A M. Charles Duvernet
À M. Charles Duvernet
Certainement nous l’avons connu, mais disséminé entre dix ou douze exemplaires dont aucun en particulier ne m’a servi de modèle. Dieu me préserve de faire la satire d’un individu dans un personnage de roman. Mais celle d’un travers répandu dans le monde de nos jours, je l’ai essayée cette fois-ci encore ; et si je n’ai pas mieux réussi que de coutume, comme de coutume je dirai que c’est la faute de l’auteur, et non celle de la vérité. Les marquis d’aujourd’hui ne sont plus ridicules. Une couche nouvelle de la société ayant poussé l’ancienne, il est certain que les prétentions et les impertinences de la vanité ont changé de place et de nature. J’ai tenté de faire un peu attentivement la critique du beau jeune homme de ce temps-ci ; et ce beau n’est pas ce qu’à Paris on appelle lion. Ce dernier est le plus inoffensif des êtres. Horace est un type plus répandu et plus dangereux, parce qu’il est plus élevé en valeur réelle. Un lion n’est le successeur ni des marquis de Molière ni des roués de la Régence ; il n’est ni bon ni méchant : il rentre dans la catégorie des enfants qui s’amusent à faire les matamores. Cette impuissante affectation des grands vices qui ne sont plus n’est qu’un très petit épisode de la scène générale. Horace a dû traverser cet épisode ; mais il partait d’un autre point et cherchait un autre but. Dieu merci, un seul ridicule ne suffit pas à cette jeunesse ambitieuse, qui s’agrandit et s’épure à travers mille erreurs et mille fautes, grâce au puissant mobile de l’amour-propre. Mon ami, nous avons souvent parlé de ceux de nos contemporains chez qui nous avons vu la personnalité se développer avec un excès effrayant ; nous leur avons vu faire beaucoup de mal en voulant faire le bien.
Nous les avons parfois raillés, souvent repris ; plus souvent nous les avons plaints, et toujours nous les avons aimés, quand même !
GEORGE SAND.