IX
« Madame… » lui dis-je.
Elle rougit davantage encore.
« Je ne suis pas mariée, monsieur, me dit-elle, je suis fille.
– Eh bien, mademoiselle, voulez-vous me dire pourquoi vous êtes venue de si loin, et pourquoi vous avez attendu si longtemps notre retour pour m’entretenir ? Est-ce que je puis vous être utile à quelque chose ? Est-ce que vous avez une lettre à me remettre de la part de quelqu’un de votre pays ?
– Oh ! mon Dieu, non, monsieur, je n’ai rien à vous demander, et je me serais bien gardée de me procurer une lettre des messieurs de mon pays pour vous, ou de laisser connaître seulement que je venais à Marseille pour vous voir. On m’aurait prise pour une vaniteuse qui voulait se rendre plus grande qu’elle n’est en allant s’approcher des hommes qui font du bruit. Oh ! ce n’est pas cela.
– Eh bien, alors, que venez-vous me dire ?
– Mais rien, monsieur !
– Comment, rien ? Mais rien, cela ne vaut pas la peine de perdre deux jours pour venir d’Aix à Marseille, ni de m’attendre ici jusqu’au coucher du soleil, pour retourner demain d’où vous venez ?
– C’est pourtant vrai, monsieur ; vous devez me trouver bien simple. Eh bien, je n’ai rien à vous dire, et je ne voudrais pas pour un trésor que l’on sût à Aix que je suis venue ici !
– Mais enfin quelque chose vous a poussée à venir ; vous n’êtes pas comme ces vagues que vous voyez qui vont et viennent sans savoir pourquoi. Vous avez une pensée ; vous paraissez spirituelle et vive ; voyons, cherchez bien, quelle a été votre idée en prenant une place dans la diligence d’Aix et en vous faisant conduire à ma porte ?
– Eh bien, monsieur, dit-elle en passant ses deux mains sur ses joues comme pour en faire disparaître la rougeur et l’embarras, et en rejetant ses belles boucles de cheveux noirs humides de sueur derrière son cou, c’est vrai, j’avais une idée, une idée qui ne me laissait pas dormir depuis huit jours. Je me suis dit : “Reine ! il faut te contenter ! tu ne diras rien à personne, tu fermeras ta boutique le samedi soir de bonne heure, tu prendras la diligence de nuit, tu passeras le dimanche à Marseille, tu iras voir ce monsieur, tu repartiras pour Aix le dimanche soir, tu seras le lundi matin à ton ouvrage, et tout sera fini ; tu te seras contentée une fois dans ta vie, sans que tes voisins ou voisines se doutent seulement que tu es sortie de la rue ou du Cours.” »