XX
Elle dit cela avec un bon sens supérieur à son éducation et avec un accent si pénétré de l’indigence intellectuelle des classes auxquelles elle appartenait, que cela me fit réfléchir un moment à la vérité et à la gravité de son observation.
J’y avais déjà pensé quelquefois, dis-je en m’adressant à ma femme et à Reine, mais jamais tant qu’en écoutant ce que vous venez de dire. C’est vrai pourtant ! le peuple qui veut s’instruire, se distraire, s’intéresser par l’imagination, s’attendrir par le sentiment, s’élever par la pensée, va mourir d’inanition ou s’enivrer de corruptions, si on n’y prend garde. Il faut que la société s’en occupe, ou il faut que Dieu suscite un génie populaire, un Homère ouvrier, un Milton laboureur, un Tasse soldat, un Dante industriel, un Fénelon de la chaumière, un Racine, un Corneille, un Buffon de l’atelier, pour faire à lui seul ce que la société égoïste ou paresseuse ne veut pas faire, un commencement de littérature, une poésie, une sensibilité du peuple !
Je passe en revue par la pensée en ce moment tous les rayons d’une bibliothèque bien composée. Je mets en idée la main sur tous les principaux noms qui la meublent, et je cherche à y grouper une collection de volumes qui puissent alimenter la vie intérieure d’une honnête famille de laboureurs, de serviteurs, d’ouvriers, hommes, femmes, enfants, jeunes filles, vieillards ; livres à laisser sur la table et avec lesquels chacun puisse causer en silence, le dimanche ou le soir, sans avoir besoin qu’on les traduise ou qu’on les explique pour les entendre. Voyons, qu’est-ce que je trouve sous la main ?