et de dévouement. Cette idée s’était tellement emparée de son esprit, qu’il résolut de l’éclaircir sans retard ; mais ces renseignements qu’il désirait sur d’Artagnan, ce n’était point à d’Artagnan lui-même qu’il fallait les demander. Aux quelques mots qu’avait prononcés le lieutenant des mousquetaires, le cardinal avait reconnu l’origine gasconne ; et Italiens et Gascons se connaissent trop bien et se ressemblent trop pour s’en rapporter les uns aux autres de ce qu’ils peuvent dire d’eux-mêmes. Aussi, en arrivant aux murs dont le jardin du Palais-Royal était enclos, le cardinal frappa-t-il à une petite porte située à peu près où s’élève aujourd’hui le café de Foy, et, après avoir remercié d’Artagnan et l’avoir invité à l’attendre dans la cour du Palais-Royal, fit-il signe à Guitaut de le suivre. Tous deux descendirent de cheval, remirent la bride de leur monture au laquais qui avait ouvert la porte et disparurent dans le jardin. – Mon cher Guitaut, dit le cardinal en s’appuyant sur le bras du vieux capitaine des gardes, vous me disiez tout à l’heure qu’il y avait tantôt vingt ans que vous étiez au service de la reine ? – Oui, c’est la vérité, répondit Guitaut. – Or, mon cher Guitaut, continua le cardinal, j’ai remarqué qu’outre votre courage, qui est hors de contestation, et votre fidélité, qui est à toute épreuve, vous aviez une admirable mémoire. – Vous avez remarqué cela, Monseigneur ? dit le capitaine des gardes ; diable ! tant pis pour moi. – Comment cela ? – Sans doute, une des premières qualités du courtisan est de savoir oublier. – Mais vous n’êtes pas un courtisan, vous, Guitaut, vous êtes un brave soldat, un de ces capitaines comme il en reste encore quelques-uns du temps du roi Henri IV, mais comme malheureusement il n’en restera plus bientôt. – Peste, Monseigneur ! m’avez-vous fait venir avec vous pour me tirer mon horoscope ? – Non, dit Mazarin en riant ; je vous ai fait venir pour vous demander si vous aviez remarqué notre lieutenant de mousquetaires. – M. d’Artagnan ? – Oui. – Je n’ai pas eu besoin de le remarquer, Monseigneur, il y a longtemps que je le connais. – Quel homme est-ce, alors ? – Eh mais, dit Guitaut, surpris de la demande, c’est un Gascon ! – Oui, je sais cela ; mais je voulais vous demander si c’était un homme en qui l’on pût avoir confiance. – M. de Tréville le tient en grande estime, et M. de Tréville, vous le savez, est des grands amis de la reine. – Je désirais savoir si c’était un homme qui eût fait ses preuves. – Si c’est comme brave soldat que vous l’entendez, je crois pouvoir vous répondre que oui. Au siège de La Rochelle, au pas de Suze, à Perpignan, j’ai entendu dire qu’il avait fait plus que son devoir. – Mais, vous le savez, Guitaut, nous autres pauvres ministres, nous avons souvent besoin encore d’autres hommes que d’hommes braves. Nous avons besoin de gens adroits. M. d’Artagnan ne s’est-il pas trouvé mêlé du temps du cardinal dans quelque intrigue dont le bruit public voudrait qu’il se fût tiré fort habilement ? – Monseigneur, sous ce rapport, dit Guitaut, qui vit bien que le cardinal voulait le faire parler, je suis forcé de dire à Votre Éminence que je ne sais que ce que le bruit public a pu lui apprendre à elle-même. Je ne me suis jamais mêlé d’intrigues pour mon compte, et si j’ai parfois reçu quelque confidence à propos des intrigues des autres, comme le secret ne m’appartient pas, Monseigneur trouvera bon que je le garde à ceux qui me l’ont confié. Mazarin secoua la tête. – Ah ! dit-il, il y a, sur ma parole, des ministres bien heureux, et qui savent tout ce qu’ils veulent savoir. – Monseigneur, reprit Guitaut, c’est que ceux-là ne pèsent pas tous les hommes dans la même balance, et qu’ils savent s’adresser aux gens de guerre pour la guerre et aux intrigants pour l’intrigue. Adressez-vous à quelque intrigant de l’époque dont vous parlez, et vous en tirerez ce que vous voudrez, en payant, bien entendu. – Eh, pardieu ! reprit Mazarin en faisant une certaine grimace qui lui échappait toujours lorsqu’on touchait avec lui la question d’argent dans le sens que venait de le faire Guitaut… on paiera… s’il n’y a pas moyen de faire autrement. – Est-ce sérieusement que Monseigneur me demande de lui indiquer un homme qui ait été mêlé dans toutes les cabales de cette époque ? – Per Bacco ! reprit Mazarin, qui commençait à s’impatienter, il y a une heure que je ne vous demande pas autre chose, tête de fer que vous êtes. – Il y en a un dont je vous réponds sous ce rapport, s’il veut parler toutefois. – Cela me regarde. – Ah, Monseigneur ! ce n’est pas toujours chose facile, que de faire dire aux gens ce qu’ils ne veulent pas dire. – Bah ! avec de la patience on y arrive. Eh bien ! cet homme c’est… – C’est le comte de Rochefort. – Le comte de Rochefort ! – Malheureusement il a disparu depuis tantôt quatre ou cinq ans et je ne sais ce qu’il est devenu. – Je le sais, moi, Guitaut, dit Mazarin. – Alors, de quoi se plaignait donc tout à l’heure Votre Éminence, de ne rien savoir ? – Et, dit Mazarin, vous croyez que Rochefort… – C’était l’âme damnée du cardinal, Monseigneur ; mais, je vous en préviens, cela vous coûtera cher ; le cardinal était prodigue avec ses créatures. – Oui, oui, Guitaut, dit Mazarin, c’était un grand homme, mais il avait ce défaut-là. Merci, Guitaut, je ferai mon profit de votre conseil, et cela ce soir même. Et comme en ce moment les deux interlocuteurs étaient arrivés à la cour du Palais-Royal, le cardinal salua Guitaut d’un signe de la main ; et apercevant un officier qui se promenait de long en large, il s’approcha de lui. C’était d’Artagnan qui attendait le retour du cardinal, comme celui-ci en avait donné l’ordre. – Venez, monsieur d’Artagnan, dit Mazarin de sa voix la plus flûtée, j’ai un ordre à vous donner. D’Artagnan s’inclina, suivit le cardinal par l’escalier secret, et, un instant après, se retrouva dans le cabinet d’où il était parti. Le cardinal s’assit devant son bureau et prit une feuille de papier sur laquelle il écrivit quelques lignes. D’Artagnan, debout, impassible, attendit sans impatience comme sans curiosité : il était devenu un automate militaire, agissant, ou plutôt obéissant par ressort. Le cardinal plia la lettre et y mit son cachet. – Monsieur d’Artagnan, dit-il, vous allez porter cette dépêche à la Bastille, et ramener la personne qui en est l’objet ; vous prendrez un carrosse, une escorte et vous garderez soigneusement le prisonnier. D’Artagnan prit la lettre, porta la main à son feutre, pivota sur ses talons, comme eût pu le faire le plus habile sergent instructeur, sortit, et, un instant après, on l’entendit commander de sa voix brève et monotone : – Quatre hommes d’escorte, un carrosse, mon cheval. Cinq minutes après, on entendait les roues de la voiture et les fers des chevaux retentir sur le pavé de la cour.
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