– Nous l’avons surpris, M. Régine et moi, le couteau à la main, penché sur le corps encore tout chaud de sa victime. Que vous faut-il de plus ? Il n’y a pas d’affaire plus simple au monde… si simple, qu’il m’étonne, monsieur, qu’elle puisse vous intéresser ! Je ne sais qui vous êtes… Mais je le saurai, et il faudra alors vous bien tenir !… Je ne sais ce que vous voulez… mais je le saurai, et alors vous ne pourrez plus rien vouloir !… Les uns vous représentent comme un bandit de droit commun, auquel cas vous m’appartenez ; les autres vous représentent comme une sorte d’apôtre qui s’est donné la mission de rétablir la justice sur la terre, auquel cas vous m’appartenez encore, car il ne saurait y avoir d’autre justice que la mienne… Vous m’appartenez, et je vous aurai !… Mais, en attendant que j’entre en possession de votre mystérieux et intéressant personnage… laissez-moi vous donner un conseil… Occupez-vous aussi peu que possible de l’événement Desjardies. Il est trop tard pour qu’il puisse intéresser votre activité… Desjardies est mort et vous le savez bien !… R. C. n’écoutait plus Sinnamari. Tantôt penché sur Mouna, tantôt vers Marcelle Férand, il les entretenait des derniers événements parisiens. La Mouna ouvrait les yeux, la bouche, soupirait. La tragédienne s’amusait divinement. Elle croyait faire un rêve dont R. C. était le héros. Elle se plaisait à s’imaginer que toute la puissance réelle, personnifiée par Sinnamari, était enfin tombée sous la domination de la puissance idéale, personnifié par R. C. ! R. C., un bandit de droit commun !… Allons donc ! Il suffisait de le regarder pour être transporté par l’éclat de son courage, de sa franchise, de sa vertu ! Quelle audace brûlait dans ses yeux ! Quelle foi en lui-même ! Elle se disait tout cela, et puis encore que, ma foi, si ce héros fantastique était un peu bandit par-dessus le marché, cela ne déparerait point l’image !… Ah ! le beau bandit-roi qu’elle avait là, à ses côtés !… Le plus admirable était que cet homme, qu’on n’avait jamais rencontré nulle part, connaissait Tout-Paris mieux qu’elle, avec des anecdotes extraordinaires sur chacun et aussi sur les petits potins de coulisses. Il lui fit mille compliments sur la façon dont elle avait triomphé dans les Martyrs. – Mais vous n’étiez pas là ! s’exclama-t-elle, heureuse. – Si, fit-il, je suis à toutes les premières. Je suis allé vous féliciter dans votre loge… Seulement, vous ne m’avez pas reconnu… La tragédienne croyait bien qu’il se moquait, mais elle n’en était pas bien sûre. Ce fut elle qui revint à l’affaire Desjardies… – C’est vrai, c’est bien vrai, demanda-t-elle, que vous allez empêcher ce pauvre homme d’être exécuté ? – Mais oui ! il n’y a rien de plus simple !… Sinnamari dit : – Demandez donc à notre hôte, chère madame, qu’il vous explique comment il va s’y prendre. Cela nous fera passer quelques minutes… Sinnamari regarda sa montre et il se répéta mentalement : – Que fait donc Dixmer ?… S’il ne revient pas avec ses hommes, moi, je reste. Je ne lâche pas R. C. avant qu’on n’ait mis la main dessus. S’il est nécessaire, je l’arrêterai moi-même… Et il tâtait son revolver, dans sa poche. – Mais oui, rien de plus simple ! reprit R. C. Tenez ! En ce moment, les aides de bourreau sont en train de souper au Lapin-qui-Fume… – Qu’est-ce que c’est que ça, le Lapin-qui-Fume ? – Un petit cabaret qui, depuis trois heures, est plein de mes hommes… Mes hommes qui ont mission de s’emparer des aides du bourreau ! Sinnamari s’était levé en entendant ces dernières paroles… Il étouffa un juron et courut à la porte. Mais, là, il se heurta à une véritable barrière humaine, quatre poitrines devant lesquelles il recula. – Monsieur, s’exclama-t-il, vous m’avez dit tout à l’heure que j’étais libre de sortir… R. C. répondit, sans tourner la tête : – Tout à l’heure, je vous ai dit cela, oui, monsieur !… Mais, maintenant, je vous dis qu’il faut rester !… Sinnamari voulut courir à la fenêtre, prêt à l’ouvrir, à briser les carreaux, à appeler. Deux valets de pied, debout devant la fenêtre, l’empêchèrent d’en approcher. Le procureur impérial était prisonnier du roi des Catacombes !… C’était à ne pas croire !… Sinnamari ne le croyait pas encore ! Il ne put dompter la colère qui bouillonnait en lui ! Il appela Régine et ses amis à son aide, il sortit son revolver… Tous les convives, à nouveau, s’étaient levés… Seul, R. C. n’avait pas bougé de sa place. Comme par enchantement, le salon s’était soudain rempli de laquais impassibles qui se tenaient immobiles derrière les invités, dans un silence menaçant. – Bah ! fit Raoul Gosselin. Vous voyez bien, mon cher procureur, qu’il n’y a rien à faire… R. C. montrait au procureur le siège qu’il avait si brusquement quitté. Sinnamari s’assit, vaincu momentanément, le cœur en tumulte, se disant que cette plaisanterie aurait une fin et « son tour », à lui, viendrait. Chacun fit comme Sinnamari. Du reste, le service reprenait… On apportait sur un plateau d’argent une lamproie magnifique. – Mais enfin, demanda Marcelle Férand quand l’émotion causée par cette chaude algarade fut un peu calmée, nous expliquerez-vous pourquoi vous vous intéressez si fort à ce Desjardies ? – Je croyais, madame, l’avoir déjà fait entendre, répondit R. C. – Vous avez parlé d’erreur judiciaire ! Desjardies serait donc innocent ?… – Ma foi, je n’en sais rien !… – Mais alors, on ne vous comprend plus du tout !… – Il est possible qu’il soit innocent, répliqua R. C., sa fille prétend qu’il l’est et que si on lui accorde un mois, un pauvre mois encore de la vie de son père, elle apportera la preuve de cette innocence… – Mais avec votre système, répliqua la tragédienne très intéressée, on ne laisserait jamais la justice suivre son cours et les méchants ne seraient jamais punis… – Avec le système de votre société, madame, on peut très tranquillement trancher la tête d’un parfait honnête homme… Depuis la condamnation de Desjardies, depuis que son pourvoi a été rejeté, depuis, en un mot, qu’il est à la disposition du bourreau, Mlle Desjardies a découvert un fait nouveau… Oh ! Un fait nouveau qui n’a rien de juridique et qui ne saurait légalement entraver le cours de la justice, mais un fait nouveau qui devrait suffisamment impressionner tout personnage de bonne foi pour faire retarder le supplice. Mlle Desjardies a tenté de se faire entendre… Elle a frappé à votre porte, monsieur le procureur impérial… à celle du chef de l’État… Elles sont restées closes… – Et alors… elle est venue frapper à la vôtre, qui s’est ouverte ? demanda Marcelle Férand. Mais où est votre porte à vous ?… – Oui, donnez-nous votre adresse ! s’écria Raoul Gosselin, car, après tout, on ne sait jamais ce qui peut arriver… avec la justice… – Non, on ne sait jamais, fit R. C. Mlle Desjardies non plus ne savait pas… elle ne savait pas que je suspendrais un jour au-dessus de la tête de son père le couteau du bourreau… Tout arrive… – Alors Mlle Desjardies était votre cliente ? demanda en tremblant la Mouna, tout étonnée de sa propre audace, effrayée d’entendre le son de sa voix. – Mais oui, madame, ma cliente…
Votre cliente ? reprit Marcelle Férand. Qu’est-ce que vous vendez donc, monsieur le roi ? – Beaucoup de choses, fit R. C. mais j’essaie de vendre surtout un peu de sécurité pour ceux à qui on la refuse… – Vous êtes la Providence ! – Non !… Je suis une assurance… voilà tout… – Ah ! très ingénieux !… Une assurance… Mlle Desjardies était assurée chez vous ?… – Mon Dieu, oui !… – Et comment s’était-elle assurée ? Nous voulons savoir… racontez-nous tout ! – Tout ! Oh ! c’est court. Mlle Desjardies habitait avec son père dans un hôtel de Montmartre, l’hôtel de la Mappemonde… Leur appartement donnait à côté d’une chambre occupée par un de mes amis… Cet ami leur parla de moi un jour où la conversation roula sur la fatalité de l’existence. Il leur dit qu’il était bien tranquille depuis qu’il avait contracté une assurance dans une compagnie… « Une assurance contre quoi ? » demandèrentils. « Une assurance contre tout ! » répliqua mon ami, et il montra sa police d’assurance. M. et Mlle Desjardies rirent beaucoup en voyant cette police, mais comme mon ami disait à Mlle Desjardies qu’une telle assurance, pour elle, ne lui coûterait pas plus de cent sous, elle signa… – Et elle donna les cent sous ? demanda la Mouna… – Non ! elle ne donna pas les cent sous… car elle pensait que tout cela n’était qu’un jeu. Le jour même, mon ami la conduisit chez mon notaire, où elle se rendit en riant toujours… mais le lendemain, son père était arrêté, accusé d’assassinat… Heureusement pour elle, mon ami songea à payer l’assurance… sans quoi le contrat n’était pas régulier, je ne le considérais point, moi, comme valable, et je laissais exécuter Desjardies… – Vraiment pour cent sous !… Je ne vous crois pas, dit Marcelle. Qu’est-ce que vous pouviez bien lui promettre pour cent sous ?… Le roi des Catacombes offrit des cigarettes d’Orient à ces dames, pendant que ces messieurs allumaient des cigares, et prenant une cigarette luimême, se disposait à fumer quand il arrêta son geste. – Me Mortimard, fit-il. Le notaire sursauta sur sa chaise. Il regarda R. C. les convives, son assiette, puis Sinnamari. Enfin, revenu à lui, il toussa et dit : – Sire ! – Vous avez apporté le contrat Desjardies ? demanda R. C. qui souriait, avec la tragédienne et la Mouna, de l’ahurissement du respectable tabellion. – Oui, sire. – Eh bien, lisez-le nous ! Me Mortimard se leva, alla chercher sa serviette qu’il avait déposée sur une assiette, derrière lui, se rassit, ouvrit le vaste maroquin et en tira une « chemise » d’où il sortit une feuille de papier timbré et lut de ce ton nasillard et indifférent qu’affectent souvent les hommes de loi : « Entre Mlle Louise Gabrielle Desjardies, demeurant à Paris, Hôtel de la Mappemonde, rue Lepic, et M. Valentin Cousin, demeurant à Paris, 32 bis, rue Linné, agissant au nom et comme représentant de la compagnie d’assurances A. C. S., ayant son siège légal, 32 bis, rue Linné, et son siège réel dans les catacombes de la ville de Paris, constituée suivant acte reçu par Mortimard, notaire à Paris, le 15 janvier 186… » Et ce, en vertu de la procuration qui lui a été donnée par les membres du conseil d’administration de cette compagnie, aux termes d’un acte reçu par ledit Me Mortimard, notaire à Paris, le 23 février de la même année. » Il a été convenu ce qui suit : » M. Valentin Cousin a, par les présentes, déclaré assurer, pour une somme de cinq francs par an, Mlle Gabrielle-Louise Desjardies contre tous les risques injustes de l’existence résultant uniquement de l’intervention des pouvoirs publics. » La compagnie A. C. S. (Association contre la société) prend à sa charge les risques et périls qui menacent et frappent injustement l’assuré et provenant de toute molestation, outrage, négligence, manque d’exactitude de la société dans l’accomplissement du devoir administratif, non-reconnaissance des droits, atermoiements injustifiés de requêtes valables, atteinte à la liberté morale ou physique de l’individu et, en général, provenant du mauvais fonctionnement de tous les rouages sociaux. » La Compagnie A. C. S. s’engage à faire cesser dans le délai de deux mois tout préjudice de ce genre dont aurait à souffrir la demoiselle Desjardies, soit par une intervention efficace auprès des pouvoirs publics, soit par le versement d’une somme équivalente autant que possible au dommage causé. » Toute rectification de préjudices du genre qui a été défini ci-dessus, demande de règlement et notification devra être adressée à Me Mortimard, notaire à Paris, quai Voltaire, qui le fera parvenir à qui de droit. » Ces requêtes préjudicielles seront examinées dans les douze heures par le tribunal de paix des Catacombes, qui statuera en dernier ressort, soit sur l’action à entreprendre vis-à-vis des pouvoirs publics, soit ensuite sur les résultats pratiques de cette action concernant l’intéressé, soit sur les dommages et intérêts à fixer. » Les assureurs et assurés s’engagent, en outre, à se conformer aux lois et règlements des Catacombes, relatifs spécialement à la présente assurance, et dont il leur sera fait communication avant la signature du présent engagement. » Passé par devant Me Mortimard, notaire à Paris, quai Voltaire. Fait et signé double, le … juin 186… Gabrielle Desjardies et, pour la Compagnie A. C. S. Valentin Cousin. » – Tout cela pour cent sous ! fit la Mouna, et elle dit cela si drôlement que tout le monde éclata de rire. R. C. lui-même parut s’amuser beaucoup de la réflexion de la Mouna. Cependant, il lui dit : – Il y en a qui ont payé un million !… – C’est cher ! fit encore la Mouna. Alors, c’est trop cher. Un million ! – Tout dépend de la fortune. Ça n’est rien pour Teramo-Girgenti. – Vous pratiquez l’impôt sur le revenu ! observa Raoul Gosselin. – Et aussi l’impôt forcé ? demanda Marcelle Férand, en souriant à R. C. – Quelquefois ! répondit R. C. simplement. Mais n’est-ce pas là privilège de roi ?… Voyez-vous, moi, je désire que tout le monde vive, du moins tous ceux qui m’intéressent. Alors, quand j’ai trop de pauvres… je fais dire un mot à mes riches… – Vous êtes délicieux ! interrompit Marcelle Férand. Vous êtes un bandit tout à fait civilisé, monsieur le roi !… Vous ne me faites pas peur du tout !… – À moi non plus, gémit amoureusement la Mouna. – Pourquoi vous ferais-je peur ? Je suis un homme d’affaires, tout simplement. Et je ne demande qu’une chose, c’est à augmenter honnêtement ma clientèle. Marcelle Férand battit joyeusement des mains. – Je veux en être !…
– Moi aussi ! dit la Mouna. Et la tragédienne pria Raoul Gosselin de lui payer une assurance. – Hum ! fit Gosselin, si Sa Majesté vous demande un million !… – Non, madame, je ne vous demanderai qu’un peu de votre talent… – Comment cela ?… – Je vous demanderai une représentation des Martyrs pour les pauvres des Catacombes !… – Oh ! parfait ! C’est entendu ! C’est promis ! s’écria l’artiste. Une soirée pour les pauvres des catacombes ! En voilà une histoire qui fera courir tout Paris ! Quand signe-t-on le contrat ? – Vous pourrez passer demain à mon étude, madame, fit Me Mortimard. – Non, répliqua R. C., Me Mortimard se dérangera. Nous vous ferons des contrats d’amis à vous, madame, et à Mlle la Mouna et nous les signerons joyeusement chez mon ami le comte de Teramo-Girgenti, le soir de sa pendaison de crémaillère… » Mais, à propos de ce cher comte, continua R. C. en sortant son portefeuille et en se tournant du côté de Philibert Wat, il faut, monsieur, que je vous règle ce qu’il vous doit, car nous sommes en compte, Teramo et moi !… Et le roi des Catacombes remit au gendre du président du conseil un chèque de vingt-cinq mille francs. – Chez Johnson ! dit-il. N’est-ce point votre banquier ? – Parfaitement, répondit Philibert. – Eh bien ! c’est le mien aussi ! Voyez comme ça se rencontre ! – Cartouche a un banquier ! s’exclama Marcelle Férand. – Cartouche est mort sur la roue, fit Sinnamari d’une voix sinistre. – Le Christ est mort sur la croix ! dit R. C. d’une voix grave. – Singulier rapprochement, monsieur… – Monsieur le procureur impérial, les bons et les mauvais larrons se donnaient la main au Golgotha. – Plus de Golgotha… Il n’y a plus de croix, il n’y a plus de Christ, prononça Sinnamari d’un ton de plus en plus froid, mais il y a des gens qui se mettent hors la loi et que la loi punit. Desjardies a commis, en s’armant contre un homme sans défense, un crime moins grand que vous, monsieur, en vous armant contre la loi, et on lui tranche la tête ! – Non ! répliqua R. C. Non !… On ne lui tranche pas la tête… – Je ne crois pas un mot de votre histoire d’aides du bourreau capturés, monsieur… Et en admettant même qu’elle soit vraie, cela ne saurait retarder le supplice ; le bourreau fera sa besogne tout seul !… – Mais si Desjardies est innocent ! s’écria Marcelle Férand. – Mais s’il est coupable ? répondit Sinnamari. Et les juges ont répondu à cette question ! Tout le monde se tourna vers R. C. – S’il est coupable, je le rendrai à l’échafaud ! fit R. C. Cela vous étonne ? Je ne suis pas un anarchiste. Je suis un bon bourgeois qui fait honnêtement ses affaires… et celles des autres !… Je ne rêve pas de bouleverser la société ! D’en changer la forme de fond en comble !… Je ne rêve même point d’en accélérer la transformation vers un idéal de progrès, sur lequel les philosophes ne sont pas encore parvenus à s’entendre. L’échafaud existe… Tant pis ou tant mieux, cela ne me regarde pas. Ce qui me regarde, c’est qu’il ne serve pas à couper la tête à un de mes clients, si ce client a des chances d’être innocent ! Je l’ai assuré contre toutes les injustices résultant de la mauvaise volonté du pouvoir public se mouvant, normalement, dans un cadre social que je ne me permets pas de discuter ! Ce que je demande à toutes les administrations, quelles qu’elles soient, que ce soit l’administration de la peine de mort ou celle des bureaux de tabac, c’est qu’elles donnent à mes clients le maximum de justice auquel ils ont droit dans l’état actuel de la société ! Est-ce clair ? Desjardies avait droit à ce que l’on entendît sa fille, laquelle prétend avoir découvert un fait nouveau susceptible de modifier l’opinion que l’on s’est faite sur le crime du parquet de la Seine !… On ne l’a pas entendue !… – Mais l’eût-on entendue, s’écria Sinnamari, l’entendrait-on maintenant que rien ne pourrait arrêter l’œuvre de la justice ! Il est trop tard !… Je voudrais moi-même dire à cette heure au bourreau : « Arrête ! », je ne le pourrais pas, car ma voix resterait sans effet ! Il faut que le panier d’Hendrick soit ouvert ou fermé. C’est la loi ! – La loi, monsieur, répondit le roi des Catacombes, ne s’opposait point à ce que l’on entendît Mlle Desjardies avant qu’il ne fût trop tard… Est-il possible, est-il naturel que vos portes et vos oreilles, messieurs des Pouvoirs publics, soient restées aussi prodigieusement closes aux cris de douleur et de pitié de Mlle Desjardies ? Vos domestiques, vos huissiers, vos laquais n’ont donc point trouvé de mots pour vous toucher avec le désespoir de cette malheureuse qui s’évanouissait dans vos antichambres ?… Qu’avez-vous fait de ces lettres sublimes auxquelles il n’a pas été répondu par le plus humble de vos scribes ?… Vraiment, monsieur le procureur impérial, ne trouvez-vous point cela bizarre, extraordinaire, inexplicable, que Mlle Desjardies, depuis la condamnation de son père, n’ait même point pu causer avec l’avocat de celui-ci ? – Est-ce bien possible ? s’écria Marcelle Férand. – N’ayant pu parler à Me Destalot, reprit R. C., dont la voix tremblait d’une généreuse indignation, Mlle Desjardies s’en fut trouver le bâtonnier, qui est encore un de vos amis, monsieur le procureur, et qui répondit qu’il ne pouvait rien pour elle, en l’absence de Me Destalot… Mlle Desjardies tenta de faire paraître une note dans les journaux, mais ceux-ci lui firent entendre que prendre la défense de Desjardies en ce moment, c’était avouer publiquement qu’on avait, comme lui, tripoté dans les chemins de fer ottomans… – Elle n’avait plus qu’une chose à faire, dit Sinnamari qui s’était levé, elle n’avait plus qu’à s’adresser à vous… – C’est ce qu’elle a fait… Sinnamari éclata d’un effroyable rire. Sa main était tendue vers la fenêtre dont le rideau était relevé. Tous les yeux allèrent vers cette fenêtre, virent le trou noir de la place et puis des clartés en face de la porte de la prison, des clartés errantes, des lanternes qui tournaient autour de l’échafaud, déjà moins sombre dans la nuit touchée des premiers rayons du jour… On distinguait alors distinctement les silhouettes se mouvant dans l’espace réservé pour le supplice. – Voyez ! continuait Sinnamari. Les reconnaissez-vous ?… Ils sont là !… Ils sont à leur poste, les aides du bourreau !… Prêts à faire subir sa peine à Desjardies, sa juste peine… Roi de pacotille !… Et la tête du père tombera avant qu’on ait entendu la fille !… Sinnamari riait encore, quand R. C. se levant, le front rayonnant et les yeux pleins d’éclairs, s’écria : – Faites entrer Mlle Desjardies !…