Chapter 2

752 Words
CHAPITRE PREMIER Une troupe de comédiens arrive dans la ville du MansLe soleil avait achevé plus de la moitié de sa course, et son char, ayant attrapé le penchant du monde, roulait plus vite qu’il ne voulait. Si ses chevaux eussent voulu profiter de la pente du chemin, ils eussent achevé ce qui restait du jour en moins d’un demi-quart d’heure ; mais, au lieu de tirer de toute leur force, ils ne s’amusaient qu’à faire des courbettes, respirant un air marin qui les faisait hennir, et les avertissait que la mer était proche, où l’on dit que leur maître se couche toutes les nuits. Pour parler plus humainement et plus intelligiblement, il était entre cinq et six quand une charrette entra dans les halles du Mans. Cette charrette était attelée de quatre bœufs fort maigres, conduits par une jument poulinière, dont le poulain allait et venait à l’entour de la charrette comme un petit fou qu’il était. La charrette était pleine de coffres, de malles et de gros paquets de toiles peintes, qui faisaient comme une pyramide, au haut de laquelle paraissait une demoiselle habillée moitié ville, moitié campagne. Un jeune homme, aussi pauvre d’habits que riche de mine, marchait à côté de la charrette. Il avait un grand emplâtre sur le visage, qui lui couvrait un œil et la moitié de la joue, et portait un grand fusil sur son épaule, dont il avait assassiné plusieurs pies, geais et corneilles, qui faisaient comme une bandoulière, au bas de laquelle pendaient par les pieds une poule et un oison qui avaient bien la mine d’avoir été pris à la petite guerre. Au lieu de chapeau, il n’avait qu’un bonnet de nuit, entortillé de jarretières de différentes couleurs, et cet habillement de tête était une manière de turban qui n’était encore qu’ébauché et auquel on n’avait pas encore donné la dernière main. Son pourpoint était une casaque de grisette, ceinte avec une courroie, laquelle lui servait aussi à soutenir une épée qui était si longue qu’on ne s’en pouvait aider adroitement sans fourchette. Il portait des chausses troussées à bas d’attaches, comme celles des comédiens quand ils représentent un héros de l’antiquité, et il avait, au lieu de souliers, des brodequins à l’antique que les boues avaient gâtés jusqu’à la cheville du pied. Un vieillard vêtu plus régulièrement, quoique très mal, marchait à côté de lui. Il portait sur ses épaules une basse de v***e, et, parce qu’il se courbait un peu en marchant, on l’eût pris de loin pour une grosse tortue qui marchait sur ses jambes de derrière. Quelque critique murmurera de la comparaison, à cause du peu de proportion qu’il y a d’une tortue à un homme ; mais j’entends parler des grandes tortues qui se trouvent dans les Indes, et de plus, je m’en sers de ma seule autorité. Retournons à notre caravane. Elle passa devant le tripot de la Biche, à la porte duquel étaient assemblés quantité des plus gros bourgeois de la ville. La nouveauté de l’attirail, et le bruit de la canaille qui s’était assemblée autour de la charrette, furent cause que tous ces honorables bourgmestres jetèrent les yeux sur nos inconnus. Un lieutenant de prévôt, entre autres, nommé la Rappinière, les vint accoster et leur demanda avec une autorité de magistrat quelles gens ils étaient. Le jeune homme dont je viens de vous parler prit la parole, et, sans mettre la main au turban, parce que de l’une il tenait son fusil, et de l’autre la garde de son épée, de peur qu’elle ne lui battît les jambes, lui dit qu’ils étaient Français de naissance, comédiens de profession que son nom de théâtre était Destin ; celui de son vieux camarade, la Rancune ; celui de la demoiselle qui était juchée comme une poule au haut de leur bagage, la Caverne. Ce nom bizarre fit rire quelques-uns de la compagnie ; sur quoi le jeune comédien ajouta que le nom de la Caverne ne devait pas sembler plus étrange à des hommes d’esprit que ceux de la Montagne, la Vallée, la Rose ou l’Épine. La conversation finit par quelques coups de poing et jurements de Dieu que l’on entendait au-devant de la charrette. C’était le valet du tripot qui avait battu le charretier sans dire gare, parce que ses bœufs et sa jument usaient trop librement d’un amas de foin qui était devant la porte. On apaisa la noise, et la maîtresse du tripot, qui aimait la comédie plus que sermon ni vêpres, par une générosité inouïe en une maîtresse de tripot, permit au charretier de faire manger ses bêtes tout leur soûl. Il accepta l’offre qu’elle lui fit, et, pendant que les bêtes mangèrent, l’auteur se reposa quelque temps, et se mit à songer à ce qu’il dirait dans le second chapitre.
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