Première partie-1

3008 Words
Première partieÀ Léon Daudetà l’auteurdu Voyage de Shakespearedu Partage de l’enfantde l’Astre noirde Fantômes et vivantsdu Monde des imagesde tant de chefs-d’œuvreà l’incomparable amien témoignagede reconnaissance et d’admirationM. P. Le pépiement matinal des oiseaux semblait insipide à Françoise. Chaque parole des « bonnes » la faisait sursauter ; incommodée par tous leurs pas, elle s’interrogeait sur eux ; c’est que nous avions déménagé. Certes les domestiques ne remuaient pas moins, dans le « sixième » de notre ancienne demeure ; mais elle les connaissait ; elle avait fait de leurs allées et venues des choses amicales. Maintenant elle portait au silence même une attention douloureuse. Et comme notre nouveau quartier paraissait aussi calme que le boulevard sur lequel nous avions donné jusque-là était bruyant, la chanson (distincte de loin, quand elle est faible, comme un motif d’orchestre) d’un homme qui passait, faisait venir des larmes aux yeux de Françoise en exil. Aussi, si je m’étais moqué d’elle qui, navrée d’avoir eu à quitter un immeuble où l’on était « si bien estimé de partout » et où elle avait fait ses malles en pleurant, selon les rites de Combray, et en déclarant supérieure à toutes les maisons possibles celle qui avait été la nôtre, en revanche, moi qui assimilais aussi difficilement les nouvelles choses que j’abandonnais aisément les anciennes, je me rapprochai de notre vieille servante quand je vis que l’installation dans une maison où elle n’avait pas reçu du concierge qui ne nous connaissait pas encore les marques de considération nécessaires à sa bonne nutrition morale, l’avait plongée dans un état voisin du dépérissement. Elle seule pouvait me comprendre ; ce n’était certes pas son jeune valet de pied qui l’eût fait ; pour lui qui était aussi peu de Combray que possible, emménager, habiter un autre quartier, c’était comme prendre des vacances où la nouveauté des choses donnait le même repos que si l’on eût voyagé ; il se croyait à la campagne ; et un rhume de cerveau lui apporta, comme un « coup d’air » pris dans un wagon où la glace ferme mal, l’impression délicieuse qu’il avait vu du pays ; à chaque éternuement, il se réjouissait d’avoir trouvé une si chic place, ayant toujours désiré des maîtres qui voyageraient beaucoup. Aussi, sans songer à lui, j’allai droit à Françoise ; comme j’avais ri de ses larmes à un départ qui m’avait laissé indifférent, elle se montra glaciale à l’égard de ma tristesse, parce qu’elle la partageait. Avec la « sensibilité » prétendue des nerveux grandit leur égoïsme ; ils ne peuvent supporter de la part des autres l’exhibition des malaises auxquels ils prêtent chez eux-mêmes de plus en plus d’attention. Françoise, qui ne laissait pas passer le plus léger de ceux qu’elle éprouvait, si je souffrais détournait la tête pour que je n’eusse pas le plaisir de voir ma souffrance plainte, même remarquée. Elle fit de même dès que je voulus lui parler de notre nouvelle maison. Du reste, ayant dû au bout de deux jours aller chercher des vêtements oubliés dans celle que nous venions de quitter, tandis que j’avais encore, à la suite de l’emménagement, de la « température » et que, pareil à un boa qui vient d’avaler un bœuf, je me sentais péniblement bossué par un long bahut que ma vue avait à « digérer », Françoise, avec l’infidélité des femmes, revint en disant qu’elle avait cru étouffer sur notre ancien boulevard, que pour s’y rendre elle s’était trouvée toute « déroutée », que jamais elle n’avait vu des escaliers si mal commodes, qu’elle ne retournerait pas habiter là-bas « pour un empire » et lui donnât-on des millions – hypothèse gratuite – que tout (c’est-à-dire ce qui concernait la cuisine et les couloirs) était beaucoup mieux « agencé » dans notre nouvelle maison. Or, il est temps de dire que celle-ci – et nous étions venus y habiter parce que ma grand-mère ne se portant pas très bien, raison que nous nous étions gardés de lui donner, avait besoin d’un air plus pur – était un appartement qui dépendait de l’hôtel de Guermantes. À l’âge où les Noms, nous offrant l’image de l’inconnaissable que nous avons versé en eux, dans le même moment où ils désignent aussi pour nous un lieu réel, nous forcent par là à identifier l’un à l’autre au point que nous partons chercher dans une cité une âme qu’elle ne peut contenir mais que nous n’avons plus le pouvoir d’expulser de son nom, ce n’est pas seulement aux villes et aux fleuves qu’ils donnent une individualité, comme le font les peintures allégoriques, ce n’est pas seulement l’univers physique qu’ils diaprent de différences, qu’ils peuplent de merveilleux, c’est aussi l’univers social : alors chaque château, chaque hôtel ou palais fameux a sa dame, ou sa fée, comme les forêts leurs génies et leurs divinités les eaux. Parfois, cachée au fond de son nom, la fée se transforme au gré de la vie de notre imagination qui la nourrit ; c’est ainsi que l’atmosphère où Mme de Guermantes existait en moi, après n’avoir été pendant des années que le reflet d’un verre de lanterne magique et d’un vitrail d’église, commençait à éteindre ses couleurs, quand des rêves tout autres l’imprégnèrent de l’écumeuse humidité des torrents. Cependant, la fée dépérit si nous nous approchons de la personne réelle à laquelle correspond son nom, car, cette personne, le nom alors commence à la refléter et elle ne contient rien de la fée ; la fée peut renaître si nous nous éloignons de la personne ; mais si nous restons auprès d’elle, la fée meurt définitivement et avec elle le nom, comme cette famille de Lusignan qui devait s’éteindre le jour où disparaîtrait la fée Mélusine. Alors le Nom, sous les repeints successifs duquel nous pourrions finir par retrouver à l’origine le beau portrait d’une étrangère que nous n’aurons jamais connue, n’est plus que la simple carte photographique d’identité à laquelle nous nous reportons pour savoir si nous connaissons, si nous devons ou non saluer une personne qui passe. Mais qu’une sensation d’une année d’autrefois – comme ces instruments de musique enregistreurs qui gardent le son et le style des différents artistes qui en jouèrent – permette à notre mémoire de nous faire entendre ce nom avec le timbre particulier qu’il avait alors pour notre oreille, et ce nom en apparence non changé, nous sentons la distance qui sépare l’un de l’autre les rêves que signifièrent successivement pour nous ses syllabes identiques. Pour un instant, du ramage réentendu qu’il avait en tel printemps ancien, nous pouvons tirer, comme des petits tubes dont on se sert pour peindre, la nuance juste, oubliée, mystérieuse et fraîche des jours que nous avions cru nous rappeler, quand, comme les mauvais peintres, nous donnions à tout notre passé étendu sur une même toile les tons conventionnels et tous pareils de la mémoire volontaire. Or, au contraire, chacun des moments qui le composèrent employait, pour une création originale, dans une harmonie unique, les couleurs d’alors que nous ne connaissons plus et qui, par exemple, me ravissent encore tout à coup si, grâce à quelque hasard, le nom de Guermantes ayant repris pour un instant après tant d’années le son, si différent de celui d’aujourd’hui, qu’il avait pour moi le jour du mariage de Mlle Percepied, il me rend ce mauve si doux, trop brillant, trop neuf, dont se veloutait la cravate gonflée de la jeune duchesse, et, comme une pervenche incueillissable et refleurie, ses yeux ensoleillés d’un sourire bleu. Et le nom de Guermantes d’alors est aussi comme un de ces petits ballons dans lesquels on a enfermé de l’oxygène ou un autre gaz : quand j’arrive à le crever, à en faire sortir ce qu’il contient, je respire l’air de Combray de cette année-là, de ce jour-là, mêlé d’une odeur d’aubépines agitée par le vent du coin de la place, précurseur de la pluie, qui tour à tour faisait envoler le soleil, le laissait s’étendre sur le tapis de laine rouge de la sacristie et le revêtir d’une carnation brillante, presque rose, de géranium, et de cette douceur, pour ainsi dire wagnérienne, dans l’allégresse, qui conserve tant de noblesse à la festivité. Mais même en dehors des rares minutes comme celles-là, où brusquement nous sentons l’entité originale tressaillir et reprendre sa forme et sa ciselure au sein des syllabes mortes aujourd’hui, si dans le tourbillon vertigineux de la vie courante, où ils n’ont plus qu’un usage entièrement pratique, les noms ont perdu toute couleur comme une toupie prismatique qui tourne trop vite et qui semble grise, en revanche quand, dans la rêverie, nous réfléchissons, nous cherchons, pour revenir sur le passé, à ralentir, à suspendre le mouvement perpétuel où nous sommes entraînés, peu à peu nous revoyons apparaître, juxtaposées, mais entièrement distinctes les unes des autres, les teintes qu’au cours de notre existence nous présenta successivement un même nom. Sans doute quelque forme se découpait à mes yeux en ce nom de Guermantes, quand ma nourrice – qui sans doute ignorait, autant que moi-même aujourd’hui, en l’honneur de qui elle avait été composée – me berçait de cette vieille chanson : Gloire à la Marquise de Guermantes ou quand, quelques années plus tard, le vieux maréchal de Guermantes remplissant ma bonne d’orgueil, s’arrêtait aux Champs-Élysées en disant : « Le bel enfant ! » et sortait d’une bonbonnière de poche une pastille de chocolat, cela je ne le sais pas. Ces années de ma première enfance ne sont plus en moi, elles me sont extérieures, je n’en peux rien apprendre que, comme pour ce qui a eu lieu avant notre naissance, par les récits des autres. Mais plus tard je trouve successivement dans la durée en moi de ce même nom sept ou huit figures différentes ; les premières étaient les plus belles : peu à peu mon rêve, forcé par la réalité d’abandonner une position intenable, se retranchait à nouveau un peu en deçà jusqu’à ce qu’il fût obligé de reculer encore. Et, en même temps que Mme de Guermantes, changeait sa demeure, issue elle aussi de ce nom que fécondait d’année en année telle ou telle parole entendue qui modifiait mes rêveries, cette demeure les reflétait dans ses pierres mêmes devenues réfléchissantes comme la surface d’un nuage ou d’un lac. Un donjon sans épaisseur qui n’était qu’une b***e de lumière orangée et du haut duquel le seigneur et sa dame décidaient de la vie et de la mort de leurs vassaux avait fait place – tout au bout de ce « côté de Guermantes » où, par tant de beaux après-midi, je suivais avec mes parents le cours de la Vivonne – à cette terre torrentueuse où la duchesse m’apprenait à pêcher la truite et à connaître le nom des fleurs aux grappes violettes et rougeâtres qui décoraient les murs bas des enclos environnants ; puis ç’avait été la terre héréditaire, le poétique domaine où cette race altière de Guermantes, comme une tour jaunissante et fleuronnée qui traverse les âges, s’élevait déjà sur la France, alors que le ciel était encore vide là où devaient plus tard surgir Notre-Dame de Paris et Notre-Dame de Chartres ; alors qu’au sommet de la colline de Laon la nef de la cathédrale ne s’était pas posée comme l’Arche du Déluge au sommet du mont Ararat, emplie de Patriarches et de Justes anxieusement penchés aux fenêtres pour voir si la colère de Dieu s’est apaisée, emportant avec elle les types des végétaux qui multiplieront sur la terre, débordante d’animaux qui s’échappent jusque par les tours où des bœufs, se promenant paisiblement sur la toiture, regardent de haut les plaines de Champagne ; alors que le voyageur qui quittait Beauvais à la fin du jour ne voyait pas encore le suivre en tournoyant, dépliées sur l’écran d’or du couchant, les ailes noires et ramifiées de la cathédrale. C’était, ce Guermantes, comme le cadre d’un roman, un paysage imaginaire que j’avais peine à me représenter et d’autant plus le désir de découvrir, enclavé au milieu de terres et de routes réelles qui tout à coup s’imprégneraient de particularités héraldiques, à deux lieues d’une gare ; je me rappelais les noms des localités voisines comme si elles avaient été situées au pied du Parnasse ou de l’Hélicon, et elles me semblaient précieuses comme les conditions matérielles – en science topographique – de la production d’un phénomène mystérieux. Je revoyais les armoiries qui sont peintes aux soubassements des vitraux de Combray et dont les quartiers s’étaient remplis, siècle par siècle, de toutes les seigneuries que, par mariages ou acquisitions, cette illustre maison avait fait voler à elle de tous les coins de l’Allemagne, de l’Italie et de la France : terres immenses du Nord, cités puissantes du Midi, venues se rejoindre et se composer en Guermantes et, perdant leur matérialité, inscrire allégoriquement leur donjon de sinople ou leur château d’argent dans son champ d’azur. J’avais entendu parler des célèbres tapisseries de Guermantes et je les voyais, médiévales et bleues, un peu grosses, se détacher comme un nuage sur le nom amarante et légendaire, au pied de l’antique forêt où chassa si souvent Childebert et ce fin fond mystérieux des terres, ce lointain des siècles, il me semblait qu’aussi bien que par un voyage je pénétrerais dans leurs secrets, rien qu’en approchant un instant à Paris Mme de Guermantes, suzeraine du lieu et dame du lac, comme si son visage et ses paroles eussent dû posséder le charme local des futaies et des rives et les mêmes particularités séculaires que le vieux coutumier de ses archives. Mais alors j’avais connu Saint-Loup ; il m’avait appris que le château ne s’appelait Guermantes que depuis le XVIIe siècle où sa famille l’avait acquis. Elle avait résidé jusque-là dans le voisinage, et son titre ne venait pas de cette région. Le village de Guermantes avait reçu son nom du château, après lequel il avait été construit, et pour qu’il n’en détruisît pas les perspectives, une servitude restée en vigueur réglait le tracé des rues et limitait la hauteur des maisons. Quant aux tapisseries, elles étaient de Boucher, achetées au XIXe siècle par un Guermantes amateur, et étaient placées, à côté de tableaux de chasse médiocres qu’il avait peints lui-même, dans un fort vilain salon drapé d’andrinople et de peluche. Par ces révélations, Saint-Loup avait introduit dans le château des éléments étrangers au nom de Guermantes qui ne me permirent plus de continuer à extraire uniquement de la sonorité des syllabes la maçonnerie des constructions. Alors au fond de ce nom s’était effacé le château reflété dans son lac, et ce qui m’était apparu autour de Mme de Guermantes comme sa demeure, ç’avait été son hôtel de Paris, l’hôtel de Guermantes, limpide comme son nom, car aucun élément matériel et opaque n’en venait interrompre et aveugler la transparence. Comme l’église ne signifie pas seulement le temple, mais aussi l’assemblée des fidèles, cet hôtel de Guermantes comprenait tous ceux qui partageaient la vie de la duchesse, mais ces intimes que je n’avais jamais vus n’étaient pour moi que des noms célèbres et poétiques, et, connaissant uniquement des personnes qui n’étaient elles aussi que des noms, ne faisaient qu’agrandir et protéger le mystère de la duchesse en étendant autour d’elle un vaste halo qui allait tout au plus en se dégradant. Dans les fêtes qu’elle donnait, comme je n’imaginais pour les invités aucun corps, aucune moustache, aucune bottine, aucune phrase prononcée qui fût banale, ou même originale d’une manière humaine et rationnelle, ce tourbillon de noms introduisant moins de matière que n’eût fait un repas de fantômes ou un bal de spectres autour de cette statuette en porcelaine de Saxe qu’était Mme de Guermantes, gardait une transparence de vitrine à son hôtel de verre. Puis quand Saint-Loup m’eut raconté des anecdotes relatives au chapelain, aux jardiniers de sa cousine, l’hôtel de Guermantes était devenu – comme avait pu être autrefois quelque Louvre – une sorte de château entouré, au milieu de Paris même, de ses terres, possédé héréditairement, en vertu d’un droit antique bizarrement survivant, et sur lesquelles elle exerçait encore des privilèges féodaux. Mais cette dernière demeure s’était elle-même évanouie quand nous étions venus habiter tout près de Mme de Villeparisis un des appartements voisins de celui de Mme de Guermantes dans une aile de son hôtel. C’était une de ces vieilles demeures comme il en existe peut-être encore et dans lesquelles la cour d’honneur – soit alluvions apportées par le flot montant de la démocratie, soit legs de temps plus anciens où les divers métiers étaient groupés autour du seigneur – avait souvent sur ses côtés des arrière-boutiques, des ateliers, voire quelque échoppe de cordonnier ou de tailleur, comme celles qu’on voit accotées aux flancs des cathédrales que l’esthétique des ingénieurs n’a pas dégagées, un concierge savetier, qui élevait des poules et cultivait des fleurs – et au fond, dans le logis « faisant hôtel », une « comtesse » qui, quand elle sortait dans sa vieille calèche à deux chevaux, montrant sur son chapeau quelques capucines semblant échappées du jardinet de la loge (ayant à côté du cocher un valet de pied qui descendait corner des cartes à chaque hôtel aristocratique du quartier), envoyait indistinctement des sourires et de petits bonjours de la main aux enfants du portier et aux locataires bourgeois de l’immeuble qui passaient à ce moment-là et qu’elle confondait dans sa dédaigneuse affabilité et sa morgue égalitaire. Dans la maison que nous étions venus habiter, la grande dame du fond de la cour était une duchesse, élégante et encore jeune. C’était Mme de Guermantes, et grâce à Françoise, je possédais assez vite des renseignements sur l’hôtel. Car les Guermantes (que Françoise désignait souvent par les mots de « en dessous », « en bas ») étaient sa constante préoccupation depuis le matin, où, jetant, pendant qu’elle coiffait maman, un coup d’œil défendu, irrésistible et furtif dans la cour, elle disait : « Tiens, deux bonnes sœurs ; cela va sûrement en dessous » ou « oh ! les beaux faisans à la fenêtre de la cuisine, il n’y a pas besoin de demander d’où qu’ils deviennent, le duc aura-t-été à la chasse », jusqu’au soir, où, si elle entendait, pendant qu’elle me donnait mes affaires de nuit, un bruit de piano, un écho de chansonnette, elle induisait : « Ils ont du monde en bas, c’est à la gaieté » ; dans son visage régulier, sous ses cheveux blancs maintenant, un sourire de sa jeunesse animé et décent mettait alors pour un instant chacun de ses traits à sa place, les accordait dans un ordre apprêté et fin, comme avant une contredanse. Mais le moment de la vie des Guermantes qui excitait le plus vivement l’intérêt de Françoise, lui donnait le plus de satisfaction et lui faisait aussi le plus de mal, c’était précisément celui où la porte-cochère s’ouvrant à deux battants, la duchesse montait dans sa calèche. C’était habituellement peu de temps après que nos domestiques avaient fini de célébrer cette sorte de pâque solennelle que nul ne doit interrompre, appelée leur déjeuner, et pendant laquelle ils étaient tellement « tabous » que mon père lui-même ne se fût pas permis de les sonner, sachant d’ailleurs qu’aucun ne se fût pas plus dérangé au cinquième coup qu’au premier, et qu’il eût ainsi commis cette inconvenance en pure perte, mais non pas sans dommage pour lui. Car Françoise (qui, depuis qu’elle était une vieille femme, se faisait à tout propos ce qu’on appelle une tête de circonstance) n’eût pas manqué de lui présenter toute la journée une figure couverte de petites marques cunéiformes et rouges qui déployaient au dehors, mais d’une façon peu déchiffrable, le long mémoire de ses doléances et les raisons profondes de son mécontentement. Elle les développait d’ailleurs, à la cantonade, mais sans que nous puissions bien distinguer les mots. Elle appelait cela – qu’elle croyait désespérant pour nous, « mortifiant », « vexant », – dire toute la sainte journée des « messes basses ».
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