Prologue

3831 Words
Prologue Royaume de la Forêt de Sarafin : Des siècles plus tôt Mia voyait les violents incendies depuis les fenêtres ouvertes du palais alors qu’elle courait pieds nus à travers les couloirs sombres. Les flammes brillantes donnaient un éclat malveillant à la nuit. Des cris terrifiés emplissaient l’air et ne faisaient qu’ajouter au chaos et à la confusion. Le cœur de Mia se mit à battre la chamade quand elle entendit les cris pressants derrière elle. Elle tourna rapidement à gauche et traversa un autre long couloir en courant à la recherche d’un endroit où se cacher. Elle entendait autour d’elle les voix suppliantes des servants qui imploraient d’être épargnés avant que leurs cris ne soient brutalement réduits au silence. Elle trébucha alors qu’elle fuyait d’un couloir à l’autre dans une recherche éperdue de l’endroit qui pourrait lui sauver la vie, ainsi que celle de son enfant à naître. Vêtue uniquement d’une fine chemise de nuit et d’une cape, elle frissonna de choc et en réaction à la pierre froide sous ses pieds. Elle était aveuglée par les larmes et arrivait à peine à contenir le chagrin qui menaçait de la submerger. Elle essuya les larmes qui lui brûlaient les yeux d’une main tremblante. Ses parents, le roi et la reine du Royaume de la Forêt, et les gardes du palais étaient morts, assassinés par des traîtres. Son compagnon aussi avait été assassiné. Le chat de Mia l’avait réveillée en crachant pour l’avertir et, effrayée par l’insistance de son chat, elle s’était enfuie pour rejoindre le bureau de son compagnon. Raul s’y retirait souvent les soirs où il n’arrivait pas à dormir. Mia n’avait presque pas eu le temps de se cacher derrière une imposante colonne. Elle les avait entendus venir, le bruit de leurs pas accompagné par des cris et, quelques secondes plus tard, Mia avait vu au moins une douzaine d’hommes armés s’arrêter devant le bureau de Raul. La plupart des assaillants de Raul avaient masqué leurs visages, mais son chat avait senti que certains d’entre eux ne venaient pas de Sarafin. Elle s’était détournée, son dos appuyé contre la colonne et son poing serré contre sa bouche. Il était impossible que son compagnon puisse survivre à une telle attaque, mais Mia avait été incapable d’abandonner l’espoir éperdu qu’ils ne le tuent pas. Elle avait jeté un œil de l’autre côté de la colonne et avait regardé un des hommes qui se tenaient dans l’embrasure de la porte, son épée recouverte du sang de Raul. Sa cape n’avait pas de capuche pour qu’il puisse cacher ses traits et elle n’avait que trop bien reconnu son visage : c’était Airabus. Ils avaient grandi ensemble. Elle l’avait jadis considéré comme un ami. Derrière lui, elle avait vu un corps dans les ombres de la pièce. Son compagnon était mort, assassiné par un guerrier qu’il croyait être son meilleur ami et un allié. Elle était restée cachée, tremblant sous le coup du chagrin. Quand le groupe s’était déplacé dans le couloir, mené par un homme vêtu d’une élégante cape à capuche noire bordée d’or, Airabus avait dit à un autre homme qu’il espérait que les attaques contre les autres royaumes sarafins se déroulaient aussi bien que celle-ci. Mia l’avait écouté attentivement alors qu’il parlait des attaques simultanées contre les planètes natales des Valdiers et des Curizans. Il avait dit que les trois familles régnantes seraient bientôt complètement détruites et remplacées. Elle avait eu un mouvement de recul quand elle avait entendu Airabus mentionner le prince Raffvin, un membre de la famille royale des seigneurs dragons de Valdier. Elle était stupéfaite qu’un Sarafin puisse travailler avec un prince valdier pour assassiner la famille royale de Sarafin. Comment pouvaient-ils se retourner ainsi contre leur propre peuple ? Elle attendit qu’ils soient hors de vue avant de tourner les talons et de s’enfuir. Cela faisait à présent une heure qu’elle courait et elle avait l’impression que ce cauchemar n’en finirait jamais. Elle entendit des pas s’approcher depuis l’aile ouest et elle essuya en vain ses larmes tandis qu’elle se faufilait à nouveau autant que possible dans une alcôve. Se transformer en son chat la rendrait légèrement plus dangereuse, mais ils étaient bien trop nombreux et un tigre aurait plus de difficultés à se cacher qu’une femme. Elle retint sa respiration lorsqu’un groupe de guerriers la dépassa en courant. Il n’y avait plus qu’une seule personne en qui elle pouvait avoir confiance à présent. Mia n’avait pas vu la déesse Aikaterina ou parlé avec elle depuis son enfance, mais elle espérait que la déesse entendrait et répondrait à sa supplication. Peu savaient que l’existence même de l’espèce des Sarafins dépendait du don que leur avait fait la déesse : le pouvoir de se transformer en de grands chats prédateurs — et évidemment, peu savaient que ce pouvoir venait tout autant du sang de la famille royale qu’il venait du sang de la déesse Aikaterina. En détruisant la famille royale, les traîtres se détruisaient eux-mêmes. Seule une chose pouvait empêcher cela : le Cœur du Chat. Je sens danger, cracha son chat. Ils t’attendent. On doit se rendre dans la chambre, expliqua Mia, sachant qu’elle n’avait pas d’autre choix. Il y a un autre passage. On passera par là. Les traîtres le connaissent peut-être, la mit en garde son chat. Mia secoua la tête. Il est impossible que qui que ce soit d’autre soit au courant de l’existence de la chambre. Aikaterina m’a prévenue que je ne devais en parler à personne, pas même mon compagnon. Je suis la seule à savoir comment me rendre dans cette chambre, rappela-t-elle à son chat, sa gorge se serrant de chagrin au souvenir de feu son compagnon. Transforme-toi, ordonna son chat. Mia balaya prudemment la zone du regard avant de se transformer. Une fois qu’elle fut au fond de son chat, elle calma le petit niché en elle. Le petit ne sentait pas seulement le danger ; la petite vie en elle sentait la perte de son père. Le chagrin paralysa presque Mia quand l’image de son compagnon mort lui traversa l’esprit. Un frisson parcourut le grand tigre noir. Vas-y, ordonna-t-elle en refoulant son chagrin. Le tigre noir se glissa silencieusement dans le large couloir. Elle longea le mur opposé aux fenêtres, essayant de rester autant que possible dans l’ombre. Au bout du couloir, elle leva la tête et huma l’air. Son chat retroussa ses babines, révélant des dents pointues. Elle resta silencieuse. Bien qu’elle voulût attaquer les guerriers curizans et valdiers qu’elle sentait, elle savait que ce serait une entreprise vaine qui ne se solderait que par sa capture ou sa mort. Traîtres ! grogna silencieusement son chat. Ils travaillent avec Curizans et Valdiers, ils trahissent Sarafin. Nous devons protéger notre petit. Ils la tueront s’ils nous capturent, rappela Mia à son chat. Son chat tourna la tête et leva les yeux. Il y avait un petit escalier qui menait à une pièce au-dessus de la chambre qu’elles cherchaient. Si elles parvenaient à s’y faufiler, elles pourraient emprunter un passage secret menant à la chambre et ensuite continuer jusqu’à leur destination sous le palais. Le chat de Mia se retira dans les ombres et recula de quelques pas vers un étroit escalier en colimaçon qui menait au balcon. Son ventre pendait et frottait même parfois contre les marches en pierre usées alors qu’elle montait. De la chaleur l’envahit quand elle entendit un ronronnement. Sa fille trouvait amusant que son ventre soit si gros qu’il trainait contre les marches. C’est parce que tu seras grande et forte comme ton père, taquina Mia, essayant de distraire son petit de la gravité de la situation. Parti. Ce mot réveilla un sentiment de peine en Mia. Son bébé était bien assez âgé pour comprendre plus qu’elle n’en avait conscience. Elle grimaça quand une douleur vive lui traversa l’abdomen. Son tigre s’arrêta et attendit. Heureusement, la douleur fut brève. En haut de l’escalier, Mia s’arrêta et observa depuis son point de vue avantageux au-dessus du couloir. Les deux gardes avaient été rejoints par deux autres qui s’étaient positionnés de façon à bloquer quiconque tenterait de s’échapper. Les nouveaux guerriers étaient aussi sarafins. Elle les regarda avec fureur se transformer et faire rouler leurs épaules. — Est-ce que vous l’avez trouvée ? demanda le garde valdier. — Non, mais elle est en fin de grossesse et le haut-seigneur a fait fermer toutes les sorties du palais. Elle n’a nulle part où aller. La nuit est presque terminée. Une fois que le soleil sera levé, elle ne pourra plus se cacher dans l’ombre, déclara Airabus. — Avez-vous eu des nouvelles concernant les autres royaumes ? demanda le Curizan. Mia vit Airabus sourire dans la faible lumière. Son sourire révélant ses dents pointues était gâché par le fait qu’une de ses canines était cassée en deux. Les griffes de Mia s’enfoncèrent dans le bois, coupant l’épais tapis et y laissant de profondes entailles. Elle voulait lui trancher la gorge. — Le roi du Royaume du Désert et sa compagne sont morts, mais le jeune prince a disparu. Les autres tomberont bientôt. Le seigneur Raffvin y travaille, répondit Airabus. — C’est dommage que la princesse Mia n’ait jamais su la vérité sur le passé de son compagnon. Je me demande si elle le pleurerait toujours si elle la connaissait, ricana le Valdier. Mia se baissa sur le sol, frappée par une vague de confusion. Elle attendit pour voir si le guerrier continuerait, mais Airabus lui cracha de se taire. Elle recula dans l’ombre de la rambarde quand Airabus leva les yeux, comme s’il sentait qu’elle regardait. Elle recula lentement et à grand-peine jusqu’à être appuyée contre le mur. Elle se redressa partiellement et se dirigea vers l’extrémité d’une petite zone décorative. Elle appuya son nez sur un panneau près du bas, se glissa dans l’ouverture et disparut dans le passage secret, le panneau se fermant automatiquement derrière elle. Elle se transforma, puis se tint le ventre d’une main tandis que son autre main était appuyée contre le mur. Elle suivit avec précaution le labyrinthe d’escaliers et d’étroits couloirs secrets jusqu’à ce qu’elle atteigne l’entrée de la pièce qu’elle cherchait. Elle sentit à nouveau les vives douleurs et elle sut que les contractions avaient commencé. Mia progressa en titubant dans l’escalier. Devant elle se trouvait la chambre qu’Aikaterina lui avait montrée quand elle était enfant. Elle se dirigea vers le mur du fond et tira sur le levier qui ouvrait la porte secrète. Le panneau s’ouvrit silencieusement et Mia entra. Sa respiration semblait bruyante dans la grande pièce. Elle haletait tout en essayant de contrôler la douleur causée par les contractions. Elle balaya la chambre du regard. Une faible lueur émanant du piédestal central illuminait la pièce. La lumière se réfléchissait sur le plafond et les murs blancs. Un bassin de liquide transparent entourait le piédestal sur lequel se trouvait une vasque ornementée. Une série de rochers créait un pont menant au trésor caché dans la petite vasque arrondie. Mia contourna lentement le bassin, puis s’arrêta avant de se transformer à nouveau. Son tigre émit un petit grognement quand une autre contraction la traversa. Son ventre se serra et elle recommença à haleter. On y est presque. Je ne peux pas atteindre le centre. Tu es la seule à en être capable, rappela-t-elle à son chat. Son chat répondit par un grognement. Ses yeux argentés scintillants se concentrèrent sur le premier pas. Avec un bond gracieux, elle atterrit sur le rocher. La pierre de gué bougea et elle agita la queue afin de maintenir son équilibre. Elle attendit que le rocher cesse de bouger avant de sauter sur le suivant. Avec un autre bond, elle atterrit sur le deuxième rocher. Une fois de plus, la pierre se déplaça. Cette fois, le mouvement créa une petite vague et un peu de liquide éclaboussa sa patte avant. Elle leva rapidement la patte et la secoua quand elle sentit une douloureuse brûlure. Le liquide ressemblait à de l’eau, mais il s’agissait en vérité d’un bassin d’acide corrosif créé pour protéger le Cœur du Chat. Fait mal, gémit son chat en mettant sa patte contre sa poitrine. Je sais. Tu dois faire attention, répondit Mia. J’essaye. Bébé arrive, dit son chat d’une voix haletante. Mia ne répondit pas. Elle se concentra sur le fait de calmer son petit. Le bébé s’angoissait et s’agitait. Elle ne pouvait pas naître maintenant. C’était trop dangereux. Elle devait rejoindre la partie centrale où elle serait en sécurité. Elle posa sa patte blessée sur la pierre et se concentra sur son prochain saut. Le temps pressait. Elle entendit le bruit de pas qui s’approchaient et la peur menaça de l’étouffer. Seule la déesse savait comment, mais le haut-seigneur avait trouvé le passage secret. Tu dois te dépêcher. On doit atteindre le Cœur avant qu’il ne soit trop tard, ordonna désespérément Mia. Sont plus petites. Je rate…, protesta son chat. On va mourir de toute façon. Ils nous ont trouvées… ainsi que le Cœur, murmura Mia, résignée. Son chat se tourna et cracha quand près d’une douzaine d’hommes entrèrent dans la chambre sacrée depuis le passage secret. Elle grogna et leur montra les dents alors que le dernier homme, le haut-seigneur qui les guidait tous, entrait. Sa grande silhouette était recouverte d’une cape et son visage était caché par la capuche. Airabus et les deux perfides gardes du palais se tenaient à ses côtés. — Amenez-la-moi et récupérez le Cœur, ordonna le haut-seigneur. Mia sentit la détermination de son chat lorsqu’elle se tourna et se ramassa. Elle réalisa que son chat avait prévu de sauter de la pierre où elles étaient jusqu’à la plateforme centrale. Un tel saut serait extrêmement difficile à cette distance, même pour le plus agile des chats. Le faire en fin de grossesse et alors qu’elle avait commencé à accoucher était du suicide. Bien qu’elle savait qu’elles mourraient probablement de toute façon, l’idée de mourir en tombant dans le bassin d’acide la terrifiait. Non ! cria Mia, horrifiée, quand son chat bondit. Un cri étranglé s’échappa d’elle quand elles atterrirent sans encombre et roulèrent. Son ventre se contracta et elle sentit le liquide chaud contre ses pattes arrière lorsqu’elle perdit les eaux. Se transformant en sa forme bipède, elle mit une main sur son ventre et saisit le bord de la vasque de l’autre. Elle se tira pour se redresser et s’appuya contre la vasque. Les traîtres n’avaient pas encore atteint la première pierre du bassin. Elle dirigea son regard vers la silhouette vêtue d’une cape et, bien que fatiguée, elle releva le menton d’un air de défi. — Vous n’aurez jamais le Cœur du Chat, l’informa-t-elle. Le haut-seigneur leva les mains, poussa sa capuche en arrière et retira l’appareil qui lui couvrait la bouche et lui changeait la voix. Le menton de Mia trembla, ses genoux menacèrent de céder et un petit cri de détresse s’échappa d’elle quand elle vit son visage. Raul. Comment pouvait-il être le responsable de la destruction du Royaume de la Forêt et de la mort de tant des leurs ? Elle resserra sa prise sur la vasque tout en secouant la tête. — Comment se peut-il que ce soit toi ? Tu… Tu étais… Je t’ai vu tomber. Sa gorge se serra lorsqu’un chagrin et une douleur accablants la parcoururent. — Le Cœur du Chat nous appartient, Mia. Tu es la seule à pouvoir le récupérer. Amène-le-moi, mon amour. Avec ce pouvoir, nous pourrons contrôler les trois mondes, roucoula-t-il. — Ce n’est pas ce qui a été convenu, Sarafin. La pierre fait partie de la collection, grogna le guerrier curizan à quelques pas de lui. — Tuez-les, ordonna Raul avec un signe de la main sans quitter Mia des yeux. — Raffvin nous avait prévenus que tu pourrais nous trahir, Sarafin, grogna le guerrier valdier. Mia regarda le guerrier valdier se transformer. Un dragon charbon et blanc apparut et cracha des flammes tandis que le Curizan lançait des rafales d’énergie d’un blanc lumineux sur le groupe de guerriers sarafins. Ils étaient en infériorité numérique, mais leurs capacités leur donnaient un avantage dont Mia ignorait l’existence. Plusieurs guerriers sarafins s’éloignèrent des flammes du dragon tandis que deux autres s’efforçaient d’éviter d’être empalés par les mystérieuses rafales d’énergie blanche. Un des hommes s’approcha trop du bord du bassin. Il chancela avant qu’une des rafales d’énergie ne l’atteigne et le projette en arrière. Ses cris de douleur ne durèrent pas longtemps tandis qu’il était dissous par l’acide transparent du bassin peu profond. Mia s’accroupit maladroitement et contourna le piédestal. Ses doigts tremblaient quand elle plongea la main dans le liquide transparent. Aveuglée par les larmes, elle sortit la pierre précieuse aussi claire qu’un cristal de la vasque. Elle ignora le rugissement du dragon et les grognements des énormes chats qui contre-attaquaient. Elle leva les yeux et vit l’homme à qui elle avait donné son cœur. — Donne-moi le Cœur, Mia, ordonna doucement Raul, ses paroles perçant à peine l’emprise destructrice de la douleur sur son corps. — Tu m’as trahie. Tu as trahi ta fille. Tu as trahi ton peuple, répondit-elle, ayant l’impression que son cœur était en train de lui être arraché. — Nous régnerons ensemble, mon amour, murmura Raul avant de sauter sur la première pierre. Mia le regarda dans les yeux et vit son mensonge. Bien qu’il lui fût douloureux de l’accepter, elle ne nierait pas ce qui se trouvait sous ses yeux. Raul et elle n’étaient pas dans le même camp. Son corps tremblait alors qu’elle tenait le Cœur du Chat dans ses mains. Elle se redressa lentement et leva la pierre au-dessus de sa tête. — Aikaterina, je vous en supplie, sauvez mon peuple, murmura-t-elle. — Non ! grogna Raul en sautant sur une autre pierre. Un éclair d’énergie blanc la frappa et Mia se pencha sous le coup du choc tout en plaquant sa main contre sa poitrine. Derrière Raul, le Curizan répondit à son air choqué avec un regard triomphant. Sa jubilation de l’avoir touchée fut de courte durée ; deux guerriers sarafins l’attaquèrent par derrière et le lancèrent dans le bassin peu profond. L’homme cria lorsque l’acide le submergea et il saisit la pierre sur laquelle se trouvait Raul. Le rocher bougea et Raul glissa. Son bras droit s’enfonça jusqu’au coude dans le liquide tandis qu’il essayait de ne pas basculer dans le bassin d’acide. Mia chancela quand son compagnon cria de douleur tout en s’efforçant de ne pas tomber. Il tira ce qu’il restait de son bras du bassin d’acide et saisit le moignon de sa main gauche. Il chancela, puis sauta et atterrit maladroitement sur la pierre suivante tandis que le Curizan disparaissait dans le liquide transparent. — Mia, s’étrangla-t-il d’une voix rauque. Malgré la douleur atroce qu’il devait ressentir, ses yeux brillants n’étaient pas focalisés sur son visage, mais sur la pierre qu’elle tenait au-dessus de sa tête. — Ensemble, mon amour. Nous régnerons sur la galaxie. — Jamais, Raul, murmura Mia, la pierre cristalline du Cœur du Chat se tachant du rouge de son sang lorsqu’elle la prit à nouveau à deux mains. Je donne ce fardeau à notre fille. Je ne vivrai pas assez longtemps pour l’endosser et personne d’autre ne le peut. Qu’elle vive et un jour apporte la paix à notre peuple ; une paix que son père a cherché à détruire. Mia sentait sa vie la quitter alors même que la douleur dans son abdomen empirait. Des larmes roulèrent sur ses joues lorsque ses jambes cédèrent et qu’elle tomba à genoux sur la plateforme. Ses yeux restèrent rivés sur son compagnon lorsqu’il sauta pour se rapprocher. Les affreux restes de son bras partiellement dissous pendaient mollement le long de son flanc, le moignon déjà refermé par l’acide brûlant. Elle avait l’impression de le voir pour la première fois. Il n’était plus le beau guerrier qu’elle avait admiré de loin en grandissant et avec lequel elle s’était unie voilà moins d’un an. Elle le voyait plutôt pour qui il était : un traître froid et sans cœur qui sacrifierait son propre peuple pour être au pouvoir. — Je vous en supplie… ne le laissez pas… faire du mal à notre… enfant, murmura-t-elle tout luttant pour vivre assez longtemps pour donner une chance à sa fille. La chaleur de la magie du Cœur du Chat les enveloppa, sa fille à naître et elle, lorsque la déesse répondit à sa supplication. Des vagues d’or entourèrent le piédestal, les protégeant dans son cocon chaleureux. Le soulagement envahit Mia. Le Cœur du Chat serait protégé. Cette certitude calma les larmes sur ses joues alors qu’elle fermait les yeux. Son compagnon ne pouvait plus l’atteindre à présent. Je vous en supplie, protégez mon peuple… et mon petit, supplia silencieusement Mia tandis qu’une nouvelle contraction lui enserrait le corps. Ils seront en sécurité, dit une voix apaisante dans son esprit. Mia ne savait pas si la déesse était réellement là ou s’il s’agissait du pouvoir du Cœur du Chat. Elle se fichait de ce dont il s’agissait tant que cela protégeait son peuple et son enfant de l’homme qui les aurait tous détruits. Ses lèvres s’ouvrirent pour laisser échapper un cri lorsqu’une autre vague intense de douleur la submergea. Elle s’adossa au pilier et haleta tandis que la douleur lui tordait le bas de l’abdomen. Un autre cri étranglé s’échappa d’elle et elle tendit les mains entre ses jambes, attrapant juste à temps le nouveau-né minuscule qui glissa de son corps. Mia ouvrit les yeux et regarda le visage furieux de Raul. Un sourire las se dessina sur ses lèvres quand elle entendit les premiers pleurs de sa fille. Elle s’efforça de lever le nouveau-né dans ses bras, puis elle le tint tendrement contre son sein. Elle sentit immédiatement l’amour de l’étincelle qu’elle avait portée dans son utérus la submerger et lui donner une force renouvelée. — Trescina, ma magnifique, magnifique petite fille, murmura-t-elle en caressant la joue du bébé de ses doigts. — Mia…, appela Raul d’une voix rauque. Mia leva des yeux froids et fixa son compagnon. — Tu n’auras jamais le Cœur du Chat… et tu ne connaîtras jamais l’amour de notre fille, jura-t-elle faiblement. Mia sentit le pouvoir de la pierre précieuse qu’elle avait toujours à la main les submerger, Trescina et elle. La lueur dorée prit une couleur rouge sang. Mia lutta contre les ténèbres qui s’élevèrent dans une tentative pour les engloutir. Une magie étrange et merveilleuse les enveloppa, Trescina et elle, et elle sut que la déesse avait répondu à sa supplication. Sa vie dans ce monde touchait à sa fin. Son dernier souhait était que sa fille ne connaisse jamais le chagrin d’apprendre la vérité sur la trahison de son père, mais elle craignait que ce souhait ne se réalise jamais… à moins qu’Aikaterina ne les envoie très, très loin, dans un endroit où personne ne pourrait jamais les trouver.
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