– Excellent. » Elle sourit, visiblement satisfaite et apparemment convaincue par mon sourire de circonstance que je ne vais pas faire une attaque ou devenir amnésique. Elle n’a visiblement jamais dû servir des tablées de gosses qui dégobillent ni des ivrognes complètement idiots. Je peux supporter un stress bien plus grand. Un stress dû à l’o*****e ? Ouais, c’est pas du stress ça. C’est… étourdissant.
J’essaie de me relaxer. Je m’allonge dans le fauteuil et compte en inspirant. Quatre inspirations, quatre expirations. C’est comme ça que je fonctionne.
La salle est blanche, aseptisée, on se croirait aux urgences, pas dans un centre de recrutement des épouses. Je suppose que les choses se passent différemment lorsqu’on s’enrôle en tant qu’épouse extraterrestre.
Elle effleure une petite tablette, trop rapidement pour que j’arrive à lire quoi que ce soit et franchement, je m’en fiche, tant que ce stupide accouplement fonctionne. J’en ai aucune idée d’ailleurs.
« Ça a marché ? J’ai un partenaire ? » Je jurerais que mon cœur s’est arrêté dans l’attente de sa réponse.
« Oh, oui. Bien sûr que oui. »
Je frissonne et pousse un long soupir qui résonne à mes oreilles, elle pose sa main sur mon épaule en guise de sympathie. « Excusez-moi, je n’avais pas évalué l’ampleur de votre inquiétude. Vous êtes affectée sur Atlan. »
Je connais Atlan ni d’Eve ni d’Adam, mais ça n’empêche pas l’espoir d’envahir mon cœur tel un feu de joie. J’ai un partenaire. Bon sang de bonsoir. « Et ce truc d’accouplement … vous êtes sûre que l’extraterrestre voudra de moi ? Vous êtes sûre que ça marche ?
– Absolument. » Elle me tapote l’épaule et se concentre à nouveau sur sa tablette.
« Même une fille comme moi ? » Merde. Ma peur la plus profondément ancrée a franchi la barrière de mes lèvres. Je me mords la lèvre, espérant ne rien avoir divulgué d’autre.
Elle stoppe net et croise mon regard. « Que voulez-vous dire par ‘une fille comme moi’ ? Vous êtes mariée ? On vous a posé la question, vous avez répondu sous serment. Je ne peux pas vous enrôler si vous avez menti. »
Mariée ? J’aimerais bien.
Je soupire. Bon sang. Je vais devoir le lui répéter combien de fois ? C’est pas les propositions qui doivent manquer avec sa taille 36 et son bonnet C. J’observe ses yeux gris inquiets et décide que oui, je vais encore devoir me répéter. Bon sang. J’inspire profondément et prends mon courage à deux mains. Je crache les mots le plus rapidement possible. « Des filles comme moi. Grandes. »
Elle arque les sourcils, surprise, détaille rapidement ma stature imposante et examine mon visage. J’adore son sourire. « Votre taille n’est pas source d’inquiétude sur Atlan, ma chère. Vous êtes légèrement petite par rapport à un seigneur de guerre Atlan, mais vous êtes sa partenaire. Vous allez vous entendre à merveille. »
« Trop petite ? » Elle se fout de ma gueule ? Je m’habille au rayon grandes tailles depuis que je suis au lycée.
« Les femmes Atlan mesurent au moins vingt centimètres de plus que les Terriennes, les Atlans ont besoin de femmes fortes pour les dompter.
– Que voulez-vous dire par ‘dompter’ ?
– Ce ne sont pas des humains, Tiffani. Les guerriers Atlan cohabitent avec leur bête. La bête surgit lors d’un combat ou lorsqu’ils ont envie de b****r. Imaginez toute une planète peuplée d’hommes semblables à l’Incroyable Hulk. Vous êtes légèrement plus petite que la moyenne, la force ne réside pas uniquement dans le physique, mais également dans mental. Vous êtes parfaite. »
Je repense à cette énorme main agrippant mes poignets, à cette énorme bite qui me dilatait, à cette immense poitrine contre moi…
Je frissonne d’excitation. Oui. J’ai envie de remettre ça. Si l’Atlan ressemble à ça, le jeu en vaut la chandelle. Absolument. « Ok. Je suis prête. »
Elle glousse. « Pas si vite. Nous devons suivre le protocole à la lettre. Veuillez déclinez votre identité afin de valider votre dossier.
– Tiffani Wilson.
– Êtes-vous ou avez-vous été mariée ?
– Non.
– Vous avez des enfants ?
– Non. »
Ses doigts virevoltent sur la tablette, elle poursuit, sa voix monotone est semblable à celle d’un robot, comme si elle récitait son texte pour la centième fois. « En tant qu’épouse, vous ne retournerez jamais sur Terre puisque vous épousez un Atlan, vos déplacements seront soumis aux lois en vigueur sur votre nouvelle planète. Vous abandonnerez votre citoyenneté terrienne et deviendrez citoyenne officielle de votre nouveau monde. »
Merde. Ses paroles me font l’effet d’un coup de tonnerre, l’énormité de ma décision prend tout son sens. Je ne serai plus citoyenne de la planète Terre ? Comment ça peut être possible ?
Une panique glaciale et sourde m’envahit, le mur sur ma gauche coulisse, dévoilant une petite alcôve baignée de lumière bleue.
« Hum …
– Vous faites don de toutes vos économies à la Société Protectrice des Animaux basée à Milwaukee dans le Wisconsin, c’est bien ça ? » demande-telle comme si elle ne s’apercevait pas de mon inquiétude allant crescendo. Je ne serai plus citoyenne de la planète Terre ? Je voulais un compagnon, mais là, ça va peut-être un peu trop loin.
« Mademoiselle Wilson ?
– Oui, vous pouvez tout leur donner. » Je n’ai plus besoin d’argent puisque je ne suis plus une citoyenne de la planète Terre, je n’ai personne à qui le donner. Sofi, mon chat âgé de quinze ans, est mort d’une leucémie l’année dernière. Mes parents sont tous les deux décédés, mes cousins vivent en Californie et nous ne sommes pas vraiment proches. Je suis seule au monde, je n’ai rien à perdre.
Mon fauteuil glisse sur le côté, un bras métallique fiché dans le mur comportant une énorme aiguille se dirige vers moi. Je m’écarte afin de l’éviter.
« N’ayez crainte, Tiffani. C’est pour les neuro-processeurs.
– C’est quoi ce truc ? je regarde l’aiguille avec une inquiétude croissante.
– Des neuro-processeurs. Ils vous aideront à apprendre et comprendre le langage Atlan. »
Ok. Je me fige et serre les poings, mes articulations blanchissent. Un traducteur universel version Star Trek ? N’importe quoi.
L’aiguille me transperce la peau au niveau de la tempe et j’essaie d’ignorer la douleur tandis que l’appareil se retire, pivote sur la gauche et répète l’opération de l’autre côté.
Il réintègre son logement dans le mur, mon fauteuil est agité de secousses, je plonge dans une piscine remplie d’une eau chaude bleue et transparente.
« Le processus débutera dans trois, deux… »
Je ferme les yeux. L’adrénaline fait battre mon cœur à vive allure tandis que j’attends le fameux « un. » J’attends, je peux toujours attendre.
Elle soupire. « Oh non, pas encore. »
Mon fauteuil s’immobilise et j’ouvre les yeux, elle fronce les sourcils. Je la regarde se ruer sur le pupitre de commandes situé dans le mur de la salle d’examen. J’écarquille les yeux de peur et de confusion. « Y’a un problème ? »
Elle me jette un bref coup d’œil mais évite de croise mon regard. « Un problème au centre de téléportation sur Atlan. Je suis désolée. C’est la deuxième fois que ça arrive. »
Génial. Ils ne veulent pas de moi. Je le savais. Mon cœur vole en éclats, tous mes espoirs de trouver un homme qui voudrait vraiment de moi, qui me trouverait belle, sexy et désirable s’envolent, la douleur est poignante, je me sens plus bas que terre, j’avais tant espéré quelque chose de différent. « Très bien. Détachez-moi de ce fauteuil que je rentre chez moi. »
Elle secoue la tête et m’ignore tout en s’adressant à quelqu’un par écran interposé, quelqu’un que je ne vois pas. J’entends sa voix. Il s’agit d’une femme mais je ne comprends pas ce qu’elle dit, je n’entends que la gardienne.
« Que se passe-t-il, Sarah ? Elle marque une pause et écoute. Comment ? Mais c’est impossible. Une autre pause. Je comprends. Qu’est-ce que le seigneur de guerre Dax veut que j’y fasse ? Son énervement va crescendo. Non, il a une partenaire, une humaine. Elle est attachée dans le fauteuil, prête pour la suite. S’ensuit une longue attente. Je ne peux pas. Les permissions de téléportation ont été automatiquement désactivées par le système. Il m’en faut d’autres. Elle soupire. Ok. Donnez-moi cinq minutes. »
La gardienne la salue et se dirige vers moi, les sourcils froncés et les lèvres pincées. Ses épaules sont contractées et elle marche à petits pas rapides, ses muscles sont si contractés qu’elle semble avoir du mal à se mouvoir.
« Y’a un problème ? Dites-moi ce qui se passe. » Je tire sur les courroies tandis que la gardienne lève la main pour essayer de m’apaiser. « Votre partenaire, le Commandant Deek, est en proie à la fièvre d’accouplement. »
Je ne m’attendais pas à ça. Je pensais qu’elle allait me dire que mon partenaire avait changé d’avis. La fièvre d’accouplement ? « Qu’est-ce que c’est ? »
Elle soupire et ses mains retombent le long de son corps. « Les guerriers Atlan sont très grands ; ce sont les guerriers les plus grands et les plus forts de toute la Flotte de la Coalition. »
Mon vagin se contracte. Oh, bon sang, je sais parfaitement qu’ils sont grands. « Et alors ?
– Et alors, comme je vous l’ai expliqué, ils peuvent se métamorphoser en bête, ils deviennent encore plus grands et plus forts dans l’effervescence de la bataille, ou lorsqu’ils …
– b*****t ? » Son marmonnement sourd à mon oreille durant ce rêve d’intégration, cette conversation monosyllabique, prend tout son sens. En mode bête. p****n, c’est chaud. « Et donc ? Il se transforme en Hulk quand il est en colère. J’ai compris. Vous me l’avez déjà dit. Où est le problème ?
– S’ils mettent trop de temps à posséder leur partenaire, ils perdent le contrôle de leur bête. Ils se transforment et ne peuvent plus se retenir. Ils peuvent tuer leurs propres amis et leurs alliés, des hommes avec lesquels ils combattaient depuis des années. À ce stade, personne ne peut les sauver. Ils ne reconnaissent et n’obéissent plus qu’à une seule personne dans tout univers. »
J’attends qu’elle termine, j’ai du mal à respirer.
« Leur partenaire. »
Je me détends, mes épaules se relâchent. « Ok. Génial. Envoyez-moi chez lui. C’est bien ce que préconise le protocole n’est-ce pas ? S’il reconnaît uniquement sa partenaire, il me reconnaîtra et sa bête sera maîtrisée. »
Elle secoue la tête. « Ce n’est pas si simple. Les Atlans sont liés à leur partenaire via des bracelets neurologiques spéciaux. »
Je me rappelle des magnifiques bracelets en or que je portais aux poignets, de leurs étranges dessins. « Je dois porter ces bracelets pour l’aider ?
– Vous devez être unie à lui, être déjà sa partenaire, afin de contrôler sa bête. Je crains qu’il ne soit perdu.
– Perdu ? Ils ne peuvent pas le trouver ?
– Non, la bête a pris le dessus. Je suis désolée, Tiffani, mais on ne peut plus rien pour lui. »
On ne peut plus rien pour lui ? Le seul homme censé me correspondre en tous points dans tout l’univers, censé vouloir de moi, m’aimer et m’accepter telle que je suis est perdu à jamais ?
« Que va-t-il lui arriver ? »
Elle finit par croiser mon regard, il aurait mieux valu que non. Je lis dans ses yeux un profond sentiment de peine et de pitié. « Mon contact sur Atlan, l’épouse que j’ai envoyée il n’y a pas si longtemps que ça me dit qu’il va être exécuté. »