La rencontre
Chap 1
Le centre-ville de Port-Gentil était plutôt petit, il regroupait quelques administrations, un centre commercial, qu’on appelait ainsi par abus de langage surtout, quelques établissements scolaires et financiers. Ainsi que la cathédral de St louis et quelques pharmacies, des restaurants, des boites de nuits et tout ça dans un minuscule espace. Autour de ce noyau la ville s’étendait, de nouveau quartiers apparaissaient, les endroits qui, il y avait quelques années encore étaient inhabités, regroupaient maintenant une population nombreuse et très hétérogène, les gabonais d’ethnies diverses et des étrangers y vivaient en plus ou moins bon terme.
Il faut préciser ici, que certaines ethnies gabonaises avaient des us et coutumes aussi différents qu’entre étrangers et autochtones. Mais laissons cela. Dans un de ces multiples quartiers de la périphérie appelé Bac Aviation, vivait Alene. C’était une jeune femme, dont la famille était originaire du nord du pays, son père n’ayant vécu dans cette ville que parce qu’il y travaillait, en était parti après prit sa retraite.
Et une fois revenu dans son village, il avait fini par se marier, lui qui avait passé une bonne partie sa vie seul. Et cela semblait lui réussir. Alene quant à elle, n’avait pas suivi son père. Elle avait préféré continuer à vivre dans cette ville, dans laquelle elle avait vu le jour. Depuis quelques temps, elle avait décidé d’avoir sa propre activité à domicile. Son père avait acheté le terrain sur lequel elle vivait, et y avait construit une petite maison de deux chambres. Etant seul avec elle, il n’avait pas vu l’utilité de se bâtir une maison plus grande. Alene avait donc beaucoup d’espace libre sur le terrain. Trouver du travail étant devenu aussi compliqué que trouver de l’or, elle avait décidé de créer une petite activité qui l’occuperait et lui fournirait de quoi prendre soin d’elle-même.
Avec l’aide de son père, elle avait construit une petite échoppe en brique et y vendait des vivres. Et accessoirement, de la boisson. Pour ne pas non plus plonger dans une routine qui, disait-elle, finirait par la transformer en robot. Elle fermait sa boutique tous les dimanches, et allait se promener au bord de la mer. La mairie avait aménagé cet endroit, de façon à ce qu’on puisse venir y passer du temps, au calme. Des bancs publics étaient placés un peu partout, le long de la rambarde construite le long du front de mer.
Un dimanche après-midi, alors qu’elle était sortie s’y promener comme à son habitude, elle trouva un jeune homme assis-là, le regard dans le vide. Ce qui attira son attention sur lui c’était sa coiffure, il portait des dreads qui lui tombaient dans le milieu du dos, mais c’est vrai qu’il était plutôt beau gosse. Elle ne l’avait jamais croisé avant, et se dit que ce n’était pas bien de se mêler des problèmes des autres, mais il avait l’air si préoccupé. Elle s’approcha et le salua, mais il mit un petit moment à répondre, elle alla donc s’assoir sur un autre banc plus loin, et sortit de son sac le roman qu’elle avait apporté avec elle. L’homme la regarda, pendant qu’elle allait se plonger dans son roman, et semblait intrigué. Puis, au moment où elle allait commencé à lire il l’interpella :
- Vous avez vraiment envie de le finir aujourd’hui ? Ou je peux vous arracher à votre lecture quelques minutes ? Je sais bien que ce n’est pas très poli d’interrompre une personne dans sa lecture mais… si cela ne vous dérange pas trop ! Lui demanda-t-il
Alene le regarda et sourit :
- Si vous voulez discuter je veux bien, dit-elle
Le jeune homme se leva et vint s’assoir près d’elle, et après s’être présenté et excusé encore une fois. Il lui avoua qu’il venait souvent s’assoir là, pour passer le temps, mais qu’il ne l’avait encore jamais vu :
- C’est surement parce que vous êtes trop souvent plongé dans vos pensées, lui répondit-elle en souriant
- Oui certainement, en réalité je suis confronté à un dilemme et je ne sais pas trop comment m’en sortir, fit-il embarrassé, et je me suis dit que peut-être fallait-il que j’en parle avec une autre personne,
- Si je peux aider ce sera avec plaisir, ajouta-t-elle
- C’est proposé si gentiment, fit-il en lui souriant, hé bien voilà, je vivais avec mes parents ici depuis plusieurs années déjà, cependant, mes vrais parents ne sont pas d’ici, ou du moins pas au sens où on pourrait l’entendre bref… depuis quelques temps, je me sens très seul, et l’idée de m’en aller auprès des miens me trotte de plus en plus dans la tête, dit-il en continuant de sourire
- Où sont vos parents avec lesquels vous viviez ici ? S’enquit-elle intriguée
- Ils sont morts tous les deux il y a quelque temps déjà, et je ne sais pas si je devrais m’en aller moi aussi et rejoindre mes autres parents, ou alors rester ici où j’ai toujours vécu,
- C’est vrai que c’est un dilemme qui semble à première vue insoluble, mais vous n’avez pas d’amis ici ? Des frères et sœurs, une petite amie ? Quelqu’un qui vous donnerait envie de rester ? Dit-elle
Le jeune homme la fixa un instant, on aurait dit qu’il la regardait vraiment pour la toute première fois. Elle avait de beaux yeux marron clair, et sa peau mât semblait briller au soleil. Elle souriait en lui parlant, et c’était le plus beau des sourires. Il sentait son cœur réagir étrangement à la vue de la jeune femme. Une raison de rester… jusque-là, il ne s’était pas posé la question de cette façon. Avait-il une raison de rester ? Ses parents avaient toujours été son monde, et il ne vivait que pour eux. Après avoir bataillés des années durant, pour avoir un enfant, ils l’avaient eu lui, et depuis qu’il était dans leur vie, rien d’autre ne l’intéressait à part les rendre heureux. Il n’avait jamais eu besoin, ni d’ami ni d’autres choses dans sa vie, à part ces deux êtres là. Et voilà qu’ils étaient, tous les deux partit.
Et il avait beau avoir grandi dans cette ville et la connaitre sur le bout des doigts, il ne s’y sentait plus chez lui sans eux. Et plus le temps passait, moins il s’y sentait à son aise. Il n’était cependant pas seul au monde, contrairement à ce qu’on pourrait penser. Ses parents avaient de la famille, pour autant, les interactions familiales déjà compliquées du vivant de ses derniers, avaient pris une tournure plus vicieuse, depuis leur mort. Il avait eu la chance d’avoir des parents prévoyants, ils avaient pris le temps de mettre tous leurs biens à son nom avant de mourir, la famille ne put donc pas le spolier de son héritage.
Cependant, la jeune femme assise à ses côtés avait raison, si jusque-là ils avaient été sa raison de vivre, il lui fallait certainement trouver une autre raison de vivre. Trouver une raison de rester. Ses parents avaient accepté de se séparer de lui afin qu’il puisse rendre ses deux personnes heureuses. Alors, quelques années de plus à faire le bonheur d’une ou plusieurs autres personnes, quelle différence cela ferait-il ? L’essentiel était qu’il rentre chez lui un jour, mais, rien ne pressait.
Alene et Omwana, c’était le nom du jeune homme, restèrent encore un long moment à discuter de choses et d’autres. Elle apprit qu’il avait un frère et une sœur plus jeunes, et qu’ils vivaient tous les deux en Europe. Lui n’avait jamais voulu quitter ses parents. Il était venu vivre avec eux pour les aider, et il ne voulait en aucun cas être loin d’eux. Il expliqua à la jeune femme qu’il s’entendait plutôt bien avec son jeune frère, mais avec sa sœur c’était tout autre chose. Omwana ne travaillait pas, ses parents avaient, de leur vivant, investit énormément dans l’immobilier, si bien que le jeune homme vivait de ses rentes. Il avait su par la jeune femme qu’elle était fille unique et que depuis le départ à la retraite de son père elle vivait seule, elle aussi.
Le jeune homme lui demanda pourquoi à 25 ans elle n’avait pas de petit-ami :
- Oh tu sais, je me dis qu’il vaut mieux être seule quand on n’a pas trouvé quelqu’un qui nous correspond un tant soit peu
- Comment ça ? Demanda-t-il curieux
- Bah, le genre de personne avec qui on peut discuter de tout, le genre de personne qui est attentif à vos besoins pas seulement financiers non, mais disons, une personne qui sait reconnaitre quand vous n’allez pas bien, une personne qui se confie à vous…
- Un ami en somme, coupa le jeune homme
- C’est ça, un ami, un compagnon de route quoi ! Dit-elle en lui souriant toujours
- C’est vrai que c’est l’idéal, je pense que c’est ce que mes parents étaient l’un pour l’autre, c’est pour cela que malgré les épreuves, ils ont été heureux jusqu’à la fin. Et ils en ont traversé des épreuves, surtout avec leurs deux familles, conclut-il le regard triste
Alene observa le jeune homme pendant qu’il parlait, elle n’osait pas lui demander quand ses parents étaient morts. Il lui sembla, que cela lui était encore pénible, de parler d’eux. Elle revoyait son père, après la mort de sa mère. Il n’avait pas eu le temps de l’épouser, et c’est certainement pour cela qu’il ne s’était plus marié après cela. Après avoir discuté presque toute l’après-midi, ils finirent par prendre congé l’un de l’autre :
- Je pourrais avoir ton numéro de téléphone ? Se risqua Omwana
- Oui bien sûr, c’est bien pratique si tu veux me parler avant dimanche prochain, fit la jeune femme
Le jeune homme la regarda sans comprendre, l’espace d’un instant il lui sembla que la jeune fille l’envoyait sur les roses, cependant… :
- Je ne viens ici que le dimanche, c’est pour ça, expliqua Alene en éclatant de rire
- C’est vrai que vu sous cet angle… fit le jeune homme en riant à son tour, je suis très heureux d’avoir fait ta connaissance, dit Omwana sur un ton plus sérieux, cela m’a fait beaucoup de bien de parler avec toi, et je vois les choses un peu différemment, grâce à toi, merci beaucoup
- Je t’en prie, et toi, tu as rendu mon dimanche un peu plus intéressant, j’espère qu’on se reverra, et que tu seras moins inquiet
Il sourit. Ils se tenaient côtes à côtes au bord de la route, pendant qu’Alene tentait d’avoir un taxi, qui la ramènerait chez elle. Au bout de trois essais, ce fut le bon. Elle monta dans le véhicule, et après quelques derniers mots, le taxi s’éloigna, laissant le jeune homme seul sur le trottoir. Il resta debout là, les yeux fixés dans la direction, que venait d’emprunter le taxi. Son cœur se serra, il aurait voulu passer plus de temps avec la jeune femme, apprendre à la connaitre, discuter encore de choses et d’autres, et sans savoir pourquoi il voulait pouvoir la toucher. C’était la première fois qu’il ressentait ça, pour une autre personne que ses parents. Même ses deux cadets, ne lui avaient jamais inspirés ce type de sentiment.
Il décida de rentrer à pied, histoire de reculer le moment fatidique, où il allait se retrouver seul, dans cette grande maison. Depuis sa naissance, il avait été source de bonheur pour ses parents. C’est sa mère, qui le lui répétait sans cesse. C’est pendant qu’elle était enceinte, que son père avait fini par trouver, un meilleur emploi. Ensuite, après sa naissance, son père avait été confirmé à son nouveau poste. Avec les avantages qui allaient avec. Puis, il avait reçu de l’entreprise pour laquelle il travaillait, un crédit de plusieurs millions de CFA, pour s’installer au mieux, avec sa petite famille.
C’est à cette époque, qu’il avait acheté la maison, dans laquelle vivait encore Omwana aujourd’hui. Ensuite il avait gravit les échelons, et eu deux autres enfants, sans avoir à se battre encore, comme pour l’avoir lui. Il disait qu’Omwana, avait été pour lui une source de bénédictions, et que cela continuait. Ses parents avaient toujours été, plus affectueux avec lui, en tout cas bien plus qu’avec ses deux cadets. Durant toute leur vie, ce couple avait investi dans l’immobilier. Afin de lui permettre de vivre, sans jamais manquer de rien. Et c’était chose faite. Mais ils n’avaient jamais pensé que l’attachement de celui-ci, envers eux, était tel qu’il n’avait jamais envisagé la vie sans eux.
En arrivant chez elle, Alene prit une douche et en venant s’installer devant la télévision, elle se surprit à penser au jeune homme qu’elle avait rencontré au bord de mer. Il était sympas, un tantinet timide, mais il avait l’air si triste. Elle se demandait si finalement, il allait retourner dans son pays, vivre avec ses autres parents dont il lui avait parlé. Ce serait dommage pour elle, pour une fois qu’elle se faisait un ami. Mais s’il se sentait tellement seul, ce serait surement mieux pour lui. Elle venait de passer un dimanche très intéressant, c’était rare. Elle se dit qu’elle avait eu raison de se ménager du temps pour elle, cela avait fini par lui apporter un ami, une autre personne à qui penser au milieu de sa routine.
Elle se fit à manger, et vint s’installer à nouveau devant la télévision. Elle repensa à lui en regardant un film, elle se demandait s’il allait tenir sa parole et l’appeler au courant de la semaine, puis elle se dit qu’elle avait fait une bêtise, elle aurait dû elle aussi prendre son numéro de téléphone. Elle mangea en regardant son film, et le temps de celui-ci elle cessa de penser au jeune homme. Puis, elle alla se mettre au lit, elle devrait se lever tôt le lendemain, le type qui livrait le pain passait de bonheur, elle devait être debout à ce moment-là.
Elle était dans sa chambre, allongée sur son lit lorsque la sonnerie de son téléphone qui signalait les messages retentit. Elle prit l’appareil dans ses mains et, oh surprise ! C’était lui. Il lui souhaitait bonne nuit, en la remerciant encore, pour le moment qu’ils avaient passé ensemble. Elle sourit. Pendant quelques minutes, elle hésita à répondre ne sachant quoi lui dire. Devait-elle simplement dire « bonne nuit » elle aussi ? Ou alors, lui fallait-il lui avouer qu’elle était, elle aussi, très heureuse d’avoir fait sa connaissance. Et pendant qu’elle y pensait, le jeune homme, était allé prendre sa douche avant de se mettre au lit lui aussi.
En sortant de la douche, il vit son téléphone clignoter. Un message d’Alene. Il sourit, elle avait répondu. Cela lui fit plaisir. En ouvrant le message son cœur bondit dans sa poitrine. Elle disait qu’elle avait beaucoup pensé à lui, et espérait qu’ils allaient se revoir, et lui intimait l’ordre de prendre bien soin de lui. Il s’allongea sur son lit et ferma les yeux. A peine avait-il fait cela, qu’il se retrouva dans la cuisine d’une grande demeure, c’était une cuisine de luxe aménagée avec classe, une jeune servante s’affairait aux fourneaux, comme si elle s’apprêtait à recevoir de nombreux invités. Le jeune l’observait en souriant.
Puis, une femme plus âgée, entra dans la cuisine et s’approcha de lui. Omwana se leva pour la saluer :
- Obota ! comment allez-vous ? dit-il en la prenant dans ses bras
- Je vais bien, répondit la femme en le regardant intriguée, aujourd’hui tu as l’air de meilleure humeur que d’habitude, ça fait plaisir, vas-tu dîner avec nous ?
- Oui, je n’ai pas pris le temps de me faire à manger,
- T’es-tu finalement décidé ? La dernière fois que tu es venu j’ai eu le sentiment que ton arrivée serait imminente, tu avais l’air malheureux mon garçon
- C’est vrai, mais ce n’est plus le cas, j’ai fait la connaissance d’une jeune personne que j’aimerais mieux connaitre avant de me décider, fit le jeune homme timidement
- Tu sais, même si cela ne se passe pas comme tu veux, c’est une preuve que la vie réserve souvent des surprises agréables. Et que, peut-être, tu devrais aller jusqu’au bout de ton aventure là-bas, en ce qui nous concerne nous n’allons nulle part ton père et moi, rassura la femme
- Tu penses ? Interrogea le jeune homme
- Bien sûre, tu sais les joies et les déceptions font partie de la vie, tu as bien vu avec tes parents de là-bas, ils se sont accrochés malgré tout, souligna-t-elle encore
- C’est vrai, reconnu Omwana en souriant
La femme sourit à son tour, enfin un peu de lumière entrait dans la vie de son fils. Et cette fois le bonheur que cachait son cœur le rendait plus réceptif à ses conseils. Cette fois il accepterait peut-être de passé plus de temps là-bas, tout au moins assez pour laisser d’autres entrer dans son cœur.