Chapitre 1

3415 Words
Est-il rien de plus morne, de plus angoissant, de plus triste, de plus désespéré que ce coin de Paris qui entoure la place de la Roquette ? C’est en vain que sur l’emplacement de la vieille prison, récemment démolie, on s’est empressé d’élever de vastes maisons de rapport, l’aspect général reste lugubre, grâce à cette autre prison de l’autre côté de la place, où l’on a enfermé l’enfance : Prison des jeunes détenus ! À l’époque qui nous occupe, la Grande-Roquette élevait depuis de nombreuses années déjà ses murs nus en face de la Petite. Quand, parfois, la porte de la Petite s’entrouvrait pour laisser sortir quelque adolescent, tout pâle encore d’avoir enseveli là quelques mois précieux de sa jeunesse, la première chose qu’il voyait était la porte de la Grande, sinistre comme si on l’eût dressée sur le seuil de son propre avenir. L’une et l’autre n’étaient séparées que par quelques pierres, piédestal de l’échafaud. Si le jeune homme détournait les yeux de ce sombre spectacle et si son regard montait vers la gauche, il apercevait une autre porte, la porte d’un cimetière : le Père-Lachaise. Alors il fuyait à droite et descendait hâtivement vers la vie, vers la liberté, vers Paris, par cette partie de la rue de la Roquette qui rejoint la place Voltaire, que l’on appelait alors la place du Prince-Eugène. C’est précisément à cet endroit que nous allons transporter le lecteur, par une nuit de décembre 186…, exactement le 13 à quatre heures du matin. Cette voie, si lugubre le jour avec ses maisons basses badigeonnées de rouge sang de bœuf ou de jaune sale, de couleurs ternes et passées, ses boutiques noires où l’enseigne indique en lettres blanches la marchandise mortuaire : « Fleurs et couronnes, perles, fournitures en tous genres », ses « chands de vin » où, sur le zinc, une clientèle débraillée, fournie par le vagabondage spécial, s’empoisonne de compagnie avec des filles en cheveux, cette voie devenait quelquefois gaie la nuit. C’est qu’alors une populace, venue de tous les bas-fonds de la capitale, remontait vers la place de la Roquette, dans l’espoir d’assister au spectacle toujours alléchant d’une tête qui tombe. Quelques minutes après quatre heures, alors que tout semblait reposer dans le quartier, de nombreux agents survinrent soudain, dans le plus profond silence. Les chefs s’entretenaient entre eux, et les ordres étaient donnés à voix basse. Presque aussitôt la troupe arriva ; elle n’avait jamais été aussi nombreuse. L’occupation de la place de la Roquette par la troupe se fit avec le même mystère. De forts pelotons de fantassins, placés au travers de la rue de la Roquette, en haut, du côté du Père-Lachaise, en bas, du côté de la place du Prince-Eugène, ainsi qu’au coin de la prison, de la rue Gerbier, de la rue Merlin et de la rue de la Folie-Regnault, isolaient entièrement le quadrilatère au centre duquel la société se disposait à tuer un homme. Jamais on n’avait vu un pareil service d’ordre. Une fenêtre, au coin de la rue de la Folie-Regnault et de la rue de la Roquette, à côté d’un établissement de vins dénommé « À la Renaissance du bon coin », s’étant ouverte, un homme, dont il était impossible de voir la figure, non point seulement à cause de l’obscurité, mais encore par suite de la façon dont il tenait les larges bords de son chapeau de feutre noir rabattus sur les yeux, se détacha d’un petit groupe d’officiers, alla sous la fenêtre, dit quelques mots d’une voix sourde et la fenêtre se referma. Cet homme, habillé d’une lourde pèlerine dont le col était relevé haut sur les oreilles, revint au groupe d’officiers et, entraînant l’un d’eux, lui dit : – Faites mettre la baïonnette au canon, vous devez vous attendre à tout… Dans tous les cas, vous serez averti ; j’ai des agents placés en sentinelles partout… J’en ai plein le Père-Lachaise… Puis l’homme s’en fut vers les gendarmes à cheval, dont la petite troupe débouchait mystérieusement sur la place par le coin de la rue de la Vacquerie et de la Grande-Roquette, du côté du chemin de ronde, où furent fusillés depuis les otages de la Commune. Il parlementa avec l’officier qui commandait le détachement. Les gendarmes vinrent tout de suite se grouper devant la porte de la prison. L’homme redescendit alors du côté de la place du Prince-Eugène. Toutefois, la rue de la Roquette restait déserte, uniquement occupée par les agents et les soldats. Mais voilà que, vers cinq heures, plusieurs voitures arrivèrent coup sur coup, et une demi-douzaine de personnages, hommes enveloppés de lourdes pelisses, femmes emmitouflées d’épaisses fourrures, en descendirent. Ils se dirigeaient, après avoir parlementé quelques secondes avec les agents, vers une porte basse qui s’ouvrait dans la façade lézardée d’une des plus vieilles maisons de la rue. Ils frappaient d’une certaine manière à la porte, qui s’ouvrait et se refermait aussitôt. Non loin de cette porte, placée pour ne pas être vue et pour tout voir, l’ombre à la pèlerine considérait attentivement les allées et venues des nouveaux arrivants. Elle était là, immobile depuis plus d’une demi-heure, quand elle s’avança tout à coup vers un homme, une silhouette grande et forte qui descendait d’un fiacre. L’ombre toucha les bords de son chapeau et dit : – Laissez-moi entrer avec vous, monsieur… Ce sera plus prudent. – Non, Dixmer… Il vaut mieux que vous restiez dehors… Mais si dans une heure je ne suis pas sorti, envahissez la bicoque. Et l’homme qui venait de descendre de voiture frappa à la porte deux coups d’abord, trois coups ensuite. Quand la porte se fut refermée sur lui, il se trouva dans une obscurité profonde. Une voix lui demanda : – Que voulez-vous ? – R. C. Quant à l’ombre qui était restée dehors, elle remonta vers la place de la Roquette. Une petite lueur falote attira son attention du côté de la GrandeRoquette. C’était le couteau du bourreau qui brillait déjà, en haut de son châssis. Sur la place, la besogne de M. de Paris et de ses aides avait été faite comme toujours, consciencieusement, méticuleusement, sans hâte. Du reste, l’instrument de justice demande à être traité avec tranquillité, monté, agencé par des mains habiles et sans fièvre, tel un instrument d’horlogerie. Le temps n’est plus où l’on tuait légalement les gens « à la va comme je te pousse ». Le bourreau moderne n’est pas seulement un horloger, c’est encore un architecte. Il a son niveau d’eau et son fil à plomb. Il est environ cinq heures et demie quand nous retrouvons l’homme à la pèlerine, sans doute un officier de police divisionnaire, qui semblait prendre toutes dispositions dans la crainte d’un événement redoutable, quand nous le retrouvons au coin de la rue de la Roquette, non loin de l’établissement de vins déjà signalé : À la Renaissance du bon coin. On se rappelle que près de là une fenêtre s’était ouverte, puis refermée sur les injonctions du représentant de la police. Celui-ci est de nouveau sous cette fenêtre qui s’est rouverte. Une silhouette d’homme est apparue là-haut, s’est penchée, a semblé examiner ce qui se passait dans la rue, a fait un signe à la pèlerine, arrêtée sur le trottoir. Puis plus rien à la fenêtre ; mais en bas, une porte s’ouvre que quelqu’un referme soigneusement, quelqu’un qui porte un paquet sous le bras. L’officier de police n’a pas bougé, mais il demande sans tourner la tête : – C’est toi, Cassecou ? L’autre, toujours penché sur sa serrure : – Dixmer ? – Ne prononce pas mon nom, répond Dixmer, toujours dans la même position. Tu sais où ça va se passer ? – Au Lapin qui fume. – Tout est paré ? – Tout !… Et l’homme frappa sur son paquet. – Qui est-ce qui marche ? – Le Vautour lui-même. – Parfait. Tu diras au Vautour que tout est prêt pour agir du côté de la rue de la Vacquerie, si c’est nécessaire. J’ai là les cent de Montrouge dans un chantier de bois. Il doit comprendre combien il serait préférable, surtout pour moi qui dirige le service d’ordre, que tout se passe en silence ! – Oh ! le Vautour y compte bien. – Adieu ! Laissons Dixmer vaquer « consciencieusement » à sa besogne de haute police pour revenir à Cassecou. Celui-ci, son paquet sous le bras, s’était enfoncé dans la nuit de la rue de la Folie-Regnault ; il n’avait pas marché cinq minutes qu’une ombre se détacha d’une encoignure sur le trottoir d’en face, elle s’avança sur Cassecou. Quand elle fut à portée de la vue, elle dit : – R. C. Cassecou répondit : – Panthéon. L’ombre rejoignit Cassecou qui demanda : – Tu les as vus passer ? – Oui, à l’instant… Ils ont dû faire un grand détour, prendre par derrière la Petite-Roquette et revenir sur leurs pas ; ils ont dépassé le Lapin qui fume et remonté le passage de la Folie-Regnault. Ils sont entrés au Lapin qui fume par derrière. – Le Vautour ? – Je l’ai vu passer ; il est entré directement, lui, par la rue, avec Patte d’oie. – Qui y est encore entré ? – Une douzaine qui doivent être de la « combinaise », mais je ne les ai pas reconnus… peut-être des « titis », peut-être des « lions », pour sûr pas des « chasseurs noirs », je les connais tous, et ils étaient obligés de passer sous la lueur du réverbère. – C’est bien, retourne à ta place. Si les flics arrivent, t’émeus pas, mais siffle dès que t’en verras. C’est tout, merci. L’ombre retourna à son poste et Cassecou continua son chemin sur le trottoir. Il n’avait pas fait vingt-cinq mètres qu’il s’arrêtait devant la porte aux vitres illuminées du cabaret du Lapin qui fume. Un lapin rouge, confortablement assis sur ses pattes de derrière et goûtant les délices d’une longue pipe, avait été découpé dans un morceau de zinc qui se balançait sous l’action du vent. La bise était âpre, le froid dur, dans cette nuit de décembre, un de ces froids « noirs » qui précèdent souvent la tombée des neiges. Cassecou entra, nonchalant, la cigarette baveuse aux lèvres, sans curiosité, traînant ses grandes jambes désarticulées jusqu’au comptoir de zinc, ne regardant personne, semblant ne s’intéresser en aucune façon à l’étrange clientèle qui emplissait cette première salle dans laquelle nous aurons l’occasion de revenir. Dans le moment, nous suivrons le coup d’œil lancé par Cassecou à la porte vitrée qui faisait communiquer la salle commune avec une autre petite pièce dans laquelle nous allons entrer. Là, deux gentilshommes soupaient… En vérité, rien dans leurs manières ne révélait qu’ils dussent descendre d’une haute race, mais la correction de leur tenue, le soin qu’ils avaient pris pour venir souper au Lapin qui fume, d’endosser un vêtement d’une élégance aussi sévère que celle du complet redingote, attestaient hautement qu’ils appartenaient à une classe de la société supérieure à la moyenne. L’un d’eux était long et maigre, cependant que l’autre paraissait singulièrement trapu. Le maigre avait noué sa serviette blanche sur sa redingote noire, car c’était un homme d’ordre et qui n’aimait point les taches. Il avait conservé son chapeau haute-forme sur sa tête. Il trempa son pain dans la sauce et dit au trapu : – Faites excuse, monsieur Prosper, mais je croyais qu’il se faisait plus que vous me dites : dans les douze mille au moins, mal an, bon an. – Oh ! Je ne dis pas !… Dans les bonnes années… mais il n’y a plus de bonnes années… Certainement, autrefois, quand on voyageait, avec ses frais il pouvait même aller jusqu’à dix-huit mille, mais on ne voyage plus guère… Songez qu’il n’y a que six mille de fixe ; le gouvernement n’est pas juste, monsieur Denis, car enfin il faut qu’il représente… Non, non, croyez-moi, le métier est fichu et vous entrez un peu tard dans la carrière… C’est comme nous, qu’est-ce que vous voulez que nous fassions avec nos dix-huit cents francs ? On est obligé de se nourrir, de se loger, de se vêtir… On doit être toujours habillé propre ; du drap noir, ça coûte, sans compter le chapeau haute-forme… Encore un peu de lapin, monsieur Denis ? – Merci, monsieur Prosper, il est excellent. – Oh ! c’est une bonne maison. Quand la besogne d’ajustage est terminée, en attendant le jour, c’est toujours ici que je venais souper avec ce pauvre Marquis… On est bien tranquille… – De quoi donc est-il mort, ce pauvre Marquis ? – Il s’en est allé de la poitrine. La « dernière » qu’il a faite, il toussait, il toussait ! C’en était impressionnant ; le condamné lui-même, vous savez, pendant que nous lui faisions la toilette, en était tout gêné. Ah ! À propos du condamné, monsieur Denis, n’hésitez pas à le jeter sur la bascule… Quand je vous dirai ; hop ! soulevez-le un peu, et, d’un coup, glissez-le, du même mouvement que moi, jusqu’à la lunette ; moi, je lui tire aussitôt la tête par les cheveux, comme ça… parce qu’ils reculent toujours la tête et quelquefois on peut couper le menton… Pour rabaisser la lunette, ne vous en occupez pas, c’est l’affaire du patron. Il n’a que ça à faire et à appuyer sur le bouton, ça n’est pas sorcier !… Tout le mal est pour nous, comme de juste, et on n’en est pas récompensé… Au fond, on est mal vu… les gens ne vous disent rien… mais on est mal vu… Ainsi devisant, les deux soupeurs continuaient de savourer le reste du lapin fumant. Ils ne se pressaient point, estimant qu’ils avaient encore vingt bonnes minutes à eux, avant de se lever de table. À cette époque de l’année, le jour se lève très tard et chacun sait que l’exécution légale doit être faite aux premiers rayons de l’aurore. À un moment, M. Denis, qui songeait malgré lui à son client, demanda : – Au fond, qu’est-ce qu’il a fait, celui-là ? Je ne me rappelle pas bien son histoire… M. Prosper répondit : – Oh ! moi, je ne m’en occupe jamais ! Ça n’a pas d’intérêt pour nous… – Tout de même, répliqua M. Denis… Tout de même, ça doit être bien « encourageant » quand on sait qu’il est bien coupable. – Peuh ! C’est l’affaire des jurés… Ce qu’il a fait, ce Desjardies ? Eh bien, mais c’est lui qui a assassiné Lamblin. Vous savez, l’employé du parquet… Ça a fait assez de bruit dans le moment, et puis on s’est occupé d’autre chose… Dites donc, monsieur Denis, vous ne trouvez pas que le garçon nous oublie… – Mais oui ! Je mangerais bien un morceau de fromage… Ah ! Le voilà ! Le garçon entrait, en effet, empressé, apportant du fromage, des assiettes, remportant la casserole, desservant le couvert… M. Prosper et M. Denis le regardaient curieusement. – C’est drôle, dit M. Prosper quand il fut parti… Il me semble que tout à l’heure il n’avait pas cette tête-là… – Il me semble aussi, fit M. Denis. Un silence, et puis M. Prosper : – On raconte tout de même que ç’a a été un homme très bien, très comme il faut, ce Desjardies. Tant mieux !… Vous savez, il y en a qui ont le cou si sale que ça dégoûte au moment de la toilette… Je crois me rappeler aussi qu’on racontait dans les journaux qu’il avait une fille, une fille très belle qui a voulu se faire entendre en cour d’assises, mais qu’on a mise à la porte, et puis qui a voulu se jeter aux pieds de l’empereur. Elle a tout juste vu le concierge des Tuileries, naturellement… Oui, un tas de chichis, quoi !… – Qu’est-ce qu’elle voulait ? demande M. Denis. – Elle prétendait que son père était innocent, naturellement… Mais il a été pris en flagrant délit par le procureur impérial lui-même et le chef du cabinet à la guerre, Régine. Alors… Alors… la porte qui donnait sur la grande salle du cabaret s’ouvrit et, à leur complet étonnement, M. Prosper et M. Denis virent entrer, en place du garçon, un ouvrier terrassier, qui alla s’asseoir sans dire un mot à côté de la table qu’occupaient les deux hommes en noir. – Tiens ! fit tout bas M. Prosper, gêné, je m’étonne… le patron m’avait pourtant bien promis que nous serions seuls… Mais M. Prosper se tut, car son étonnement grandissait : un autre ouvrier entrait et s’asseyait à une table… Il y en avait maintenant à toutes les tables. Le dernier ouvrier entré avait fermé la porte, et tous continuaient à observer le plus impressionnant silence. Nous avons laissé l’inconnu à qui Dixmer s’était si respectueusement adressé pour lui offrir son concours, derrière la porte d’une vieille maison de la rue de la Roquette. Il n’avait pas plus tôt prononcé ces lettres magiques : R. C. que la lueur subite d’une lanterne sourde perça les ténèbres et éclaira un corridor étroit et bas, aux murs infâmes, aboutissant à un escalier qui descendait. Quand il vit qu’il lui faudrait se glisser dans ce trou, l’homme hésita et mit sa main à sa poche pour y tâter son revolver. L’individu qui tenait la lanterne devina le mouvement et dit : – Oh ! monsieur, vous pouvez être tranquille… vous ne courez aucun danger ! Et il descendit le premier ; l’autre suivit. L’escalier était rapide mais court. Ils furent tout de suite sur le sol d’une cave. L’homme à la lanterne, précédant toujours son visiteur, lui fit traverser plusieurs caveaux dont les portes se refermaient automatiquement et silencieusement derrière eux. Ils remontèrent une trentaine de marches ; une porte s’ouvrit. Le mystérieux visiteur se trouva soudain dans une salle étincelante de lumière. Des rires, des cris joyeux accueillirent son arrivée. – Ce cher procureur ! C’est lui qui nous a fait cette bonne surprise !… Il regarda ces visages riants, ces femmes couvertes de bijoux, ces hommes en frac qui étaient de ses amis, cette table somptueusement servie, ce salon si clair, si pimpant dans son style Pompadour, tout ce luxe, là où il eût été normal de trouver un bouge, et laissa tomber ces mots : – Toute la surprise est pour moi. Puis, sans se préoccuper des convives, il se précipita à une fenêtre, souleva un rideau : la place de la Roquette, lugubrement éclairée de quelques rares réverbères à la flamme vacillante, s’étendait sous ses yeux. Devant la porte de la prison, au centre d’un double cercle formé, le premier par les soldats de la ligne, le second par des gendarmes à cheval, la guillotine dressait ses deux bras sombres. Le procureur impérial laissa tomber le rideau. Un valet de pied, de la tenue la plus correcte, était derrière lui, le débarrassant de sa pelisse et de son chapeau. Pendant qu’il retirait ses gants, le haut magistrat sourit froidement aux cinq personnes qui se trouvaient en face de lui et dit : – J’aurais dû m’en douter… c’est une farce… mais elle n’est pas drôle… L’homme qui parlait ainsi pouvait avoir une cinquantaine d’années. Il était grand, bien découplé, avec les épaules un peu fortes. Tout en lui, du reste, manifestait la force. La tête était puissante avec un port mauvais, un front terrible, magasin d’énergie et de volonté qui semblait prêt à crever ; les cheveux grisonnants en brosse, drus et droits, ajoutaient encore par leur coupe en carré, à l’aspect opiniâtre de cette tête trop énorme, même pour le grand corps qui la portait. Les sourcils étaient touffus, se terminant à la naissance du nez par deux mèches poivre et sel ; ce nez était long, un peu épais du bout. La lèvre supérieure se cachait sous une forte moustache qui avait conservé presque intacte sa couleur châtain foncé ; les pointes en étaient retombantes, à la Vercingétorix, dissimulant le pli inquiétant de la commissure des lèvres, mais la lèvre inférieure, elle, extraordinairement charnue et dépassant la lèvre supérieure, révélait tout, des appétits de tout, formidables. Le menton ras était en harmonie avec le front ; mâchoire de fauve capable de broyer dans la mesure que le front était capable de penser, là-haut. Cette tête n’eût réussi qu’à faire peur si elle n’avait pas eu les plus beaux yeux bleus du monde, de grands yeux clairs d’enfant, qui regardaient bien en face avec sérénité.
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