CHAPITRE 1-2

2454 Words
Il traversa des passages souterrains et une grande route avant d'arriver à ce qui fut jadis un parc. Il faisait environ trois blocs de long et un bloc de large. On avait tenté d'y faire pousser du maïs, mais les gens qui s'y étaient installés avaient tout détruit. Le parc était rempli de vieilles voitures dans lesquelles les gens avaient installé des logements de fortune. Au début, Peter s'était demandé pourquoi ils s'étaient donnés cette peine car les logements étaient ce dont on manquait le moins. Et puis, il vit ce qu'il y avait de l'autre côté du parc. C'était la mission de San Fernando, l'un des sanctuaires établis au dix-huitième siècle par le Père Junipero. Plus tard, on l'appela El Camino Real. En tant qu'église catholique, elle représentait l'une des rares organisations toujours en service aujourd'hui. La mission servait de point de distribution de nourriture pour les plus pauvres. Cette charité avait incité tous ces gens à s'installer dans le parc de l'autre côté de la rue. Peter était mitigé par rapport aux églises. Il n'était pas croyant et avait tendance à ne pas leur faire confiance. Bien sûr, elles faisaient du beau boulot en distribuant de la nourriture et elles aidaient les gens à garder le moral. Alors que la situation empirait, les gens se tournaient de plus en plus vers la religion en guise de consolation. C'était bien, mais Peter ne pouvait s'empêcher de penser à comment l'église médiévale était devenue un monolithe abrutissant, encourageant la superstition et écrasant l'individualisme. Si l'humanité devait se relever, la liberté de penser serait une nécessité absolue. Peter craignait que les églises apportent un soutien à court terme et une oppression à long terme. Peter s'arrêta devant la mission et descendit de son vélo. C'était sa meilleure option pour passer la nuit. Il pourrait avoir à manger et dormir, adossé à un mur. Les nuits pouvaient être fraîches à Los Angeles, mais elles n'étaient jamais insupportablement froides. A part de l'argent, l'une de ses seules possessions était la couverture dans son sac à dos. Elle suffirait à le garder au chaud cette nuit. Il commença à pousser son vélo jusqu'à la mission lorsqu'il remarqua quelque chose dans une rue parallèle, à l'ouest du bâtiment. Un homme Noir, avec une moto, se faisait harceler par un groupe de jeunes Blancs. « Je crois qu'il vient de Pacoima », dit l'un des voyous. « Il vient pour nous espionner, pour trouver nos points faibles. Ses potes et lui veulent sans doute nous piquer du carburant, cette nuit. Allez, mon beau, où t'as eu cette bécane ? » Le Noir était jeune, grand et mince. Jadis, il avait peut-être été joueur de basket à la fac. Il portait un débardeur rouge, un pantalon bleu et un bandana rouge autour du front. Il avait un bouc noir et une moustache et il avait des cheveux courts, ondulés. Il arborait un air digne. « Touche à cette moto », lança-t-il, « et je graverai le Discours de Gettysburg sur tes jolies fesses blanches. » Sa voix était tellement calme qu'elle était à peine audible. Pourtant, on pouvait en ressentir une certaine autorité. Le groupe fut surpris l'espace d'un instant, puis ils se mirent tous à rire nerveusement. Ils était en surnombre. Neuf contre un. « Tu te prends pour qui, le n***e, à venir ici et à nous donner des ordres ? » demanda le leader en se rapprochant. Le reste du groupe l'imita. D'un geste rapide, l'étranger plongea sa main dans sa poche et en sortit un couteau à cran d'arrêt. Sa main décrivit de petits cercles devant lui, donnant l'illusion que le couteau flottait tout seul. « Ce sont pas des ordres », déclara-t-il. « Juste de bons conseils. » Les voyous s'arrêtèrent. Les enjeux devenaient plus importants et ils ignoraient quoi faire. Le leader était dans la pire des positions – il ne voulait pas perdre la face devant ses potes. Alors, après avoir observé le couteau un instant, il mit la main à sa ceinture pour en sortir sa propre arme : une baïonnette fixée à un manche en bois. « Si tu veux jouer, alors jouons. Pas vrai, les gars ? » Encouragés par leur chef, les autres sortirent leurs couteaux. Peter regarda autour de lui. Il n'y avait personne d'autre pour voir ce qui se passait ou alors, ils faisaient tous comme s'ils ne voyaient rien. Il se sentit soudain nauséeux et sa salive avait un goût acide. Il vérifia que son propre couteau fût accessible s'il en avait besoin. La meute tournait autour de sa proie, mais avec moins de confiance que ce qu'on pourrait croire. La victime n'était pas un étranger sans défense, craignant leur harcèlement, mais un homme aux allures puissantes avec un couteau aiguisé, semblant savoir comment s'en servir. Le groupe se rapprocha prudemment. Le Noir ne bougea pas, tournant lentement pour garder un œil sur les gens derrière lui. Il continuait à pointer son couteau vers la gorge du leader. Ce dernier chargea en poussant un rugissement. Le Noir l'esquiva aisément et lui tordit le poignet sans effort apparent. Néanmoins, le leader se redressa et Peter aperçut une importante coupure au niveau de son oreille gauche. Il saignait abondamment. « Suivant, » rit le Noir. Trois autres le chargèrent de toutes les directions. L'un reçut un coup de pied au niveau de l'entrejambe. Le deuxième fendit l'air lorsque sa victime l'esquiva et asséna un coup à la main du troisième. « Allez ! » cria le leader. « On est pas des poules mouillées ! Faisons-lui sa fête ! » Ils s'élancèrent tous en même temps, preuve qu'ils respectaient grandement les aptitudes de leur victime. Le Noir avait une meilleur portée que la plupart d'entre eux et pouvait les tenir éloignés un moment grâce à ses coups de couteau. Mais il ne tiendrait pas éternellement. Peter n'était pas un bon combattant, même s'il avait pu s'entraîner tout au long de l'année. D'habitude, il évitait les confrontations dès qu'il le pouvait, mais il ne pouvait pas ignorer ce qui se passait ici s'il ne voulait pas avoir mauvaise conscience. Dégainant son couteau, il s'élança. Le groupe fut surpris par cette attaque et se figea un instant, donnant l'avantage nécessaire à Peter. Il mit l'un d'eux hors d'état de nuire en le poignardant juste sous les côtes. Il se tourna vers le prochain, le coupant juste au-dessus du sourcil. Du sang jaillit de la plaie jusque dans son œil, aveuglant l'homme qui croyait que son œil n'était plus. Il se laissa tomber au sol en criant. Le Noir n'avait pas hésité. Son couteau les attaquait sans relâche, les forçant à adopter une position défensive. Mais maintenant qu'ils s'étaient remis de l'attaque surprise de Peter, ils lancèrent leur propre offensive. Peter se retrouva face à deux grands types menaçants au regard meurtrier. Sans l'élément de surprise, les autres seraient sans doute de meilleurs combattants. Peter recula lentement jusqu'à se retrouver dos contre le mur de la mission. Les deux autres se rapprochèrent, des sourires machiavéliques aux lèvres. Celui de gauche se jeta sur lui. Peter tenta de l'esquiver, mais ne fut pas assez rapide. Le couteau de l'agresseur lui entailla le haut du bras gauche, envoyant une vague de douleur à travers le corps de Peter. Le sang jaillit, tachant sa chemise, mais il n'avait pas le temps de s'en inquiéter. Il luttait pour sa vie. Il se retrouvait en très mauvaise posture car son côté droit, et sa main tenant son couteau, se trouvait contre le mur. Il dut se baisser rapidement lorsque le second agresseur tenta de l'attaquer au niveau de la tête. La lame passa à moins d'un centimètre des cheveux de Peter. Mais l'autre était à présent sans la moindre défense. Peter fonça sur lui et planta son couteau dans l'estomac de l'attaquant. L'homme émit un cri de douleur et glissa lentement au sol. Peter retira rapidement sa lame, tomba au sol et roula loin du premier attaquant qui revint vers lui. Lorsqu'il se releva, il vit l'homme en face de lui légèrement accroupi. Ils se tournèrent autour un moment, puis l'autre chargea. Peter tenta de jouer les matadors en esquivant la charge et en parant son coup, mais il n'y parvint qu'à moitié. Le couteau de l'autre traversa sa chemise et égratigna ses côtes. Peter se retourna et recula à nouveau. L'autre, le pensant à sa merci, chargea une nouvelle fois. Mais il n'eut pas le temps d'atteindre Peter car il laissa échapper un cri soudain et tomba en avant, un couteau planté dans la gorge. Peter regarda autour de lui, évaluant le champ de bataille. Sept corps gisaient au sol, la plupart étaient en vie, mais grièvement blessés. Les deux membres du gang restants étaient en train de s'enfuir. Parmi ce c*****e, l'homme noir admira calmement son travail. Souriant à Peter, il s'approcha et retira son couteau de la gorge de sa dernière victime, l'essuya sur la chemise de l'homme et le remit dans sa poche. Puis, il se dirigea vers sa moto, prêt à partir. « Hé ! », lança Peter. « Vous n'allez pas me remercier ? » L'autre se retourna. « Merci ? Pourquoi ? D'avoir fait ce que n'importe qui avec un peu de jugeote aurait fait ? » « Mais ce n'était pas n'importe qui. C'était moi. Et je saigne. » Le Noir se pencha, attrapa le bras gauche de Peter et l'examina. « C'est rien, mec. Juste une petite blessure qui va guérir, sauf si elle s'infecte. » Il marqua un temps d'arrêt alors qu'il eut une idée. « Tu vis par ici ? » Peter secoua la tête. « Oh, un nomade, hein ? » Peter détestait cette expression. Depuis la Chute, beaucoup de gens avaient quitté leur maison et erraient en cherchant un endroit meilleur que celui qu'ils avaient quitté. Le terme « nomade » avait surgi car ces personnes étaient décrites comme « en perpétuel mouvement ». « Écoute », continua l'homme, « Est-ce que ça te plairait de t'installer quelque part de paisible, où on ne manque de rien et où tout le monde travaille main dans la main ? » Peter l'observa avec circonspection. « Bien sûr, qui ne le voudrait pas ? Mais où trouverez-vous un endroit comme ça ? Dans votre jardin ? » « Rigole pas, mec. C'était une question légitime. » « Et j'ai dit oui. » « C'est quoi, ton nom ? » « Peter Smith. » Le mensonge était devenu un réflexe. Le Noir tendit la main. « Kudjo Wilson. » Ils se frappèrent la paume de la main au lieu de la secouer. « Écoute, si tu veux vraiment quelque chose de mieux que tout ça », il désigna le parc rempli de vieilles voitures, « Je pense que tu devrais parler à mon homme. » Peter haussa les épaules. « Je suppose que ça ne peut pas faire de mal. Où est-il ? » « Il est à quelques milles d'ici. Si tu veux, tu peux monter derrière moi et je t'y emmènerai direct. » Peter secoua la tête. « Désolé, mais j'ai un vélo et j'aimerais le garder. Et on ne peut pas l'emmener en moto. » « T'as raison. » L'autre réfléchit un instant. « Voilà ce qu'on va faire. Je pars devant et je lui parle de toi. Il va passer par ici, de toute façon. Ou pas loin, en tout cas. Pourquoi ne pas l'attendre près de la route là-bas ? » Il désigna l'est. « C'est à quelques blocs d'ici. Attends simplement devant le pont, au sud. T'as une montre ? » Peter secoua à nouveau la tête. « On me l'a volée il y a un mois et demi. » « Quoiqu'il en soit, il sera là dans deux heures, mais il fera déjà nuit. Si ça te dérange pas. » « Eh bien... », commença Peter. « Sois là. » déclara l'autre. Il démarra sa moto. « On n'attendra pas. » Et il partit. Tenant son bras gauche, Peter retourna à son vélo. Après ce combat, la mission n'était peut-être pas le meilleur endroit pour passer la nuit, au final. Les voyous pourraient revenir avec des potes pour se venger. Son estomac faisait des siennes car il n'avait rien avalé depuis le petit-déjeuner. Mais rester en vie était plus important qu'essayer d'obtenir une ration gratuite et se faire tuer dans son sommeil. Il pédala vers l'est, le long du boulevard San Fernando jusqu'à arriver au pont mentionné par Kudjo Wilson. Le soleil venait de se coucher et le ciel devenait noir. Il s'arrêta au pont et leva les yeux. Devait-il croire aux paroles du Noir ? Il ne croyait plus aux contes de fées depuis longtemps et cette histoire ressemblait étrangement à un El Dorado moderne. Un endroit où régnait la paix et où on ne manquait de rien était rare et il n'aurait probablement pas d'autres invitations du genre. De plus, un homme noir pouvait-il avoir la clé d'Utopia ? Ça n'avait pas de sens. Si un tel endroit existait, que faisait Kudjo Wilson là-bas ? Mais qu'avait-il à perdre ? Si c'était une embuscade, que pourraient-ils lui voler à part son vélo, une couverture et de l'argent inutile ? Il avait trop peu de possessions pour un plan aussi élaboré. De plus, Wilson aurait pu le voler tout à l'heure s'il l'avait voulu. Toute cette histoire était très déconcertante. Peter posa son vélo contre la rampe, près du pont. Il s'assit dans le noir et attendit. Il n'y avait plus de trafic sur l'autoroute à cause de la pénurie de carburant – on comptait peut-être deux voitures par heure et elles le dépassèrent sans même ralentir. Il se demanda si les gens qu'il attendait étaient déjà passés sans le voir ou s'ils allaient vraiment venir. Toute cette histoire était peut-être une farce gigantesque. T'es qu'un crétin, se dit-il à lui-même. Écouter des histoires du Pays Imaginaire à ton âge. Tu achèterais probablement le Pont du Golden Gate si quelqu'un te l'offrait à cet instant. Mais il resta car il n'avait nulle part où aller. Environ une heure plus tard, il vit des phares approcher. Ils se déplaçaient plus lentement que les voitures de tout à l'heure. Au fur et à mesure qu'ils approchaient, Peter distingua toute une file de voitures. Le véhicule de tête s'arrêta juste devant le pont et se gara sur le côté de la route. Les autres voitures firent pareil. Une lumière l'éclaira depuis le toit de la voiture, aveuglante. « M. Smith ? » appela une voix inconnue. « Oui, » répondit-il. « Montez. On espérait vous trouver là. Vous avez faim ? »
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