Chapitre 1 - Le Château-3

1409 Words
Ce fut, en allant reprendre ce fameux cimetière pour la troisième fois que Masséna, blessé, porté dans une caisse de cabriolet, fit à ses soldats cette sublime allocution :. " Comment, s… . mâtins, vous n'avez que cinq sous par jour, j'ai quarante millions, et vous me laissez en avant !… " On sait l'ordre de l'Empereur à son lieutenant et apporté par M. de Sainte-Croix, qui passa trois fois le Danube à la nage : " Mourir, ou reprendre le village ; il s'agit de sauver l'armée ! les ponts sont rompus. " ( L'auteur .)] . Montcornet a les dehors d'un héros de l'antiquité. Ses bras sont gros et nerveux, sa poitrine est large et sonore, sa tête se recommande par un caractère léonin, sa voix est de celles qui peuvent commander la charge au fort des batailles ; mais il n'a que le courage de l'homme sanguin, il manque d'esprit et de portée. Comme beaucoup de généraux à qui le bon sens militaire, la défiance naturelle à l'homme sans cesse en péril, les habitudes du commandement donnent les apparences de la supériorité, Montcornet impose au premier abord ; on le croit un Titan, mais il recèle un nain comme le géant de carton qui salue Elisabeth à l'entrée du château de Kenilworth. Colère et bon, plein d'orgueil impérial, il a la causticité du soldat, la repartie prompte et la main plus prompte encore. S'il a été superbe sur un champ de bataille, il est insupportable dans un ménage, il ne connaît que l'amour de garnison, l'amour des militaires à qui les Anciens, ces ingénieux faiseurs de mythes, avaient donné pour patron le fils de Mars et de Vénus, Eros . Ces délicieux chroniqueurs de religions s'étaient approvisionnés d'une dixaine d'amours différents. En étudiant les pères et les attributs de ces amours, vous découvrez la nomenclature sociale la plus complète, et nous croyons inventer quelque chose ! Quand le globe se retournera comme un malade qui rêve, et que les mers deviendront des continents, les Français de ce temps là trouveront au fond de notre Océan actuel une machine à vapeur, un canon, un journal et une charte, enveloppés dans un bloc de Corail. Or, mon cher, la comtesse de Montcornet est une petite femme frêle, délicate et timide. Que dis-tu de ce mariage ? Pour qui connaît le monde, ces hasards sont si communs, que les mariages bien assortis sont l'exception. Je suis venu voir comment cette petite femme fluette arrange ses ficelles pour mener ce gros, grand, carré général, comme il menait, lui, ses cuirassiers. Si Montcornet parle haut devant sa Virginie, madame lève un doigt sur ses lèvres, et il se tait. Le soldat va fumer sa pipe et ses cigares dans un kiosque, à cinquante pas du château, et il en revient parfumé. Fier de sa sujétion, il se tourne vers elle comme un ours enivré de raisins, pour dire, quand on lui propose quelque chose : - " Si madame le veut… " Quand il arrive chez sa femme de ce pas lourd qui fait craquer les dalles comme des planches, si elle lui crie de sa voix effarouchée : - " N'entrez pas ! " il accomplit militairement demi-tour par flanc droit en jetant ces humbles paroles : " Vous me ferez dire quand je pourrai vous parler… ", de la voix qu'il eut sur les bords du Danube quand il cria à ses cuirassiers : " Mes enfants, il faut mourir, et très-bien, quand on ne peut pas faire autrement ! " J'ai entendu ce mot touchant dit par lui en parlant de sa femme : - " Non seulement je l'aime, mais je la vénère et l'estime. " Quand il lui prend une de ces colères qui brisent toutes les bondes et s'échappent en cascades indomptables, la petite femme va chez elle et le laisse crier. Seulement, quatre ou cinq jours après : - " Ne vous mettez pas en colère, lui dit-elle, vous pouvez vous briser un vaisseau dans la poitrine, sans compter le mal que vous me faites. " Et alors le lion d'Essling se sauve pour aller essuyer une larme. Quand il se présente au salon, et que nous y sommes occupés à causer : - " Laissez-nous, il me lit quelque chose ", dit-elle, et il nous laisse. Il n'y a que les hommes forts, grands et colères, de ces foudres de guerre, de ces diplomates à tête olympienne, de ces hommes de génie, pour avoir ces partis pris de confiance, cette générosité pour la faiblesse, cette constante protection, cet amour sans jalousie, cette bonhomie avec la femme. Ma foi ! je mets la science de la comtesse autant au-dessus des vertus sèches et hargneuses que le satin d'une causeuse est préférable au velours d'Utrecht d'un s*t canapé bourgeois. Mon cher, je suis dans cette admirable campagne depuis six jours, et je ne me lasse pas d'admirer les merveilles de ce parc, dominé par de sombres forêts, et où se trouvent de jolis sentiers le long des eaux. La Nature et son silence, les tranquilles jouissances, la vie facile à laquelle elle invite, tout m'a séduit. Oh ! voilà la vraie littérature, il n'y a jamais de faute de style dans une prairie. Le bonheur serait de tout oublier ici, même les Débats . Tu dois deviner qu'il a plu pendant deux matinées. Pendant que la comtesse dormait, pendant que Montcornet courait dans ses propriétés, j'ai tenu par force la promesse si imprudemment donnée, de vous écrire. Jusqu'alors, quoique né dans Alençon, d'un vieux juge et d'un préfet, à ce qu'on dit, quoique connaissant les herbages, je regardais comme une fable l'existence de ces terres au moyen desquelles on touche par mois quatre à cinq mille francs. L'argent, pour moi, se traduisait par deux horribles mots : le travail et le libraire, le journal et la politique… Quand aurons-nous une terre où l'argent poussera dans quelque joli paysage ? C'est ce que je nous souhaite au nom du Théâtre, de la Presse et du Livre. Ainsi soit-il. Florine va-t-elle être jalouse de feu mademoiselle Laguerre ? Nos Bouret modernes n'ont plus de Noblesse française qui leur apprenne à vivre, ils se mettent trois pour payer une loge à l'Opéra, se cotisent pour un plaisir, et ne coupent plus d'in-quarto magnifiquement reliés pour les rendre pareils aux in-octavo de leur bibliothèque. A peine achète-t-on les livres brochés ! Où allons-nous ? Adieu, mes enfants ! Aimez toujours « Votre doux Blondet » Si, par un hasard miraculeux, cette lettre, échappée à la plus paresseuse plume de notre époque, n'avait pas été conservée, il eût été presque impossible de peindre les Aigues. Sans cette description, l'histoire, doublement horrible qui s'y est passée, serait peut-être moins intéressante. Beaucoup de gens s'attendent sans doute à voir la cuirasse de l'ancien colonel de la garde impériale éclairée par un jet de lumière, à voir sa colère allumée tombant comme une trombe sur cette petite femme, de manière à rencontrer vers la fin de cette histoire ce qui se trouve à la fin de tant de livres modernes, un drame de chambre à coucher. Le drame moderne pourrait-il éclore dans ce joli salon à dessus de porte en camaïeu bleuâtre où babillaient les amoureuses scènes de la Mythologie, où de beaux oiseaux fantastiques étaient peints au plafond et sur les volets, où sur la cheminée riaient à gorge déployée les monstres de porcelaine chinoise, où sur les plus riches vases, des dragons bleu et or tournaient leur queue en volute autour du bord que la fantaisie japonaise avait émaillé de ses dentelles de couleurs, où les duchesses, les chaises longues, les sofas, les consoles, les étagères, inspiraient cette paresse contemplative qui détend toute énergie ? Non, le drame ici n'est pas restreint à la vie privée, il s'agite ou plus haut ou plus bas. Ne vous attendez pas à de la passion, le vrai ne sera que trop dramatique. D'ailleurs, l'historien ne doit jamais oublier que sa mission est de faire à chacun sa part ; le malheureux et le riche sont égaux devant sa plume ; pour lui, le paysan a la grandeur de ses misères, comme le riche a la petitesse de ses ridicules ; enfin, le riche a des passions, le paysan n'a que des besoins, le paysan est donc doublement pauvre ; et si, politiquement, ses agressions doivent être impitoyablement réprimées, humainement et religieusement, il est sacré.
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