LETTRE IX - Madame de Vernon à M. de Clarimin, à sa terre près de Montpellier

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LETTRE IX Madame de Vernon à M. de Clarimin, à sa terre près de MontpellierParis, ce 2 mai. Toujours des inquiétudes, mon cher Clarimin, sur la dette que j’ai contractée avec vous ! Ne vous ai-je pas mandé plusieurs fois que les réclamations de madame de Mondoville sur la succession de M. de Vernon étaient arrangées par le mariage de son fils avec ma fille ? Je constitue en dot à Mathilde la terre d’Andelys, de vingt mille livres de rente. C’est beaucoup plus que la fortune de son père ; je ne lui devrai donc aucun compte de ma tutelle. Je n’étais gênée que par ce compte et par les diverses sommes que je devais rembourser à madame de Mondoville sur la succession de M. de Vernon. Mais il sera convenu dans le contrat que ces dettes ne seront payées qu’après moi, et je me trouve ainsi dispensée de rendre à Mathilde le bien de son père. Je puis donc vous garantir que vos soixante mille livres vous seront remises avant deux mois. J’ajouterai, pour achever de vous rassurer, que je n’achète point la terre d’Andelys ; c’est madame d’Albémar qui la donne à ma fille. J’avais cru jusqu’à présent cette confidence superflue, et je vous demande un profond secret. Madame d’Albémar est très riche : je ne pense pas manquer de délicatesse en acceptant d’elle un don qui, tout considérable qu’il paraît, n’est pas un tiers de la fortune qu’elle tient de son mari. Cette fortune, vous le savez, devait nous revenir en grande partie. J’ai cru qu’il ne m’était point interdit de profiter de la bienveillance de madame d’Albémar pour l’intérêt de ma fille et pour celui de mes créanciers ; mais il est pourtant inutile que ce détail soit connu. Votre homme d’affaires vous a alarmé en vous donnant comme une nouvelle certaine que je voulais rembourser tout de suite à madame d’Albémar les quarante mille livres qu’elle m’a prêtées à Montpellier. Il n’en est rien ; elle ne pense point à me les demander. Vous m’écririez vingt lettres sur votre dette, avant que madame d’Albémar me dit un mot de la sienne. Ceci soit dit sans vous fâcher, mon cher Clarimin. L’on ne pense pas à vingt ans comme à quarante ; et si l’oubli de soi-même est un agrément dans une jeune personne, l’appréciation de nos intérêts est une chose très naturelle à notre âge. Madame d’Albémar, la plus jolie et la plus spirituelle femme qu’il y ait, ne s’imagine pas qu’elle doive soumettre sa conduite à aucun genre de calcul ; c’est ce qui fait qu’elle peut se nuire beaucoup à elle-même, jamais aux autres. Elle voit tout, elle devine tout, quand il s’agit de considérer les hommes et les idées sous un point de vue général ; mais dans ses affaires et ses affections, c’est une personne toute de premier mouvement, et ne se servant jamais de son esprit pour éclairer ses sentiments, de peur peut-être qu’il ne détruisît les illusions dont elle a besoin. Elle a reçu de son bizarre époux et d’une sœur contrefaite une éducation à la fois toute philosophique et toute romanesque ; mais que nous importe ? Elle n’en est que plus aimable ; les gens calmes aiment assez à rencontrer ces caractères exaltés, qui leur offrent toujours quelque prise. Remettez-vous-en donc à moi, mon cher Clarimin ; laissez-moi terminer le mariage qui m’occupe, et qui m’est nécessaire pour satisfaire à vos justes prétentions ; et voyez dans cette lettre, la plus longue, je crois, que j’aie écrite de ma vie, mon désir de vous ôter toute crainte, et la confiance d’une ancienne et bien fidèle amitié.
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