CHAPITRE QUATRE

1913 Words
CHAPITRE QUATRE Erec se tenait à la proue de son navire, Alistair et Strom à côté de lui, et regardait au-delà la rivière qui se rétrécissait avec inquiétude. Suivant non loin derrière se trouvait sa petite flotte, tout ce qu’il restait de ceux qui avaient appareillé depuis les Îles Méridionales, tous serpentant le long de cette rivière sans fin, de plus en plus profondément vers le cœur de l’Empire. À certains endroits cette rivière avait été aussi large qu’un océan, ses rives hors de la vue, et ses eaux claires ; mais à présent Erec voyait, à l’horizon, qu’elle se resserrait, se refermant en un goulot d’étranglement de peut-être environ vingt mètres de large, et ses eaux devenaient boueuses. Le soldat professionnel à l’intérieur d’Erec était en alerte. Il n’aimait pas les espaces confinés quand il menait des hommes, et la rivière s’étrécissant, il le savait, laisserait sa flotte plus susceptible de tomber dans une embûche. Erec jeta un œil par-dessus son épaule et ne vit aucun signe de la grande flotte de l’Empire à laquelle ils avaient échappé en mer ; mais cela ne signifiait pas qu’ils n’étaient pas là dehors, quelque part. Il savait qu’ils n’abandonneraient jamais la poursuite jusqu’à ce qu’ils l’aient trouvé. Mains sur les hanches, Erec se retourna et plissa les yeux, étudiant les terres abandonnées de l’Empire de chaque côté, s’étendant à l’infini, un sol de sable sec et de rocs, dépourvu d’arbres, dépourvu d’un quelconque signe de civilisation. Erec scruta les berges de la rivière et fut reconnaissant, au moins, de ne repérer aucun fort ou bataillon de l’Empire positionnés le long du cours d’eau. Il voulait faire remonter ses bateaux le long de la rivière vers Volusia aussi vite que possible, trouver Gwendolyn et les autres, et les libérer – et sortir de là. Il les transporterait ensuite à nouveau à travers les mers vers la sûreté des Îles Méridionales, où il pouvait les protéger. Il ne voulait pas de distractions en route. Mais de l’autre côté, le silence menaçant, le paysage désolé, le laissaient aussi inquiet : l’Empire se cachait-il là, attendant en embuscade ? Il y avait un danger encore plus grand, Erec le savait, qu’une attaque en suspens par l’ennemi, et c’était mourir de faim. C’était une affaire bien plus pressante. Ils traversaient ce qui était essentiellement une étendue désertique, et toutes leurs provisions en dessous étaient presque épuisées. Tandis qu’Erec se tenait là, il put sentir le gargouillement de son ventre, s’étant rationné, lui et les autres, à un repas par jour depuis bien trop longtemps. Il savait que si un lieu d’abondance n’apparaissait pas dans le paysage rapidement, ils auraient un problème bien plus grand sur les bras. Cette rivière se terminerait-elle un jour ? s’interrogea-t-il. Et s’ils ne trouvaient jamais Volusia ? Et pire : et si Gwendolyn et les autres n’étaient plus là ? Ou déjà morts ? « Un autre ! » s’écria Strom. Erec se tourna pour voir un de ses hommes tirer brusquement une ligne de pêche, un poisson d’un jaune vif à l’extrémité, s’agitant sur le pont. Le marin marcha dessus, Erec s’attroupa avec les autres autour et baissa les yeux. Il secoua la tête avec déception : deux têtes. C’était un autre des poissons empoisonnés qui semblait vivre en abondance dans cette rivière. « Cette rivière est maudite », dit l’homme, lançant la canne à pêche. Erec retourna au bastingage et étudia les eaux avec dépit. Il sentit une présence et se tourna pour voir Strom venir à côté de lui. « Et si la rivière ne nous amène pas à Volusia ? » demanda Strom. Erec remarqua l’inquiétude sur le visage de son frère, et il la partageait. « Elle nous mènera quelque part », répondit Erec. « Et elle nous mène vers le nord. Si ce n’est pas à Volusia, alors nous traverserons la terre à pieds et combattrons en route. » « Devrions-nous abandonner nos navires alors ? Comment pourrons-nous fuir cet endroit ? Retourner dans les Îles Méridionales ? » Erec secoua lentement la tête et soupira. « Il se pourrait que nous ne le puissions pas », répondit-il avec honnêteté. « Aucune quête d’honneur n’est sûre. Et est-ce que cela nous a déjà arrêtés, toi ou moi ? » Strom se tourna vers lui et sourit. « C’est ce pour quoi nous vivons », répondit-il. Erec sourit et se tourna pour voir Alistair venir de l’autre côté, tenant le bastingage et regardant au loin la rivière, qui se rétrécissait pendant qu’ils naviguaient. Ses yeux étaient vitreux et avaient un air distant, et Erec pouvait sentir qu’elle était perdue dans un autre monde. Il avait remarqué que quelque chose d’autre avait changé à propos d’elle, aussi – il n’était pas sûr de quoi, comme s’il y avait un secret qu’elle retenait. Il mourait d’envie de lui demander, mais il ne voulait pas s’immiscer. Un chœur de cors sonna, et Erec, alarmé, se tourna et regarda en arrière. Son cœur s’arrêta en voyant ce qui se profilait. « EN APPROCHE RAPIDE ! » cria un marin depuis le sommet du mât, pointant du doigt frénétiquement. « LA FLOTTE DE L’EMPIRE ! » Erec courut à travers le pont, retourna à la poupe, accompagné par Strom, se précipitant à travers tous ses hommes, tous prêts à se battre, apprêtant leurs arcs, se préparant mentalement. Erec atteignit la poupe, agrippa le bastingage puis regarda au loin, et vit que c’était vrai : là, à un méandre de la rivière, à seulement quelques centaines de mètres, se trouvait une rangée de navires de l’Empire, déployant leurs voiles noires et dorées. « Ils ont dû trouver notre piste », dit Strom à côté de lui. Erec secoua la tête. « Ils nous suivaient pendant tout ce temps », dit-il, en s'en rendant compte. « Ils attendaient juste pour se montrer. » « Attendaient quoi ? » demanda Strom. Erec se tourna et regarda par-dessus son épaule, vers le haut de la rivière. « Ça », dit-il. Strom pivota et étudia le cours d’eau qui se rétrécissait. « Ils ont attendu jusqu’au point le plus étroit de la rivière », dit Erec. « Jusqu’à ce que nous soyons obligés de naviguer en une seule ligne et trop avancés pour pouvoir faire demi-tour. Ils nous ont exactement là où ils nous veulent. » Erec regarda à nouveau la flotte, et tandis qu’il se tenait là, il éprouva une incroyable concentration, comme souvent quand il menait ses hommes et se trouvait dans un temps de crise. Il sentit un autre sens s’activer et, comme cela se produisait souvent à des moments similaires, une idée lui vint à l’esprit. Erec se tourna vers son frère. « Occupe-toi de ce navire à côté de nous », ordonna-t-il. « Reprends l’arrière de notre flotte. Fais en sortir chaque homme – fais les embarquer sur le navire à côté. Tu m’entends ? Vide ce navire. Quand ce sera fait, tu seras le dernier à le quitter. » Strom le dévisagea, confus. « Quand le navire sera vide ? » répéta-t-il. « Je ne comprends pas. » « Je projette de provoquer son naufrage. » « De lui faire faire naufrage ? » demanda Strom, sidéré. Erec opina. « Au point le plus étroit, où les berges de la rivière se rejoignent, tu mettras le navire de travers et l’abandonnera. Cela créera un blocage – le barrage dont nous avons besoin. Personne ne sera capable de nous suivre. Maintenant pars ! » cria Erec. Strom se mit en action, suivant les ordres de son frère, à son crédit, qu’il soit d’accord avec ou non. Erec plaça son navire le long des autres et Strom bondit d’un bastingage à l’autre. Quand il eut atterri sur la dernière embarcation, il commença à aboyer des ordres, et les hommes se mirent en mouvement, tous sautèrent, un à la fois, de leur bateau à celui d’Erec. Erec était inquiet alors qu’il voyait qu’ils commençaient à s’éloigner un de l’autre. « Utilisez les cordes ! » cria Erec à ses hommes. « Utilisez les grappins – maintenez les navires ensemble ! » Ses hommes suivirent ses ordres, coururent vers le flanc du navire, soulevèrent les grappins et les lancèrent dans les airs, les accrochant au navire à côté d’eux et tirant de toutes leurs forces pour qu’ils cessent de s’éloigner. Cela accéléra le processus, et des dizaines d’hommes bondirent d’un bastingage à l’autre, tous saisissant leurs armes alors qu’ils abandonnaient en hâte leur navire. Strom supervisait, hurlait des ordres, s’assurait que chaque homme quitte le navire, les rassemblant jusqu’à ce qu’il ne reste plus personne à bord. Strom saisit le regard d’Erec, tandis que ce dernier observait avec approbation. « Et qu’en est-il des provisions du navire ? » cria Strom par-dessus le tapage. « Et son surplus d’armement ? » Erec secoua la tête. « Laisse-le », cria-t-il en retour. « Occupe-toi juste de nos arrières et détruit ce navire. » Erec se tourna et courut vers la proue, menant sa flotte tandis qu’ils le suivaient tous et naviguaient vers le goulot d’étranglement. « UNE SEULE LIGNE ! » Tous ses navires se mirent en rang derrière lui alors que la rivière se rétrécissait jusqu’à son point le plus étroit. Erec passa à travers avec sa flotte, et ce faisant, il vit la flotte de l’Empire se rapprocher rapidement, maintenant à peine à une centaine de mètres. Il observa les centaines de troupes de l’Empire prendre leurs arcs et préparer leurs flèches en y mettant feu. Il savait qu’ils étaient presque à portée ; il y avait peu de temps à perdre. « MAINTENANT ! » hurla Erec à Strom, juste quand le navire de ce dernier, le dernier de la flotte, passait le point le plus étroit. Strom, qui observait et attendait, leva son épée et trancha la moitié des cordes attachant son bateau à celui d’Erec, au même moment il bondit du navire aux côtés d’Erec. Il les coupa juste quand l’embarcation abandonnée traversait le goulot d’étranglement, et il tourna immédiatement, à la dérive. « TOURNEZ-LE SUR LE CÔTÉ ! » ordonna Erec à ses hommes. Ses hommes tendirent tous les mains, empoignèrent les cordes qui restaient sur un côté du navire et tirèrent aussi fort qu’ils le pouvaient, jusqu’à ce que le bateau, grinçant en réaction, tourne lentement à l’oblique contre le courant. Finalement, le courant le portant, il se logea fermement dans les rochers, coincé entre les deux berges de la rivière, son bois gémi et commença à craquer. « TIREZ PLUS FORT ! » hurla Erec. Ils tirèrent et tirèrent et Erec se hâta de les rejoindre, tous grognant tandis qu’ils tiraient de toutes leurs forces. Lentement, ils parvinrent à tourner le navire, le tenant fermement tandis qu’il se logeait de plus en plus profondément dans les rochers. Alors que le bateau arrêtait de bouger, fermement coincé, Erec fut enfin satisfait. « COUPEZ LES CORDES ! » cria-t-il, sachant que c’était maintenant ou jamais, sentant son propre navire commencer à vaciller. Les hommes d’Erec tranchèrent les cordes restantes, dégageant son embarcation – et il était temps. Le navire abandonné commença à craquer et à s’effondrer, son naufrage bloquant solidement la rivière – et un instant après, le ciel fut noirci par une nuée de flèches enflammées de l’Empire descendant sur la flotte d’Erec. Erec avait manœuvré ses hommes hors du danger juste à temps : les flèches atterrirent toutes sur le navire abandonné, tombant à vingt mètres de la flotte d’Erec, et ne servirent qu’à mettre le feu à l’embarcation, créant un autre obstacle entre eux et l’Empire. Désormais, la rivière serait infranchissable. « DROIT DEVANT À PLEINE VOILE ! » cria Erec. Sa flotte avança avec tous leurs moyens, prenant le vent, mettant de la distance entre eux et leur blocus, et naviguant de plus en plus vers le nord, sans danger hors de portée des flèches de l’Empire. Une autre volée de flèches vint, et celles-là atterrirent dans l’eau, éclaboussant et sifflant tout autour du navire en pénétrant dans l’eau. Tandis qu’ils continuaient à progresser, Erec se tint à la proue et observa, et il regarda au loin avec satisfaction en voyant la flotte de l’Empire s’arrêter devant le navire enflammé. Une des embarcations de l’Empire tenta intrépidement de l’enfoncer – mais tout ce qu’il obtint pour ses efforts fut de prendre feu ; des centaines de soldats de l’Empire poussèrent des cris, dévorés par les flammes, et sautèrent par-dessus bord – et leur bateau enflammé créa une mer de décombres encore plus grande. En le regardant, Erec se figura que l’Empire ne serait pas capable de le traverser avant plusieurs jours. Erec sentit une main puissante serrer son épaule, et il jeta un œil pour voir Strom debout à côté de lui, souriant. « Une de tes stratégies les plus inspirées », dit-il. Erec sourit en retour. « Bien joué », répondit-il. Erec se retourna et regarda à nouveau vers l’amont de la rivière, les eaux qui serpentaient dans tous les sens, et il ne fut pas encore réconforté. Ils avaient gagné cette bataille – mais qui savait quels obstacles étaient à venir ?
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