Point de vue de Winter
Je me force à me réveiller tôt le lendemain matin, afin de me préparer pour l'école. Je suis tellement fatiguée que je peux à peine voir clair et je fais tout ce que je peux pour me mettre sous la douche et m'habiller. Damien est rentré tard hier soir et a insisté pour que je fasse ses devoirs, et comme je n'allais pas assez rapidement à son goût, il m'a donné un coup de poing dans le ventre, sans parler du fait qu'il a jeté son fichu sac d'école sur moi. Ça a été une nuit extrêmement longue, passée à faire mes devoirs en plus des siens. Mon Dieu, je le déteste.
Je n'ai pas pu m'empêcher de m'arrêter pour me tourner et regarder dans le miroir abîmé sur ma commode en piteux état. Je ne suis pas surprise par les gros cernes sombres sous mes yeux ou la maigreur de ma silhouette. Je déteste mon apparence et je sais que je suis moche. Mon visage est pâle, plus blanc que de la porcelaine, mes yeux d'un bleu terne, et mes cheveux sont blonds frisés, longs et longiligne. Peu importe à quel point je lave mes cheveux, cela n'a jamais semblé faire de différence. Mes vêtements sont déchirés, des vêtements des magasins d'occasion, des jeans avec des trous aux genoux, et un pull deux fois plus grand que moi qui me descend jusqu'aux genoux. Je n'ai vraiment rien de mieux à porter et je mets mes vieilles baskets en soupirant. Leur semelle est usée à force de les porter et je sais qu'un jour prochain, je devrai aller faire un tour dans les friperies pour en trouver une nouvelle paire à utiliser.
J'ai à peine le temps de faire grésiller le bacon dans la poêle et de préparer les crêpes que mon père entre en titubant, l'air pâle et épuisé, les yeux rouges et gonflés tandis qu'il s'assied là, attendant impatiemment sa nourriture. Il a l'air en piteux état et j'espère qu'il se nettoiera avant d'aller au travail, car à ce rythme-là, il va perdre son emploi. Mais cela n'a pas l'air de le déranger.
"Voici ton café", dis-je très doucement, le plaçant à côté de son coude et espérant vivement qu'il le boirait cette fois-ci au lieu de le jeter. Apparemment, il était trop fatigué pour le faire cette fois-ci et il l'a bu sans hésitation ni plainte. Damien est également arrivé en titubant et s'est assis à la table, me lançant un regard noir pendant qu'il attendait, tapant des doigts sur la table alors que je me dépêchais du mieux que je pouvais. Pour une fois, j'aimerais qu'ils se bougent le cul et qu'ils me donnent un coup de main. Ça ne les tuerait pas de m'aider, n'est-ce pas ? En plus, il est assez grand pour se faire son propre petit déjeuner, pour l'amour du ciel. Mais je n'ose pas le lui dire, cependant, je n'ai pas vraiment envie d'avoir un autre bleu.
"Voilà", leur dis-je doucement, en plaçant leurs grandes assiettes devant eux et en retournant vers le banc oû attendent mon misérable morceau de bacon et une tranche de pain grillé. Ce n'est même pas assez pour combler ma faim, mais je n'ose pas en prendre plus au cas où ils me verraient. Je m'arrête net quand Damien se lève de table et s'approche, me regardant avec malice. Il trame quelque chose, je le sais déjà et je sens monter en moi un sentiment de crainte. J'essaie de garder mon visage neutre pour qu'il ne voie pas ou ne sente pas ma peur à son égard.
"Qu'est-ce que tu fais", a-t-il dit, et je le regarde avec curiosité, mon cœur commençant déjà à battre follement dans ma poitrine, anticipant ce qui est sur le point de se produire alors que je retiens mon souffle.
"Je prends mon petit déjeuner", dis-je nerveusement, et avant que je ne puisse l'arrêter, sa main se précipite et envoie l'assiette voler par terre, tandis que je le regarde, lui et l'assiette cassée, avec consternation. Mais bon sang, qu'est-ce qui lui prend ?
"Oups", dit-il sournoisement. "On dirait que tu vas encore te passer de gras", il lâche alors qu'il s'assied et commence à dévorer son propre délicieux petit déjeuner. Je ne dis rien. Je ne suis pas grosse, au contraire, je suis loin de l'être étant donné que j'ai très rarement l'occasion de manger. Mais, après tout, quel serait l'intérêt ? Damien peut faire ce qu'il veut de moi et mon père ne l'arrêtera jamais, pas quand il approuve ce que mon frère me fait. Je garde mes larmes pour moi-même, mon estomac gronde de faim.
Je prends une grande inspiration tremblante et me penche pour ramasser les morceaux de l'assiette cassée. Je salive à la vue du bacon et des toasts qui jonchent le sol, mais ils sont couverts de saleté et seraient dégoûtants à manger. Je me force à les jeter à la poubelle. Un morceau pointu de l'assiette me coupe le doigt et je regarde le sang couler avec fascination. Ça ne fait même pas mal, plus rien ne fait mal. Je le nettoie sur mon pull tout en ramassant les morceaux, sachant tristement que ce serait ma seule nourriture jusqu'au dîner et que j'aurais encore très faim aujourd'hui. Papa et Damien s'en moquent, ils quittent précipitamment la salle à manger une fois qu'ils ont fini et ils me laissent nettoyer avant de pouvoir attraper mon propre sac d'école et me rendre à l'école. Damien est déjà parti dans sa voiture, ce dont je lui suis extrêmement reconnaissante, car je n'ai pas à m'inquiéter de ce qu'il pourrait me faire ensuite, et mon père est parti aussi, sans même me dire un mot, ce à quoi je ne m'attends plus de toute façon. Cela me laisse prendre mon temps, voulant prolonger l'expérience le plus longtemps possible. L'école qui était autrefois un sanctuaire quand j'étais plus jeune est maintenant devenue mon propre enfer, un lieu pour les brutes et mon frère pour me tourmenter et se moquer de moi, et je sais exactement à quoi je suis confrontée, tout mon corps tremblant de peur alors que je traverse les couloirs et arrive en classe, avec l'espoir qu'aujourd'hui serait différent et que l'on me laisserait tranquille pour une fois. C'était un espoir futile.