Emmanuel se déplace rapidement, touche le ballon comme s’il était né avec, comme si c’était son meilleur ami, il regarde ses coéquipiers et commence à courir le long du terrain, faisant correspondre ses pas avec les mouvements du ballon, il se lève du sol, saute avec une grande puissance et envoie le ballon directement au panier et le passe au milieu, marquant trois points pour son équipe.
Les gars de son équipe courent vers lui et l’embrassent, ils sourient tous et crient.
— Bravo Emmanuel, tu es un monstre ! —Je tourne mon regard vers le propriétaire de la voix forte et claire, qui depuis quelques mois tourmente mes nuits, Enzo est un garçon du quartier, il est un peu plus grand que moi et chaque fois que je le vois, mes terminaisons nerveuses tressaillent, seulement, il a toujours voulu plus que ce que je peux lui donner — Saluez mon nouveau beau-frère — Les gars autour de lui sourient, Enzo me regarde, se mord les lèvres et tient son membre, une main sur ses vêtements, l’autre pointant l’endroit qu’il tient.
Le geste n’est pas du tout érotique ou excitant, comme il le prétend, alors je me concentre sur Emmanuel, qui en ce moment bouge très lentement, contrairement à tout à l’heure.
— Allez, on y va Manu — je crie et je tape dans mes mains, mon frère est ma fierté, chaque jour qui passe, je remercie la vie de pouvoir l’avoir avec moi.
— Es-tu la copine d’Enzo ? — Nous rentrons à la maison, nous vivons dans des complexes résidentiels publics, où les familles, après avoir demandé de l’aide au gouvernement, peuvent avoir accès à des appartements avec des loyers avantageux, les gens les appellent des cités et elles se caractérisent par des quartiers populaires et pauvres, où vivent un nombre considérable d’immigrés.
— Non, pas du tout, d’où tu sors tout ça ? — Je lui demande en lui ébouriffant les cheveux, j’ai dix ans de plus que lui, mais il m’a rattrapé.
— Les gens commentent, tu sais — je lui ébouriffe à nouveau les cheveux — Gia ! Je ne suis pas un bébé, arrête de faire ça — Nous continuons à marcher, j’aime ces moments, quand je peux le serrer dans mes bras, faire une activité ensemble ou le regarder faire du sport. Même s’ils sont moins nombreux aujourd’hui.
Lorsque j’ai terminé le lycée, mon frère a été diagnostiqué avec un diabète de type 1, bien que la sécurité sociale en France soit excellente et couvre tous ses examens, traitements et médicaments, y compris l’insuline, les habitudes alimentaires de mon petit frère ont complètement changé, et ma mère et moi avons été obligées d’acheter des produits plus chers, et de préparer tous les repas de mon frère à la maison, auparavant il mangeait au restaurant scolaire, ce qui est très favorable, mais comme il a été déclaré comme ayant des besoins spéciaux, nous sommes maintenant en charge de ses repas.
Ma mère a été appelée à plusieurs reprises à l’école lorsque mon frère ne se sentait pas bien, et elle a commencé à travailler moins.
J’avais l’intention d’entrer à l’école de médecine, mais j’ai décidé d’économiser de l’argent et de m’inscrire l’année suivante, mais j’ai alors réalisé que je devais non seulement payer les frais d’inscription à l’université, qui n’étaient finalement pas très élevés, mais aussi couvrir toutes mes dépenses, de sorte qu’une année s’est transformée en une autre et que j’ai continué à vivre avec ma mère et à travailler comme femme de ménage dans des maisons et des entreprises.
Cette année, j’ai finalement décidé de passer l’examen pour entrer à l’université, et je me suis donc consacrée à l’étude pendant quelques heures que j’avais de libre.
Mais entre l’aide apportée à mon frère et le travail, je n’ai finalement pas eu beaucoup de temps et j’ai commencé à me coucher plus tard et à me lever plus tôt, si bien que j’ai très peu dormi jusqu’à il y a deux jours, lorsque j’ai passé l’examen.
— Tu seras toujours mon bébé — je réponds à mon petit frère en le serrant dans mes bras, je l’aime tellement que parfois je me dis que je ne supporterais pas qu’il lui arrive quelque chose de grave.
— Ne fais pas ça Gia, je suis un grand garçon et les garcons du quartier vont se moquer de moi — Je me mords les lèvres pour m’empêcher de rire à gorge déployée.
Chaque jour, quand j’ai fini d’étudier et que je vais me coucher, je m’arrête dans sa chambre et je le regarde, j’attends anxieusement qu’il respire et quand j’ai des doutes sur le fait qu’il respire ou non, je tends la main et je touche sa poitrine, j’ai besoin de sentir ma main bouger au rythme de sa respiration pour pouvoir dormir paisiblement.
— Ne t’inquiète pas, c’est clair pour moi, tu es un grand garçon, pas de câlins ni de bisous — lui dis-je en essayant d’avoir l’air très sérieux.
— Ne le prends pas au pied de la lettre Gia, à la maison tu peux encore le faire — me dit-il et je me force à ne pas le serrer dans mes bras.
— C’est gentil de ta part, jeune homme — Mon petit frère me regarde, sourit et une seconde plus tard, il s’arrête, se penche et porte les mains à ses genoux, puis il s’évanouit devant moi, c’est comme si quelqu’un l’avait éteint, juste comme ça, tout à coup — Manu ! — Je crie et je me déplace aussi vite que possible pour l’empêcher de tomber par terre — Au secours ! — Je crie et en quelques secondes des voisins arrivent —Emmanuel, réponds-moi s’il te plaît. Emmanuel ! — Mes cris et mes larmes se mêlent au murmure des gens, je ne peux pas le perdre, c’est mon petit frère, je dois le protéger.
— Je ne sais pas quoi faire, je n’ai presque pas dormi depuis trois jours, Emmanuel a fait un coma diabétique et apparemment c’est quelque chose qui n’arrive pas souvent, ma mère a fait une crise et s’est rendue responsable de ce qui s’est passé.
Je suis angoissée, la maladie de mon frère est devenue beaucoup plus compliquée, ma mère doit rester à la maison pendant un certain temps pour s’occuper de lui et malgré l’aide que nous recevons de l’Etat, nous ne pouvons pas négliger sa nourriture, alors j’ai travaillé beaucoup plus ces derniers jours, mais ce n’est pas assez, je n’ai pas pu économiser plus d’argent et je ne sais pas si je pourrai aller à l’université, en étudiant je n’aurai pas le temps de travailler et d’aider ma mère.
— Ouvre le message — J’ai reçu la réponse de l’université, mais je n’ose pas ouvrir l’e-mail, Ariana, ma meilleure amie, m’a invité à aller à prendre un café à Paris.q
— Je ne peux pas faire ça, ça me mettrait à la croisée des chemins, quelle que soit la réponse — lui dis-je en mangeant une part de gâteau au chocolat.
— Tu dois regarder et si tu as réussi, nous chercherons une solution Gia, des opportunités comme celle-ci ne se présentent pas tous les jours, tu dois les saisir, tu ne peux pas les laisser passer — Ariana a toujours dit que je serais la seule à pouvoir aller à l’université, mais bientôt j’aurai vingt-deux ans et quatre ans après avoir terminé le lycée, je n’ai pas réussi à le faire.
— C’est inutile — je me lève — je dois aller travailler — le bras d’Ariana bouge rapidement et sa main prend la mienne.
— Tu ne bougeras pas d’ici tant que tu n’auras pas lu ce stupide courrier — me dit-elle, je ne l’ai jamais vue aussi sérieuse — J’ai confiance en toi et je suis sûre que tu as été acceptée, alors arrête de faire la lâche et ouvre ce p****n de courrier — Elle me prend le téléphone et essaie de le manipuler.
— Tu ne connais pas le code — je lui dis et elle sourit.
— C’est ce que tu crois — elle bouge ses doigts avec agilité puis s’immobilise, je regarde ses pupilles s’agrandir puis elle se lève de sa chaise et commence à crier — Tu as réussi, tu as réussi ! Mon amie va entrer dans la meilleure école de médecine de ce p****n de pays ! Tu es un p****n de génie ! — Elle continue de crier et je meurs d’embarras, les clients du café nous regardent un moment, puis vaquent à leurs occupations.
— Ariana, assieds-toi, tu me mets mal à l’aise — je chuchote et lui tire le bras.
— Tu dois y aller, s’il te plaît Gia, j’ai besoin d’un pédiatre pour s’occuper de mes futurs enfants, gratuitement — Je souris, j’ai toujours voulu être pédiatre.
— Je ne peux pas maintenant, Ari, si je vais à l’université, je n’aurais pas le temps de travailler et je ne veux pas qu’il arrive quelque chose à Emmanuel — Ariana me regarde et fronce les sourcils, je sais que c’est une opportunité incroyable, mais malheureusement, ce n’est pas le moment.
— J’ai une idée — En fait, les idées d’Ariana sont incroyablement folles et hors de la réalité, alors je la regarde et je souris tristement, je l’aime, mais ses idées sont une perte de temps, en plus d’être parfois dangereuses — Viens travailler avec moi au club, Ils cherchent une fille pour le service de minuit, c’est le service le plus compliqué, mais celui qui paie le mieux et à deux heures du matin, tu as fini, ils te renvoient chez toi en voiture et tu n’as plus qu’à être là à vingt heures — Je la regarde comme si elle était devenue folle.
— À quelle heure penses-tu que je vais étudier ? — Ariana a commencé à travailler il y a quelques mois dans un club exclusif à Paris, c’est censé être un endroit où seules les personnes très riches et importantes vont, elle est serveuse et gagne de bons pourboires.
— Fais-le pendant ces mois, profite de l’été pour économiser, avant de devoir commencer les cours, je t’assure qu’ils te paieront très bien et puis tu t’organiseras — Je la regarde fixement, parce que pour la première fois son idée ne me semble pas si farfelue.
— Je ne sais pas Ariana — Elle me montre le courrier et tapote du doigt sur le portable.
— C’est ta seule chance de sortir du quartier, ce que tu as toujours voulu et ce pour quoi tu t’es toujours battue Gia — Elle a raison, mais parfois ça ne suffit pas — Vas y Gia ! Tu peux le faire, tout comme tu as inexplicablement réussi à garder ta virginité à ton âge et à notre époque, et encore plus avec cet idiot d’Enzo qui veut te déflorer — Je porte mes mains à mon visage, j’espère que personne ne l’a entendue, parce que pour une raison que j’ignore, être vierge à vingt-deux ans n’est pas considéré comme une source de fierté.
— Il faut que j’y aille — Je m’éloigne de mon amie en pensant à l’adolescente que j’étais, celle qui criait qu’elle étudierait jusqu’à se brûler les cils pour devenir médecin et faire sortir sa mère et son frère du quartier où nous vivons.
Je marche sans me retourner, tandis que des larmes glissent sur mes joues, cela fait mal d’avoir devant toi l’opportunité pour laquelle on s’est tant battu et de la laisser passer, cela fait mal de voir comment la vie crée des obstacles à chaque pas que l’on fait pour avancer et qu’il faut s’adapter à tout ce qui vient, pour survivre.
Quand j’étais adolescente, je rêvais de voyager, d’étudier et de travailler dans un grand hôpital, d’acheter une maison avec un jardin pour ma mère et de payer les études supérieures de mon frère.
Je m’arrête devant l’impressionnant bâtiment d’architecture haussmannienne où se trouve l’appartement que je dois nettoyer, je sens mon âme s’effondrer, ce n’était pas ce que j’avais prévu ou ce que j’attendais de ma vie ; cependant, maintenant que je suis là et que je dois aller de l’avant, j’essuie mes larmes et je marche d’un pas ferme.
Je suis Gia Santos, une jeune fille dont la mère est immigrée et qui est toujours vierge à vingt-deux ans. Une fille qui n’a jamais soupçonné que sa vie pouvait changer en une seule nuit et pour toujours.