Les Coleman. Bien sûr. C’est là qu’il devait se trouver.
-- Et aussi, continua Luisa du même souffle, nous allons ce soir chez les Frank. Il faut que tu viennes! On s’ennuie tellement de toi. Bien sûr, tu invites aussi Caleb. Ça va être une fête super. La moitié de la classe y sera. Il faut que tu sois là.
-- eh bien… je ne sais pas… La cloche retentit.
-- Il faut que j’y aille! Je suis contente que tu sois revenue. Je t’adore. Appelle-moi. Bye! dit-elle en fai- sant un signe de la main à Caleb.
Elle se retourna aussitôt pour partir rapidement dans le hall.
Caitlin se plut à imaginer qu’elle était revenue dans
sa vie ordinaire. sortant avec ses amies, se rendant à des fêtes, fréquentant l’école, recevant son diplôme. C’était une sensation agréable. Pendant un moment, elle essaya vraiment de refouler les événements de la semaine précédente dans un coin de son esprit. Elle essaya d’imaginer qu’il n’était rien arrivé.
Mais elle regarda par-dessus son épaule et vit Caleb, et la vérité refit surface. Sa vie avait changé. Pour toujours. Rien ne serait plus jamais comme avant. elle devait l’accepter.
Sans ignorer qu’elle avait tué quelqu’un, et que la police était à sa recherche. Ce n’était qu’une question de temps avant qu’on lui mette la main au collet, peu importe où. sans compter qu’une espèce entière de vampires était à sa poursuite, pour la tuer. Et sans oublier que l’épée qu’elle recherchait pourrait sauver de très nombreuses vies.
La vie avait changé, et ne redeviendrait plus ce qu’elle était. Elle devait accepter sa condition actuelle.
Caitlin passa sa main sous le bras de Caleb, et le guida vers l’entrée principale. Les Coleman. Elle savait où ils vivaient. Et c’était logique que Sam se retrouve là. S’il n’était pas à l’école, il devait probablement y être en ce moment. C’est là qu’ils devaient se rendre.
En traversant la porte, passant dans l’air frais du dehors, elle s’émerveilla de voir combien il était agréable de sortir à nouveau de cette école secon- daire
— cette fois pour toujours.
*
Caitlin et Caleb entrèrent sur la propriété des Coleman. La neige qui recouvrait la pelouse craquait sous leurs pas. La maison elle-même était plutôt modeste — un bungalow rustique sur le bord d’une route de cam- pagne. Mais loin derrière, au fond du domaine, il y avait une grange. Caitlin aperçut toutes les camion- nettes déglinguées, garées n’importe comment sur le terrain. elle vit les traces de pas sur la glace et la neige, et elle sut qu’un bon nombre de personnes s’étaient dirigées vers la grange.
C’est ce que les jeunes faisaient à Oakville — ils se rencontraient dans la grange de l’un ou l’autre. Oakville est une banlieue rurale, ce qui permet de se tenir dans un bâtiment loin de la maison des parents, afin qu’ils ne sachent pas ou ne se préoccupent pas de ce que font les jeunes. C’est beaucoup mieux que de se réunir dans un sous-sol. Vos parents n’entendent rien. Et vous avez une entrée — et une sortie — privée.
Caitlin prit une profonde inspiration en marchant jusqu’à la grange, avant de faire coulisser l’épaisse porte de bois.
La première chose qui la frappa fut l’odeur. Celle de la m*******a. Il y en avait des nuages.
Mélangée à l’odeur rance de la bière. Beaucoup trop de bière.
Puis, ce qui la frappa — plus que le reste — fut l’odeur d’un animal. elle n’avait jamais eu les sens aussi aiguisés auparavant. La présence de l’animal se manifestait avec force par tous ses sens, comme si elle venait de respirer de l’ammoniac.
elle regarda vers sa droite et agrandit du regard une zone précise. Là, dans le coin, se tenait un gros rottweiler. Il se redressa lentement, la regarda et gronda. C’était un grondement sourd et guttural. Butch. elle se souvenait de lui maintenant. Le rot- tweiler teigneux des Coleman. Comme si les Coleman avaient besoin d’un chien méchant pour ajouter à leur mauvaise réputation.
Les Coleman avaient toujours été un fléau. Trois frères de 17, 15 et 13 ans; Sam s’était lié d’amitié avec celui de 15 ans, Gabe. Chacun était plus mauvais que le précédent. Leur père les avait quittés il y a un bon moment déjà, et leur mère n’était jamais là. Ils s’éle- vaient seuls en quelque sorte. Malgré leur âge, ils étaient toujours saouls ou gelés, et séchaient l’école la plupart du temps.
Caitlin était fâchée que Sam les fréquente. Ça ne pouvait donner rien de bon.
Il y avait aussi de la musique en fond sonore. Pink Floyd. Wish You Were Here.
Bien sûr, pensa Caitlin.
Il faisait sombre dans la grange, en comparaison avec la lumière étincelante du soleil. Il fallut un certain temps à Caitlin pour s’habituer à la pénombre.
Puis, elle l’aperçut. Sam. Il était assis au centre du canapé usé, entouré d’une douzaine de garçons. Gabe était d’un côté, et Brock de l’autre.
Sam était penché sur une pipe à eau. Il finissait de prendre une bouffée. Il lâcha la pipe et se pencha en arrière, gardant la fumée dans ses poumons. Beaucoup trop longtemps. Puis, il expira enfin.
Gabe lui tapa sur l’épaule, et Sam leva les yeux. Il regarda en direction de Caitlin, l’air complètement défoncé. Ses yeux étaient injectés de sang.
Caitlin ressentit une douleur viscérale. Elle était terriblement déçue. Elle se sentait comme si c’était de sa propre faute. Elle songea à la dernière fois qu’ils s’étaient vus, à New York, et à leur dispute. Elle lui avait crié « Alors va-t-en! » d’un ton hargneux. Pour- quoi avait-elle été aussi agressive? Pourquoi n’avait- elle pas eu la chance de se rattraper?
Maintenant, il était trop tard. Si elle avait bien choisi ses mots, peut-être que tout serait différent à l’heure actuelle.
Elle eut également une bouffée de colère. Contre les Coleman, contre tous les garçons qui traînaient dans la grange, assis sur ces canapés et ces chaises usés, sur des bottes de foin, buvant, fumant, gaspillant leur vie. Ils avaient le droit de gâcher leur vie. Mais ils n’avaient pas le droit d’entraîner Sam. il valait mieux qu’eux tous. Il avait simplement manqué d’encadre- ment. Il n’avait pas eu de figure paternelle, n’avait pas reçu d’affection de leur mère. C’était un garçon super, et elle savait qu’il pourrait être le premier de sa classe, si seulement il avait eu un domicile un peu stable. Malheureusement, n’était-il pas trop tard déjà? Il avait simplement décidé de s’en foutre.
elle marcha dans sa direction.
— Sam? l’interrogea-t-elle.
il lui rendit son regard, sans dire un mot.
Il était difficile de déchiffrer ce qu’il y avait dans ce regard. Était-ce l’effet de la d****e? Faisait-il sem- blant de l’ignorer? Ou n’avait-il vraiment plus aucune affection pour elle?
son regard apathique la blessa plus que le reste. Elle s’était imaginé qu’il serait heureux de la revoir, qu’il se lèverait pour la prendre dans ses bras. Mais pas ça. Il semblait s’en foutre totalement. Comme si elle était une étrangère. Jouait-il les durs devant ses amis? Ou avait-elle vraiment tout fichu en l’air, pour de bon cette fois?
Il se passa un moment, avant qu’il ne détourne le regard, passant la pipe à eau à l’un de ses amis. il garda la tête tournée vers ses amis, ignorant délibérément sa sœur.
— Sam! dit-elle plus fort, son visage s’empour- prant de colère. Je te parle!
Elle entendit ses ratés d’amis ricaner, et sentit la colère monter en elle comme une forte marée. Elle commença également à sentir autre chose. Un instinct animal. La colère avait atteint un point où elle deve- nait presque incontrôlable, et Caitlin eut peur de sortir de ses gonds. Elle n’était pratiquement plus humaine. Elle était devenue une bête.
Ces garçons étaient costauds, mais la force qui se répandait dans ses veines lui assurait de venir à bout de n’importe lequel en un instant. Elle avait beau- coup de difficulté à contenir sa rage, et souhaita être assez forte pour se maîtriser.
Au même moment, le grondement du rottweiler monta d’un cran, tandis qu’il s’approchait d’elle. C’était comme s’il sentait que quelque chose était sur le point de se produire.
Elle sentit une pression délicate sur son épaule. Caleb. Il était toujours là. Il avait dû sentir sa colère monter, le lien animal entre eux deux. Il essayait de l’apaiser, de lui dire de se contrôler, de ne pas éclater. Sa présence la rassura, mais ce n’était pas facile.
Sam se retourna et la regarda enfin. Elle pouvait voir son air de défi. Il était toujours en colère. C’était évident.
-- Qu’est-ce que tu veux? dit-il d’un ton sec.
-- Pourquoi tu n’es pas à l’école? s’entendit-elle dire d’abord.
Elle ne savait pas pourquoi elle avait dit ça, surtout avec toutes les autres questions qu’elle avait à lui poser. Mais son instinct maternel avait pris le dessus. et c’est ce qui était sorti.
encore plus de ricanements. sa colère monta d’un cran.
-- Qu’est-ce que ça peut te faire? dit-il. Tu m’as dit de partir.
-- Je suis désolée, dit-elle. Ce n’est pas ce que je voulais dire.
Elle était heureuse d’avoir eu une chance de lui dire.
Mais ça ne sembla pas le calmer. Il lui rendit sim- plement son regard.
-- Sam, il faut que je te parle. En privé, dit-elle.
elle voulait le sortir de cet endroit, le conduire à l’air frais, être seule avec lui, afin qu’ils puissent vrai- ment parler. Elle ne s’inquiétait pas seulement de leur père, elle s’inquiétait pour lui. Elle voulait qu’ils se parlent, comme ils avaient l’habitude de le faire. Et lui apprendre ce qui était arrivé à leur mère. De la manière la plus douce possible.
Mais elle n’aurait pas cette chance. elle s’en doutait bien maintenant. Les choses s’envenimaient. elle sen- tait que l’énergie était trop néfaste dans cette grange bondée. Trop violente. Elle pouvait sentir qu’elle per- dait le contrôle. Malgré la main de Caleb, elle pourrait ne pas être en mesure d’arrêter ce qui la submergeait.
-- Je suis bien où je suis, dit Sam.
elle put entendre ses amis rigoler encore.
-- Relaxe! lui dit un des garçons. T’es trop tendue.
Viens t’asseoir. Prends une puff. il lui tendit la pipe à eau.
Elle se tourna pour le dévisager.
-- Tu peux te l’enfoncer où je pense! s’entendit- elle dire en serrant les dents.
Il y eut du chahut dans le groupe de garçons.
-- Oh, touché! cria l’un d’eux.
Le garçon qui lui avait offert une taffe se redressa. Il était grand et musclé. Elle se rappela qu’il avait été viré de l’équipe de football. Son visage était cramoisi.
-- Qu’est-ce que tu viens de me dire, s****e? dit-il une fois debout.
Elle leva le regard. Il était beaucoup plus grand que dans son souvenir, au moins 1 m 98. elle put sentir la poigne de Caleb se crisper sur son épaule. Elle ne savait pas si c’était parce qu’il l’enjoignait de se calmer ou parce qu’il se mettait lui-même en colère.
La tension monta d’un cran dans la pièce.
Le rottweiler se faufila plus près. Il n’était plus qu’à un mètre environ. Grognant comme un dingue.
-- Relaxe, Jimbo, dit Sam à son ami.
C’était le Sam protecteur. Peu importe ce qui arri- verait, il la protégerait.
-- elle est chiante, mais ce n’est pas ce qu’elle vou- lait dire. C’est toujours ma sœur. Laisse tomber.
-- C’est exactement ce que je voulais dire, cria Caitlin, plus fâchée que jamais. Vous pensez que vous êtes trop cool? Que vous pouvez geler mon frère? Mais vous êtes une b***e de ratés! Vous n’allez nulle part. Si vous voulez gâcher votre vie, allez-y, mais laissez Sam en paix!
Jimbo avait l’air plus emporté encore. Il avança vers elle avec un air menaçant.
-- Tiens, tiens, qui nous avons là? Mademoiselle la professeure. Mademoiselle maman. Qui est venue ici pour nous dire quoi faire!
Il y eut un éclat de rire général.
-- Tant qu’à y être, venez donc me donner une leçon, toi et ta pédale d’ami!
Jimbo s’avança tout près, leva sa main grosse comme une patte et poussa du doigt sur l’épaule de Caitlin.
Grossière erreur.
La colère de Caitlin explosa, sans qu’elle ne puisse rien y faire. Au moment même où le doigt la touchait, elle agrippait le poignet de Jimbo à la vitesse de l’éclair et le tordait vers l’arrière. Il y eut un craquement sec tandis qu’elle cassait son poignet.
elle lui remonta le poignet haut derrière le dos et le poussa face première contre le sol.
En moins d’une seconde, il était cloué sans défense sur le sol, face contre terre. Elle posa un pied derrière son cou et le maintint fermement contre le plancher.
Jimbo hurla de douleur.
-- Jésus-Christ, mon poignet, mon poignet! La s****e! Elle m’a cassé le poignet!
Sam se redressa comme les autres, et observa la scène, abasourdi. Il semblait vraiment secoué. Comment sa sœur avait réussi à terrasser un gars aussi grand, et aussi rapidement, il n’en avait aucune idée.
-- Excuse-toi, gronda Caitlin.
Elle était surprise du son de sa propre voix.
Gutturale. Comme celle d’un animal.
-- Je m’excuse. Je m’excuse, je m’excuse! cria Jim, en pleurnichant.
Caitlin voulait le laisser partir, en rester là, mais une partie d’elle-même ne voulait pas céder. La rage s’était emparée d’elle trop rapidement, trop fortement. elle ne pouvait en rester là. sa rage continuait de croître. Elle voulait tuer ce garçon. Ça n’avait aucun sens, mais elle le voulait vraiment.
-- Caitlin!? cria Sam.
elle pouvait entendre la peur dans sa voix.
-- s’il te plaît!
Mais Caitlin ne pouvait s’arrêter. elle allait vrai- ment tuer ce garçon.
au même moment, elle entendit un grognement et, du coin de l’œil, elle aperçut le chien. Il bondit comme une flèche, les dents prêtes à s’enfoncer dans sa gorge.
Caitlin réagit instantanément. Elle lâcha Jimbo et d’un même mouvement, captura le chien dans les airs. elle l’attrapa par le ventre, le souleva et le projeta.
il vola dans les airs, sur trois mètres, six mètres, avec une telle force qu’il traversa la pièce et le mur de bois de la grange. Le mur se fendit en produisant un bruit v*****t, tandis que le chien jappait et continuait sa course de l’autre côté.
Tout le monde dans la pièce avait les yeux rivés sur Caitlin. ils n’arrivaient pas à concevoir ce qu’ils venaient de voir. C’était de toute évidence une mani- festation de force et de vitesse surhumaines, et il n’y avait aucune explication logique à tout ça. Ils la regar- daient tous, bouche bée.
Caitlin se sentit submergée par l’émotion. La colère. La tristesse. elle ne savait plus ce qu’elle ressentait, et ne se faisait plus confiance. Elle n’arrivait plus à parler. Il fallait qu’elle sorte. Elle savait que Sam ne la suivrait pas. Il n’était plus le même désormais.
Tout comme elle.