PREMIÈRE PARTIE - Le père prodigue-2

3007 Words
– Eh bien ! monsieur, après ? dit la baronne. – Comme Jenny Cadine, reprit l’ancien négociant, en avait vingt, ainsi que Josépha, lorsqu’elles se sont connues, le baron jouait le rôle de Louis XV vis-à-vis de mademoiselle de Romans, dès 1826, et vous aviez alors douze ans de moins… – Monsieur, j’ai en des raisons pour laisser à monsieur Hulot sa liberté. – Ce mensonge-là, madame, suffira sans doute à effacer tous les péchés que vous avez commis, et vous ouvrira la porte du paradis, répliqua Crevel d’un air fin qui fit rougir la baronne. Dites cela, femme sublime et adorée, à d’autres ; mais pas au père Crevel, qui, sachez-le bien, a trop souvent banqueté dans des parties carrées avec votre scélérat de mari, pour ne pas savoir tout ce que vous valez ! Il s’adressait parfois des reproches, entre deux vins, en me détaillant vos perfections. Oh ! je vous connais bien : vous êtes un ange. Entre une jeune fille de vingt ans et vous, un libertin hésiterait, moi je n’hésite pas. – Monsieur !… – Bien, je m’arrête… Mais apprenez, sainte et digne femme, que les maris, une fois gris, racontent bien des choses de leurs épouses chez leurs maîtresses qui en rient, comme des crevées. Des larmes de pudeur, qui roulèrent entre les beaux cils de madame Hulot, arrêtèrent net le garde national et il ne pensa plus à se remettre en position. – Je reprends, dit-il. Nous nous sommes liés, le baron et moi, par nos coquines. Le baron, comme tous les gens vicieux, est très aimable, et vraiment bon enfant. Oh ! m’a-t-il plu, ce drôle-là ! Non, il avait des inventions… enfin laissons là ces souvenirs… Nous sommes devenus comme deux frères… Le scélérat, tout à fait Régence, essayait bien de me dépraver, de me prêcher le saint-simonisme en fait de femmes, de me donner des idées de grand seigneur, de justaucorps bleu ; mais, voyez-vous, j’aimais ma petite à l’épouser, si je n’avais pas craint d’avoir des enfants. Entre deux vieux papas, amis comme… comme nous l’étions, comment voulez-vous que nous n’ayons pas pensé à marier nos enfants ? Trois mois après le mariage de son fils avec ma Célestine, Hulot, (je ne sais pas comment je prononce son nom, l’infâme ! car il nous a trompés tous les deux, madame !…) eh bien ! l’infâme m’a soufflé ma petite Josépha. Ce scélérat se savait supplanté par un jeune Conseiller-d’État et par un artiste (excusez du peu !) dans le cœur de Jenny Cadine, dont les succès étaient de plus en plus esbrouffants, et il m’a pris ma pauvre petite maîtresse, un amour de femme ; mais vous l’avez vue assurément aux Italiens où il l’a fait entrer par son crédit. Votre homme n’est pas aussi sage que moi, qui suis réglé comme un papier de musique, (il avait été déjà pas mal entamé par Jenny Cadine qui lui coûtait bien près de trente mille francs par an). Eh bien ! sachez-le, il achève de se ruiner pour Josépha. Josépha, madame, est juive, elle se nomme Mirah (c’est l’anagramme de Hiram), un chiffre israélite pour pouvoir la reconnaître, car c’est une enfant abandonnée en Allemagne (les recherches que j’ai faites prouvent qu’elle est la fille naturelle d’un riche banquier juif). Le théâtre, et surtout les instructions que Jenny Cadine, madame Schontz, Malaga, Carabine ont données sur la manière de traiter les vieillards, à cette petite que je tenais dans une voie honnête et peu coûteuse, ont développé chez elle l’instinct des premiers Hébreux pour l’or et les bijoux, pour le Veau d’or ! La cantatrice célèbre, devenue âpre à la curée, veut être riche, très riche. Aussi ne dissipe-t-elle rien de ce qu’on dissipe pour elle. Elle s’est essayée sur le sieur Hulot, qu’elle a plumé net, oh ! plumé, ce qui s’appelle rasé ! Ce malheureux, après avoir lutté contre un des Keller et le marquis d’Esgrignon, fous tous deux de Josépha, sans compter les idolâtres inconnus, va se la voir enlever par ce duc si puissamment riche qui protège les arts. Comment l’appelez-vous ?… un nain ?… ah ! le duc d’Hérouville. Ce grand seigneur a la prétention d’avoir à lui seul Josépha, tout le monde courtisanesque en parle, et le baron n’en sait rien ; car il en est au treizième arrondissement comme dans tous les autres : l’amant est, comme les maris, le dernier instruit. Comprenez-vous mes droits, maintenant ? Votre époux, belle dame, m’a privé de mon bonheur, de la seule joie que j’ai eue depuis mon veuvage. Oui, si je n’avais pas eu le malheur de rencontrer ce vieux roquentin, je posséderais encore Josépha ; car, moi, voyez-vous, je ne l’aurais jamais mise au théâtre, elle serait restée obscure, sage, et à moi. Oh ! si vous l’aviez vue, il y a huit ans ; mince et nerveuse, le teint doré d’une Andalouse, comme on dit, les cheveux noirs et luisants comme du satin, un œil à longs cils bruns qui jetait des éclairs, une distinction de duchesse dans les gestes, la modestie de la pauvreté, de la grâce honnête, de la gentillesse comme une biche sauvage. Par la faute du sieur Hulot, ces charmes, cette pureté, tout est devenu piège à loup, chatière à pièces de cent sous. La petite est la reine des impures, comme on dit. Enfin elle blague, aujourd’hui, elle qui ne connaissait rien de rien, pas même ce mot-là ! En ce moment, l’ancien parfumeur s’essuya les yeux où roulaient quelques larmes. La sincérité de cette douleur agit sur madame Hulot qui sortit de la rêverie où elle était tombée. – Eh bien ! madame, est-ce à cinquante-deux ans qu’on retrouve un pareil trésor ? À cet âge, l’amour coûte trente mille francs par an, j’en ai su le chiffre par votre mari, et moi, j’aime trop Célestine pour la ruiner. Quand je vous ai vue, à la première soirée que vous nous avez donnée, je n’ai pas compris que ce scélérat de Hulot entretînt une Jenny Cadine… Vous aviez l’air d’une impératrice. Vous n’avez pas trente ans, madame, reprit-il, vous me paraissez jeune, vous êtes belle. Ma parole d’honneur, ce jour-là j’ai été touché à fond, je me disais : « Si je n’avais pas ma Josépha, puisque le père Hulot délaisse sa femme, elle m’irait comme un gant. » Ah ! pardon ! c’est un mot de mon ancien état. Le parfumeur revient de temps en temps, c’est ce qui m’empêche d’aspirer à la députation. Aussi, lorsque j’ai été si lâchement trompé par le baron, car entre vieux drôles comme nous, les maîtresses de nos amis devraient être sacrées, me suis-je juré de lui prendre sa femme. C’est justice. Le baron n’aurait rien à dire, et l’impunité nous est acquise. Vous m’avez mis à la porte comme un chien galeux aux premiers mots que je vous ai touchés de l’état de mon cœur ; vous avez redoublé par là mon amour, mon entêtement, si vous voulez, et vous serez à moi. – Et comment ? – Je ne sais pas, mais ce sera. Voyez-vous, madame, un imbécile de parfumeur (retiré !) qui n’a qu’une idée en tête, est plus fort qu’un homme d’esprit qui en a des milliers. Je suis toqué de vous, et vous êtes ma vengeance ! c’est comme si j’aimais deux fois. Je vous parle à cœur ouvert, en homme résolu. De même que vous me dites : « je ne serai pas à vous, » je cause froidement avec vous. Enfin, selon le proverbe, je joue cartes sur table. Oui, vous serez à moi, dans un temps donné… Oh ! vous auriez cinquante ans, vous seriez encore ma maîtresse. Et ce sera, car moi j’attends tout de votre mari… Madame Hulot jeta sur ce bourgeois calculateur un regard si fixe de terreur, qu’il la crut devenue folle, et il s’arrêta. – Vous l’avez voulu, vous m’avez couvert de votre mépris, vous m’avez défié, j’ai parlé ! dit-il en éprouvant le besoin de justifier la sauvagerie de ses dernières paroles. – Oh ! ma fille, ma fille ! s’écria la baronne d’une voix de mourante. – Ah ! je ne connais plus rien ! reprit Crevel. Le jour où Josépha m’a été prise, j’étais comme une tigresse à qui l’on a enlevé ses petits… Enfin, j’étais comme je vous vois en ce moment. Votre fille ! c’est, pour moi, le moyen de vous obtenir. Oui, j’ai fait manquer le mariage de votre fille !… et vous ne la marierez point sans mon secours ! Quelque belle que soit mademoiselle Hortense, il lui faut une dot… – Hélas ! oui ! dit la baronne en s’essuyant les yeux. – Eh bien ! essayez de demander dix mille francs au baron, reprit Crevel qui se remit en position. Il attendit pendant un moment, comme un acteur qui marque un temps. – S’il les avait, il les donnerait à celle qui remplacera Josépha ! dit-il en forçant son médium. Dans la voie où il est, s’arrête-ton ? Il aime d’abord trop les femmes ! (Il y a en tout un juste milieu, comme a dit notre Roi.) Et puis la vanité s’en mêle ! C’est un bel homme ! Il vous mettra tous sur la paille pour son plaisir. Vous êtes déjà d’ailleurs sur le chemin de l’hôpital. Tenez, depuis que je n’ai mis les pieds chez vous, vous n’avez pas pu renouveler le meuble de votre salon. Le mot GÊNE est vomi par toutes les lézardes de ces étoffes. Quel est le gendre qui ne sortira pas épouvanté des preuves mal déguisées de la plus horrible des misères, celle des gens comme il faut ? J’ai été boutiquier, je m’y connais. Il n’y a rien de tel que le coup d’œil du marchand de Paris pour savoir découvrir la richesse réelle et la richesse apparente… Vous êtes sans le sou, dit-il à voix basse. Cela se voit en tout, même sur l’habit de votre domestique. Voulez-vous que je vous révèle d’affreux mystères qui vous sont cachés ?… – Monsieur, dit madame Hulot qui pleurait à mouiller son mouchoir, assez ! assez ! – Eh bien ! mon gendre donne de l’argent à son père, et voilà ce que je voulais vous dire, en débutant, sur le train de votre fils. Mais je veille aux intérêts de ma fille… soyez tranquille. – Oh ! marier ma fille et mourir !… dit la malheureuse femme qui perdit la tête. – Eh bien ! en voici le moyen ? reprit Crevel. Madame Hulot regarda Crevel avec un air d’espérance qui changea si rapidement sa physionomie, que ce seul mouvement aurait dû attendrir Crevel et lui faire abandonner son projet ridicule. – Vous serez belle encore dix ans, reprit Crevel en position, ayez des bontés pour moi, et mademoiselle Hortense est mariée. Hulot m’a donné le droit, comme je vous disais, de poser le marché, tout crûment, et il ne se fâchera pas. Depuis trois ans, j’ai fait valoir mes capitaux, car mes fredaines ont été restreintes. J’ai trois cent mille francs de gain en dehors de ma fortune, ils sont à vous… – Sortez, monsieur, dit madame Hulot, sortez, et ne reparaissez jamais devant moi. Sans la nécessité où vous m’avez mise de savoir le secret de votre lâche conduite dans l’affaire du mariage projeté pour Hortense… Oui, lâche… reprit-elle à un geste de Crevel. Comment faire peser de pareilles inimitiés sur une pauvre fille, sur une belle et innocente créature ?… Sans cette nécessité qui poignait mon cœur de mère, vous ne m’auriez jamais reparlé, vous ne seriez plus rentré chez moi. Trente-deux ans d’honneur, de loyauté de femme ne périront pas sous les coups de monsieur Crevel… – Ancien parfumeur, successeur de César de Birotteau, à la Reine des Roses, rue Saint-Honoré, dit railleusement Crevel, ancien adjoint au maire, capitaine de la garde nationale, chevalier de la Légion-d’Honneur, absolument comme mon prédécesseur… – Monsieur, reprit la baronne, monsieur Hulot, après vingt ans de constance, a pu se lasser de sa femme, ceci ne regarde que moi ; mais vous voyez, monsieur, qu’il a mis bien du mystère à ses infidélités, car j’ignorais qu’il vous eût succédé dans le cœur de mademoiselle Josépha… – Oh ! s’écria Crevel, à prix d’or, madame… Cette fauvette lui coûte plus de cent mille francs depuis deux ans. Ah ! ah ! vous n’êtes pas au bout… – Trêve à tout ceci, monsieur Crevel. Je ne renoncerai pas pour vous au bonheur qu’une mère éprouve à pouvoir embrasser ses enfants sans se sentir un remords au cœur, à se voir respectée, aimée par sa famille, et je rendrai mon âme à Dieu sans souillure… – Amen ! dit Crevel avec cette amertume diabolique qui se répand sur la figure des gens à prétention quand ils ont échoué de nouveau dans de pareilles entreprises. Vous ne connaissez pas la misère à son dernier période, la honte… le déshonneur… J’ai tenté de vous éclairer, je voulais vous sauver, vous et votre fille !… eh bien ! vous épèlerez la parabole moderne du père prodigue, depuis la première jusqu’à la dernière lettre. Vos larmes et votre fierté me touchent, car voir pleurer une femme qu’on aime, c’est affreux !… dit Crevel en s’asseyant. Tout ce que je puis vous pro mettre, chère Adeline, c’est de ne rien faire contre vous, ni contre votre mari ; mais n’envoyez jamais aux renseignements chez moi. Voilà tout ! – Que faire, donc ? s’écria madame Hulot. Jusque-là, la baronne avait soutenu courageusement les triples tortures que cette explication imposait à son cœur, car elle souffrait comme femme, comme mère et comme épouse. En effet, tant que le beau-père de son fils s’était montré rogue et agressif, elle avait trouvé de la force dans la résistance qu’elle opposait à la brutalité du boutiquier ; mais la bonhomie qu’il manifestait au milieu de son exaspération d’amant rebuté, de beau garde national humilié, détendit ses fibres montées à se briser ; elle se tordit les mains, elle fondit en larmes, et elle était dans un tel état d’abattement stupide, qu’elle se laissa b****r les mains par Crevel à genoux. – Mon Dieu ! que devenir ? reprit-elle en s’essuyant les yeux. Une mère peut-elle voir froidement sa fille dépérir sous ses yeux ? Quel sera le sort d’une si magnifique créature, aussi forte de sa vie chaste auprès de sa mère, que de sa nature privilégiée ! Par certains jours, elle se promène dans le jardin, triste, sans savoir pourquoi ; je la trouve avec des larmes dans les yeux… – Elle a vingt-un ans, dit Crevel. – Faut-il la mettre au couvent ? demanda la baronne, car dans de pareilles crises, la religion est souvent impuissante contre la nature, et les filles les plus pieusement élevées perdent la tête !… Mais levez-vous donc, monsieur, ne voyez-vous pas que, maintenant, tout est fini entre nous, que vous me faites horreur, que vous avez renversé la dernière espérance d’une mère !… – Et si je la relevais ?… dit-il. Madame Hulot regarda Crevel avec une expression délirante qui le toucha ; mais il refoula la pitié dans son cœur, à cause de ce mot : Vous me faites horreur ! La Vertu est toujours un peu trop tout d’une pièce, elle ignore les nuances et les tempéraments à l’aide desquels on louvoie dans une fausse position. – On ne marie pas aujourd’hui, sans dot, une fille aussi belle que l’est mademoiselle Hortense, reprit Crevel en reprenant son air pincé. Votre fille est une de ces beautés effrayantes pour les maris ; c’est comme un cheval de luxe qui exige trop de soins coûteux pour avoir beaucoup d’acquéreurs. Allez donc à pied avec une pareille femme au bras ? tout le monde vous regardera, vous suivra, désirera votre épouse. Ce succès inquiète beaucoup de gens qui ne veulent pas avoir des amants à tuer ; car, après tout, on n’en tue jamais qu’un. Vous ne pouvez, dans la situation où vous êtes, marier votre fille que de trois manières : par mon secours, vous n’en voulez pas ! et d’un ; en trouvant un vieillard de soixante ans, très riche, sans enfants, et qui voudrait en avoir, c’est difficile, mais cela se rencontre, il y a tant de vieux qui prennent des Josépha, des Jenny Cadine, pourquoi n’en rencontrerait-on pas un qui ferait la même bêtise légitimement ?… Si je n’avais pas ma Célestine et nos deux petits-enfants, j’épouserais Hortense. Et de deux ! La dernière manière est la plus facile… Madame Hulot leva la tête, et regarda l’ancien parfumeur avec anxiété. – Paris est une ville où tous les gens d’énergie qui poussent comme des sauvageons sur le territoire français, se donnent rendez-vous, et il y grouille bien des talents, sans feu ni lieu, des courages capables de tout, même de faire fortune… Eh bien ! ces garçons-là… (Votre serviteur en était dans son temps, et il en a connu !… Qu’avait du Tillet ? Qu’avait Popinot, il y a vingt ans ?… ils pataugeaient tous les deux dans la boutique du papa Birotteau, sans autre capital que l’envie de parvenir, qui, selon moi, vaut le plus beau capital !… On mange des capitaux, et l’on ne se mange pas le moral !… Qu’avais-je, moi ? l’envie de parvenir, du courage. Du Tillet est l’égal aujourd’hui des plus grands personnages. Le petit Popinot, le plus riche droguiste de la rue des Lombards, est devenu député, le voilà ministre…) Eh bien ! l’un de ces condottierri, comme on dit, de la commandite, de la plume ou de la brosse, est le seul être, à Paris, capable d’épouser une belle fille sans le sou, car ils ont tous les genres de courage. Monsieur Popinot a épousé mademoiselle Birotteau sans espérer un liard de dot. Ces gens-là sont fous ! ils croient à l’amour, comme ils croient à leur fortune et à leurs facultés !… Cherchez un homme d’énergie qui devienne amoureux de votre fille et il l’épousera sans regarder au présent. Vous m’avouerez que, pour un ennemi, je ne manque pas de générosité, car ce conseil est contre moi. – Ah ! monsieur Crevel, si vous vouliez être mon ami, quitter vos idées ridicules !… – Ridicules ? madame, ne vous démolissez pas ainsi, regardez-vous… Je vous aime et vous viendrez à moi ! Je veux dire un jour à Hulot : « Tu m’as pris Josépha, j’ai ta femme !… » C’est la vieille loi du talion ! Et je poursuivrai l’accomplissement de mon projet, à moins que vous ne deveniez excessivement laide. Je réussirai, voici pourquoi, dit-il en se mettant en position et regardant madame Hulot. – Vous ne rencontrerez ni un vieillard, ni un jeune homme amoureux, reprit-il après une pause, parce que vous aimez trop votre fille pour la livrer aux manœuvres d’un vieux libertin, et que vous ne vous résignerez pas, vous, baronne Hulot, sœur du vieux lieutenant-général qui commandait les vieux grenadiers de la vieille garde, à prendre l’homme d’énergie là où il sera ; car il peut se trouver simple ouvrier, comme tel millionnaire d’aujourd’hui se trouvait simple mécanicien il y a dix ans, simple conducteur de travaux, simple contremaître de fabrique. Et alors, en voyant votre fille, poussée par ses vingt ans, capable de vous déshonorer, vous vous direz : « Il vaut mieux que ce soit moi qui me déshonore ; et si monsieur Crevel veut me garder le secret, je vais gagner la dot de ma fille, deux cent mille francs, pour dix ans d’attachement à cet ancien marchand de gants… le père Crevel !… » Je vous ennuie, et ce que je dis est profondément immoral, n’est-ce pas ? Mais si vous étiez mordue par une passion irrésistible, vous vous feriez, pour me céder, des raisonnements comme s’en font les femmes qui aiment… Eh bien ! l’intérêt d’Hortense vous les mettra dans le cœur, ces capitulations de conscience… – Il reste à Hortense un oncle. – Qui, le père Fischer ?… il arrange ses affaires, et par la faute du baron encore, dont le râteau passe sur toutes les caisses qui sont à sa portée. – Le comte Hulot… – Oh ! votre mari, madame, a déjà fricassé les économies du vieux lieutenant-général, il en a meublé la maison de sa cantatrice. Voyons, me laisserez-vous partir sans espérance ? – Adieu, monsieur. On guérit facilement d’une passion pour une femme de mon âge, et vous prendrez des idées chrétiennes. Dieu protège les malheureux… La baronne se leva pour forcer le capitaine à la retraite, et elle le repoussa dans le grand salon.
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