PrologueASSEMBLÉE GÉNÉRALE DES ANIMAUX.
L’Insu de toutes les grandes puissances, il vient de se passer un fait dont personne ne devra s’étonner dans un gouvernement représentatif, mais qu’il est bon de signaler à la presse tout entière, pour qu’elle ait à le discuter et quelle en puisse mûrement peser les conséquences.
Las enfin de se voir exploités et calomniés tout à la fois par l’espèce humaine, – forts de leur bon droit et du témoignage de leur conscience, – persuadés que l’égalité ne saurait être un vain mot.
LES ANIMAUX SE. SONT CONSTITUÉS EN ASSEMBLÉE DÉLIBÉRANTE pour aviser aux moyens d’améliorer leur position et de secouer le joug de l’HOMME.
Jamais affaire n’avait été si bien menée : des Animaux seuls sont capables de conspirer avec autant de discrétion. Il paraît certain que la scène s’est passée par une belle nuit de ce printemps, en plein Jardin des Plantes, au beau milieu de la Vallée Suisse.
UN SINGE distingué, autrefois le commensal de MM. Huret et Fichet, mû par l’amour de la liberté et de l’imitation, avait consenti à devenir serrurier et à faire un miracle.
Cette nuit-là, pendant que l’univers dormait, toutes les serrures furent forcées comme par enchantement, toutes les cages s’ouvrirent à la fois, et leurs hôtes en sortirent en silence sur leurs extrémités. Un grand cercle se fit : les ANIMAUX DOMESTIQUES se rangèrent adroite, les ANIMAUX SAUVAGES prirent place à gauche, LES MOLLUSQUES se trouvèrent au centre ; quiconque eût été spectateur de cette scène étrange eût compris qu’elle avait une réelle importance.
L’Histoire des Chartes n’a rien de comparable à ce qui s’est passé dans ce milieu d’illustrations Herbivores et Carnivores. Les HYÈNES ont été sublimes d’énergie et les
OIES attendrissantes. Tous les représentants se sont embrassés à la fin de la séance, et, dans cette effusion d’accolades, il n’y a eu que deux ou trois petits accidents à déplorer : un CANARD a été étranglé par un RENARD ivre de joie, un MOUTON par un LOUP enthousiasmé, et un CHEVAL par un TIGRE en délire. Comme ces Messieurs étaient en guerre depuis longtemps, avec leurs victimes, ils ont déclaré que la force du sentiment et de l’habitude les avait emportés, et qu’il ne fallait attribuer ces légers oublis des convenances qu’au bonheur de la réconciliation.
Un CANARD survivant, trouvant l’occasion très belle, promit de faire une complainte sur la mort de son frère et des autres martyrs décédés pour la patrie. Il dit qu’il chanterait volontiers cette belle fin qui leur vaudrait l’immortalité.
Entraînée par ces mémorables paroles, l’Assemblée a fermé l’incident, et l’on a passé de même à l’ordre du jour à propos d’une nichée de RATS qu’un ÉLÉPHANT avait écrasés sous son pied en faisant une motion contre la peine de mort, de laquelle il avait été dit quelques mots.
Ces détails, et bien d’autres qui n’ont pas moins marqué, nous les tenons d’un sténographe du lieu, personnage grave et bien informé, qui nous a mis au courant de cette grande affaire. C’est un PERROQUET de nos amis, habitué depuis longtemps à manier la parole et sur lequel on peut compter, puisqu’il ne répète que ce qu’il a bien entendu. Nous demanderons à nos lecteurs la permission de taire son nom, ne voulant pas l’exposer au poignard de ses concitoyens, qui tous ont juré, comme autrefois les sénateurs de Venise, de garder le silence sur les affaires de l’État.
Nous sommes heureux qu’il ait bien voulu sortir, en notre faveur, de son habituelle réserve : car on trouverait difficilement des naturalistes assez indiscrets pour aller demander des confidences à MM. les TIGRES, les LOUPS et les SANGLIERS, quand ces estimables personnages ne sont pas en humeur de parler.
Voici, tel que nous l’avons reçu de notre correspondant, l’historique assez détaillé des évènements de cette séance, qui rappelle l’ouverture de nos anciens États-Généraux.