CHAPITRE QUATRE

2537 Words
CHAPITRE QUATRE « Je vois que vous vous êtes trouvés tous les deux », dit une voix. Interrompus en pleine étreinte, Caitlin et Caleb se retournèrent tous les deux en entendant cette voix, surpris. Caitlin était étonnée que quelqu’un ait pu se glisser à côté d’eux aussi rapidement et aussi discrètement, surtout en sachant que leurs sens étaient aiguisés en tant que vampires. Mais en regardant de nouveau la femme qui se tenait devant eux, elle comprit pourquoi : cette femme était elle aussi un vampire. Habillée tout en blanc et portant un capuchon, cette dernière leva le menton et les regarda avec un regard bleu perçant. Ressentant un sentiment de paix et d’harmonie émanant d’elle, Caitlin baissa sa garde et elle sentit que Caleb en faisait de même. La femme sourit. « On vous attend depuis un petit bout de temps », dit-elle d’une voix douce. « Où on est ? », demanda Caitlin. « En quelle année sommes-nous ? » La femme se contenta de répondre par un sourire. « Venez par ici », dit-elle en leur tournant le dos et en passant la porte basse et voûtée. Caitlin et Caleb échangèrent un regard, puis ils la suivirent, Ruth à leurs côtés. Ils traversèrent un couloir en pierres qui faisait des tours et des détours et qui menait à un escalier étroit éclairé par une torche. Ils suivaient la femme de près ; celle-ci continuait simplement de marcher, comme si elle supposait qu’ils la suivraient. Caitlin avait envie de poser plus de questions, de la presser de savoir où ils étaient ; mais en atteignant le haut de l’escalier, l’espace s’ouvrit soudain sur une vue magnifique qui lui coupa le souffle, et elle réalisa qu’ils étaient à l’intérieur d’une énorme église. Au moins, cette partie de la question était réglée. Une fois encore, Caitlin regretta de ne pas avoir écouté plus attentivement pendant ses cours d’histoire et d’architecture et de ne pas pouvoir dire au premier regard de quelle église il s’agissait. Elle se remémora toutes les magnifiques églises qu’elle avait visitées - Notre-Dame à Paris, Duomo à Florence - et elle ne put s’empêcher de penser que celle-ci les lui rappelait un peu. La nef de l’église s’étendait sur des centaines de pieds, elle avait un sol carrelé en marbre et des murs ornés de dizaines de statues taillées dans la roche. Ses plafonds voûtés s’élevaient à des centaines de pied de hauteur. En haut, il y avait des rangées de vitraux en forme d’arche, qui faisaient baigner l’église dans une douce lumière multicolore. À son extrémité la plus lointaine, il y avait un grand morceau circulaire de vitrail qui filtrait la lumière vers un énorme autel doré. Avant cela, il y avait des centaines de petites chaises en bois pour les fidèles. Mais à ce moment-là, l’église était vide. Cela donnait l’impression qu’ils avaient l’endroit tout entier pour eux. Ils traversèrent la pièce en suivant la vampire, et l’écho de leurs pas résonnait dans l’immense salle vide. « De quelle église il s’agit ? », » demanda finalement Caitlin. « L’Abbaye de Westminster », dit la voix de la femme qui continuait à marcher. « Le lieu de couronnement des rois et des reines depuis des milliers d’années. » L’Abbaye de Westminster, pensa Caitlin. Elle savait qu’elle était en Angleterre. À Londres en fait. Londres. L’idée d’être ici la frappa comme une vague de briques. Elle ressentit un sentiment accablant et impressionnant. Elle n’était jamais venue ici auparavant et elle avait toujours voulu le faire. Certains de ses amis l’avaient visitée et elle avait vu des photos sur internet. Il lui sembla évident que c’était l’endroit dans lequel ils se trouvaient étant donné la longue histoire médiévale de cette ville. Cette église à elle seule était vieille de plusieurs milliers d’années - et elle savait qu’il y avait beaucoup d’autres édifices du même âge à Londres. Mais elle ne savait toujours pas en quelle année ils étaient. « Et en quelle année on est ? », demanda Caitlin, nerveuse. Mais leur guide continua de marcher d’un pas très rapide, elle avait déjà traversé l’immense chapelle et elle disparut de leur vue en traversant une autre porte voûtée, forçant Caitlin et Caleb à se dépêcher pour la suivre. En entrant, Caitlin fut surprise de se retrouver dans un cloître. Il y avait un long couloir rempli de murs et de statues en pierre d’un côté et d’arches de l’autre. Ces arches étaient ouvertes aux éléments, et en regardant à travers ces dernières elle put voir une petite cour paisible. Cela lui rappela tous les cloîtres qu’elle avait vus ; elle commençait également à voir le motif de leur simplicité, leur vide, les murs voûtés, les colonnes et les cours bien entretenues. Elles ressemblaient toutes à un abri contre le monde extérieur, comme un lieu destiné aux prières et à la contemplation silencieuse. La vampire finit par s’arrêter et elle se tourna vers eux. Elle rendit son regard à Caitlin avec de grands yeux remplis de compassion, elle avait l’air féérique. « Nous sommes à la fin du siècle », dit-elle. Caitlin réfléchit un instant. « Quel siècle ?», demanda-t-elle. « Le seizième évidemment. Nous sommes en 1599. » 1599, pensa Caitlin. L’idée était bouleversante. Une fois encore, elle regretta de ne pas avoir lu ses cours d’histoire plus attentivement. Avant, elle était allée entre 1791 et 1789. Mais à présent elle était en 1599. Un bond de près de 200 ans. Elle se rappela combien de choses lui avaient semblé primitives, même en 1789 - l’absence de système de plomberie, les routes parfois sales et le peu d’hygiène corporelle. Elle n’arrivait même pas à imaginer combien elles pouvaient être encore plus primitives deux cents ans en arrière. À l’évidence, cette époque serait bien moins identifiable que toute autre. Même Londres serait probablement à peine reconnaissable. Elle se sentit isolée, seule dans un monde et dans un lieu lointains. Si Caleb n’avait pas été là, à ses côtés, elle se serait sentie complètement seule. Mais en même temps, cette architecture, cette église et ces cloîtres lui semblaient tellement familiers. Après tout, elle était en train de marcher dans l’Abbaye de Westminster qui se tenait encore debout au 21ème siècle. Non seulement, ce bâtiment, même tel qu’il était sur le moment, était ancien et existait déjà depuis plusieurs siècles. Au moins cela la réconfortait un peu. Mais pourquoi avait-elle été renvoyée dans le passé ? Et cet endroit ? Il était clair qu’il avait une grande signification pour sa mission. Londres. 1599. Était-ce l’époque où Shakespeare avait vécu ?, se demanda-t-elle, son cœur battant soudain plus vite alors qu’elle imaginait avoir ne serait-ce qu’une chance de l’entrapercevoir, en chair et en os. Ils marchaient en silence, passant d’un couloir à un autre. « Londres en 1599 n’est pas aussi primitif que vous le pensez », dit leur guide en lui jetant un regard et en souriant. Caitlin se sentit gênée en apprenant que ses pensées avaient été lues. Comme toujours, elle sut qu’elle aurait dû être plus vigilante et mieux les protéger. Elle espéra ne pas avoir offensé la vampire. « Aucun souci », répondit cette dernière en lisant de nouveau ses pensées. « Notre époque est primitive sur de nombreux aspects technologiques auxquels vous êtes habitués. Mais sur d’autres choses, nous sommes plus sophistiqués que votre époque moderne. Nous sommes très instruits et savants, et les livres font la loi. Un peuple avec des moyens primitifs peut-être, mais avec un intellect très affûté. Plus important, il s’agit d’une époque cruciale pour la race des vampires. Nous sommes à une croisée de chemins. Vous êtes arrivés à la fin du siècle pour une bonne raison. » « Pourquoi ? », demanda Caleb. La femme leur sourit avant de passer par une autre porte. « Vous devrez trouver la réponse par vous-mêmes. » Ils entrèrent dans une autre pièce magnifique, avec de hauts plafonds, des vitraux, des sols en marbre, d’énormes cierges et des statues de rois et de saints. Mais cette pièce était différente des autres. Des sarcophages et des effigies étaient disposés avec soin, et au centre se tenait une tombe imposante de plusieurs mètres de haut et recouverte d’or. Leur guide marcha droit vers cette dernière et ils la suivirent. Elle s’arrêta devant et se tourna vers eux. Caitlin observa la tombe magnifique : elle était large et imposante. Il s’agissait d’une œuvre d’art superbe, recouverte d’or et ornée de fines sculptures. Elle ressentit également l’énergie qui s’en dégageait, comme si cette tombe avait une certaine importance. « La tombe de Saint Édouard le Confesseur », dit la vampire. « C’est un lieu saint, un lieu de pèlerinage pour notre race depuis des centaines d’années. Il est dit que si on prie à côté d’elle, ceux qui sont malades sont miraculeusement guéris. Regardez la pierre qui se trouve à vos pieds : elle a été usée par toutes les personnes qui se sont agenouillées ici au fil du temps. » Caitlin baissa les yeux et vit qu’en effet la plateforme en marbre portait de légères marques incrustées sur les bords. Elle s’émerveilla du nombre de personnes qui s’étaient agenouillées ici tout au long des siècles. « Mais dans votre cas », poursuivit-elle, « elle a encore plus de signification. » Elle se retourna et elle regarda directement vers Caitlin. « Votre clé », dit-elle à Caitlin. Celle-ci fut déconcertée. De quelle clé parlait-elle ? Elle mit les mains dans ses poches et elle sentit de nouveau les deux clés qu’elle avait trouvées jusqu’ici. Elle ne savait pas laquelle des deux la femme voulait. Elle secoua la tête. « Non. Votre autre clé. » Caitlin réfléchit, perplexe. Est-ce qu’elle avait oublié une autre clé ? Puis, en jetant un œil à la base sur sa poitrine, elle comprit. Son collier. Caitlin fut stupéfaite en réalisant qu’il était encore là. Elle l’enleva doucement et tendit la délicate croix ancienne en argent dans la paume de sa main. La vampire secoua la tête. « Vous seule pouvez l’utiliser. » Elle tendit la main et prit doucement le poignet de Caitlin pour la guider vers le trou de serrure le plus petit, à la base du piédestal. Caitlin fut abasourdie. Elle n’aurait même pas remarqué ce trou de serrure dans d’autres circonstances. Elle inséra la clé et la fit tourner ; il y eut un petit cliquetis. Elle leva les yeux, et elle vit qu’un minuscule compartiment s’était ouvert sur le côté de la tombe. Elle regarda la vampire qui hocha la tête en réponse. Caitlin tendit la main et tira lentement un long compartiment étroit. Elle fut choquée de ce qu’elle trouva à l’intérieur : un long sceptre en or dont la tête était ornée de rubis et d’émeraudes. Elle le sortit et elle fut étonnée par son poids et par la douceur de l’or dans sa main. Il devait mesurer un mètre de long et être en or massif. « Le sceptre sacré », dit la nonne. « Il appartenait autrefois à votre père. » Caitlin le regarda avec un nouveau sentiment d’émerveillement et de respect. Le fait de le tenir l’électrisait et elle sentait plus proche de son père que jamais. « Est-ce que ça me mènera jusqu’à mon père ? », demanda-t-elle. Leur guide se contenta de se retourner et de sortir de la chambre. « Par ici », dit-elle. Caitlin et Caleb la suivirent en passant par une autre porte et ils traversèrent plusieurs couloirs ; ils dépassèrent la cour médiévale d’un autre cloître. Alors qu’ils avançaient, Caitlin fut surprise de voir plusieurs autres vampires vêtues de robes blanches et de capuchons en train de marcher dans les salles. La plupart regardaient vers le sol, comme perdues dans leurs prières. Certaines tenaient des lanternes contenant de l’encens qui se balançaient au rythme de leurs pas. Quelques-unes faisaient un signe de la tête en les croisant puis poursuivaient leur chemin en silence. Caitlin se demanda pourquoi autant de vampires vivaient ici et si elles appartenaient au clan de son père. Elle ne s’était jamais rendue compte que l’Abbaye de Westminster était un cloître en plus d’être une église. Ni qu’il s’agissait d’un lieu de repos pour sa race. Ils finirent par rentrer dans une autre salle plus petite que les autres qui baignait dans la lumière naturelle, mais dont les plafonds formaient une voûte élevée. Son sol en pierre était austère, et en son centre siégeait un meuble remarquable : un trône. Surélevé sur un piédestal à au moins quinze pieds de haut, le trône en bois était composé d’une assise extrêmement large avec des accoudoirs tournés vers le haut, et un dossier incliné sur un triangle avec des lignes partant des extrémités et se rejoignant en un point situé au milieu. Derrière, sur ses angles, reposait deux lions en or conçus pour avoir l’air de tenir la chaise. Caitlin l’examina, bouche bée. « La chaise du roi Édouard », dit le vampire. « Le trône de couronnement des rois et des reines depuis des milliers d’années. Un meuble très spécial - non seulement pour sa place dans l’histoire, mais parce qu’il détient une des clés de notre espèce. » Elle se retourna et elle regarda vers Caitlin. « Nous gardons ce trône depuis des milliers d’années. Maintenant que vous êtes là et que vous avez libéré le sceptre, il est temps pour vous de prendre la place qui vous revient de droit. » Elle fit signe à Caitlin de monter sur le trône. Caitlin regarda derrière elle, sous le choc. Quel droit elle, une fille simple, avait de monter sur un trône aussi royal - un trône sur lequel s’étaient assis des rois et des reines pendant des milliers d’années ? Elle ne se sentait aucun droit de s’en approcher, et encore moins de monter sur son immense piédestal et de s’asseoir dessus. « Je vous en prie », la pressa la vampire. « Vous êtes en droit de le faire. Vous êtes l’Élue. » Caleb lui fit un signe de la tête et Caitlin montant lentement et avec réticence sur l’immense piédestal en portant le sceptre. Lorsqu’elle arriva en haut, elle se retourna et elle s’installa délicatement sur le trône. Il était en bois massif. Alors que s’adossait contre lui, elle reposa les mains sur ses accoudoirs et elle put sentir son pouvoir. Elle pouvait les millénaires de personnages royaux qui avaient reçu leurs couronnes à cet endroit même. Il semblait chargé d’électricité. Alors qu’elle regardait la pièce, à quinze pieds au-dessus des autres, elle eut l’impression de les dominer et de dominer le monde. C’est un sentiment impressionnant. « Le sceptre », dit la vampire. Caitlin baissa les yeux sur cette dernière, hésitante et ne sachant pas quelle action elle attendait d’elle. « Dans l’accoudoir du trône, vous trouverez un petit orifice. Il est destiné à l’accueillir. » Caitlin regarda attentivement et cette fois, elle vit un petit trou juste suffisamment large pour convenir à son diamètre exact. Elle leva le bras et elle inséra lentement le sceptre dans l’orifice. Il glissa vers le bas jusqu’à ce sa tête repose sur l’accoudoir. Soudain, un léger clic se fit entendre. Caitlin baissa les yeux et elle fut stupéfaite de voir un minuscule compartiment s’ouvrir à la base d’une des têtes de lions. À l’intérieur se trouvait une petite bague en or. Elle la prit dans sa main. En la tenant vers le haut, elle l’examina. « La bague de la destinée », dit la vampire. « Elle vous est destinée. Un cadeau de la part de votre père. » Caitlin la fixa, admirative, en la tenant à la lumière et en regardant les joyaux étinceler alors qu’elle la tournait entre ses doigts. « Passez-la à votre annulaire droit. » Caitlin la fit glisser à son doigt, et en sentant le métal froid, un frisson la parcourut. Elle pouvait sentir le pouvoir qui s’en dégageait. « Elle vous montrera le chemin. » Caitlin l’examina. « Mais comment ? », demanda-t-elle. « Il vous suffit de l’inspecter », dit la vampire. Perplexe au début, Caitlin finit par examiner la bague de plus près. Ce faisant, elle remarqua une fine gravure délicate tout autour de l’anneau. Son cœur se mit à battre plus vite quand elle lut ce qui était inscrit. Elle sut immédiatement qu’il s’agissait d’un message de son père. Across the Bridge, Beyond the Bear, With the Winds or the sun, we bypass London. (De l’autre côté du pont, au-delà de l’ours, Avec les vents ou le soleil, nous contournons Londres) Caitlin relut l’énigme, puis elle la lut à haute voix pour que Caleb puisse l’entendre. « Qu’est-ce ça veut dire ?», demanda-t-elle. Leur guide se contenta de lui répondre par un sourire. « C’est le plus loin où je suis autorisée à vous emmener. C’est à vous de découvrir le reste de votre voyage. » Puis, elle se pencha plus près. « Nous comptons sur vous. Quoi que vous fassiez, ne nous abandonnez pas. »
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