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L'Abbaye de Northanger

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"L'Abbaye de Northanger" (connu aussi comme "Catherine Morland") est le premier roman de Jane Austen, même s'il n'a été publié qu'en 1818, un an après sa mort.Catherine Morland, 17 ans, influençable, sensible et crédule, aime à s'identifier aux héroïnes des romans gothiques dont elle aime à se repaître. A l'occasion d'un séjour à Bath en compagnie du couple Allen, de vieux voisins et amis de ses parents, elle fait connaissance des Thorpe et se lie d'amitié avec la jeune Isabelle Thorpe, puis rencontre un jeune clergyman, Henry Tilney (25 ans) au cours d'un bal durant lequel il se montre charmant. Tinley est bientôt rejoint à Bath par sa soeur Eléonore, et leur père, le général Tilney. Quelques semaines plus tard, Catherine est invitée par les Tilney à séjourner dans leur propriété de Northanger Abbey, ce qu'elle accepte avec un empressement non dissimulé, autant attirée par le nom de l'endroit que par les secrets qu'elle imagine y trouver.Par sa gaucherie, ses rêveries naïves et son engouement pour les vieux châteaux, Catherine Morland semble loin des modèles de vertu. Mais si cette jeune Bovary délicatement british n'a rien d'une héroïne, c'est que Jane Austen s'amuse! Et nous emporte, d'une plume malicieuse, d'un bout à l'autre du plus moderne des romans austeniens.

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I
I Personne qui ait jamais vu Catherine Morland dans son enfance ne l’aurait supposée née pour être une héroïne. Sa situation dans le monde, le caractère de ses parents, sa propre personne et ses aptitudes, rien ne l’y prédestinait. Bien que clergyman, son père n’était ni méprisé ni misérable ; c’était un excellent homme, bien qu’il s’appelât Richard et qu’il n’eût jamais été beau. Il avait une fortune personnelle, outre deux bons bénéfices, et il ne prétendait pas le moins du monde tenir ses filles sous clef. M me Morland était une femme de grand sens, de bon caractère et, ce qui est plus remarquable, de bonne constitution. Elle avait eu trois fils avant la naissance de Catherine ; et, au lieu de trépasser en mettant celle-ci au monde, comme on devait s’y attendre, – elle avait vécu encore, vécu pour avoir six enfants de plus, pour les voir grandir autour d’elle, et pour jouir elle-même d’une florissante santé. Une famille de dix enfants peut toujours être dite une belle famille, quand il y a assez de têtes, de bras et de jambes pour tous ; mais les Morland n’avaient guère d’autre titre à cette épithète, car ils étaient en général fort ordinaires, et Catherine, plusieurs années de sa vie, fut aussi ordinaire qu’aucun d’eux. Elle était maigre et mal équarrie, avait la peau blême, de noirs cheveux plats et de gros traits ; non plus que sa personne, son esprit ne la marquait pour la fonction d’héroïne. Elle raffolait de tous les jeux des garçons, et préférait de beaucoup le cricket, non seulement aux poupées, mais aux plus poétiques jeux de l’enfance, élever une marmotte ou un canari, arroser un rosier. En effet, elle n’avait nul goût pour les jardins, et, si elle cueillait des fleurs, c’était principalement pour le plaisir de méfaire, du moins ainsi conjecturait-on, à la voir toujours choisir celles qu’il lui était interdit de prendre. Tels étaient ses goûts ; ses aptitudes étaient non moins extraordinaires. Elle n’apprenait ou ne comprenait rien avant qu’on le lui eût enseigné, – ni même après, quelquefois, car elle était inattentive souvent et volontiers stupide. Sa mère avait consacré trois mois à lui inculquer « la Prière du Mendiant », après quoi Sally, sa sœur puînée, la récitait mieux qu’elle. Non que Catherine fût toujours stupide ; elle apprit la fable « le Lièvre et les Amis » comme sans y penser, aussi vivement que fillette qui soit en Angleterre. Sa mère désirait qu’on lui enseignât la musique, et Catherine était persuadée qu’elle y prendrait goût, car elle avait grand plaisir à faire sonner les touches de la vieille épinette abandonnée. Elle commença à huit ans. Elle étudia une année et ne voulut pas continuer. M me Morland, qui ne s’obstinait pas à forcer le talent de ses filles, permit qu’elle en restât là. Le jour où disparut le maître de musique fut de la vie de Catherine l’un des plus heureux. Son goût pour le dessin était médiocre ; toutefois, quand elle mettait la main sur quelque morceau de papier, elle y figurait maisons et arbres, poules et poussins ; elle ne parvenait pas, il est vrai, à différencier ces images. L’écriture et le calcul lui étaient enseignés par son père ; le français, par sa mère. Ses progrès en aucune de ces matières n’étaient remarquables, et elle s’ingéniait à esquiver les leçons. Quelle étrange, inconcevable nature ! car, avec tous ces affligeants symptômes, à dix ans elle n’avait ni mauvais cœur ni mauvais caractère, était rarement entêtée, querelleuse presque jamais, très gentille pour les petits, avec de rares moments de tyrannie. Elle était d’ailleurs turbulente et farouche, détestait la réclusion et le débarbouillage et n’aimait rien tant au monde que rouler du haut en bas de la pente gazonnée, derrière la maison. Telle était Catherine Morland à dix ans. À quinze, les apparences s’étaient améliorées ; elle commençait à se friser les cheveux et rêvait d’aller au bal ; son teint prenait de l’éclat, ses traits s’adoucissaient de rondeurs et de couleurs, ses yeux gagnaient en animation et son personnage en importance ; comme elle avait aimé se salir, elle aimait s’attifer ; elle avait maintenant le plaisir d’entendre parfois son père et sa mère remarquer ces transformations. « Catherine prend vraiment belle mine ; elle est presque jolie aujourd’hui », étaient mots qui lui frappaient l’oreille de temps en temps ; et qui étaient les bienvenus ! Paraître presque jolie, pour une fille qui a paru assez vilaine pendant ses quinze années premières, est plus délicieux que tout éloge que puisse jamais recevoir une fille jolie dès le berceau. M me Morland était une très brave femme, et qui désirait voir ses enfants aussi cultivés que possible ; mais elle employait tout son temps à mettre au monde et à élever ses petits, de sorte que ses filles aînées devaient se tirer d’affaire elles-mêmes ; et il était bien naturel que Catherine, qui n’était point une nature d’héroïne, préférât le cricket, les barres, l’équitation et courir les champs, quand elle avait quatorze ans, aux livres ou du moins aux livres instructifs, car, pourvu qu’aucun enseignement n’y fût inclus, pourvu qu’ils fussent pleins d’histoires et indemnes de dissertations, elle n’avait contre les livres aucune hostilité. Mais, de quinze à dix-sept ans, elle suivit un régime d’héroïne ; elle lut tels livres que doivent lire les héroïnes pour se meubler la mémoire de ces citations qui sont si commodes et si réconfortantes dans les vicissitudes de leur aventureuse vie. De Pope, elle apprit à vitupérer ceux qui … vont partout se moquant de l’infortune ; de Gray, que Mainte fleur est née pour rosir inaperçue, Et répandre sa fragrance dans l’air désert ; de Thomson, que … C’est une tâche exquise D’apprendre à la jeune idée comment percer. Et, de Shakespeare, elle acquit tout un lot d’informations : elle sut que … Des bagatelles légères comme l’air Sont, par le jaloux, prises au sérieux Comme paroles de l’Écriture ; que La pauvre bestiole sur qui nous marchons Éprouve d’aussi dures transes Qu’en géant qui meurt ; et qu’une jeune femme qui aime est toujours … semblable à la Résignation sur un piédestal Souriant à la Douleur. Sur ce point sa culture était suffisante ; sur maint autre, elle approchait de la perfection ; car, si Catherine n’écrivait pas de sonnets, s’appliquait-elle à en lire ; et quoiqu’il n’y eût pas apparence qu’elle pût, au piano, jeter en extase un public par un prélude de son crû, elle pouvait écouter sans grande fatigue la musique des gens. Où elle échouait, c’était à manier un crayon : – elle n’avait nulle notion de dessin, – pas même assez pour esquisser le profil de son amoureux. Là les droits qu’elle eût pu avoir à la qualité d’héroïne étaient nuls. Au surplus elle ne connaissait pas sa misère, car elle n’avait pas d’amoureux de qui faire le portrait. Elle avait atteint dix-sept ans sans avoir vu d’aimable jeune homme qui éveillât sa sensibilité, sans avoir inspiré de réelle passion, et sans avoir provoqué d’admirations, que très modérées et bien fugaces. Voilà qui était étrange, en vérité ! Mais on peut généralement se rendre compte des choses étranges quand on en cherche avec soin la cause. Il n’y avait nul lord dans le voisinage ; pas même de baronnet. Nulle famille amie n’avait élevé un garçon inopinément trouvé sur le pas de la porte. Nul jeune homme dont l’origine fût inconnue. Son père n’avait pas de pupille, et le squire de la paroisse pas d’enfants. Mais quand une jeune lady est destinée à être une héroïne, le caprice de cinquante familles de l’environ ne saurait prévaloir contre elle. Sur sa route, le destin doit susciter et suscitera un héros. M. Allen, qui possédait la plupart des terres qui entourent Fullerton, le village du Wiltshire où vivaient les Morland, fut envoyé à Bath, dont le séjour convenait mieux à sa constitution goutteuse ; et sa femme, qui aimait fort M lle Morland, et qui probablement estimait que, si les aventures ne tombent pas sur une jeune fille dans son propre village, cette jeune fille doit les chercher ailleurs, l’invita à venir avec eux. M. et M me Morland furent tout bonne volonté, et Catherine tout joie.

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