A près avoir quitté le bureau de Brad, Evie marche calmement
jusqu’au sien, disparaît à l’intérieur pendant un moment puis claque si
fort la porte que les tableaux sur les murs du couloir tremblent.
Je frappe à la porte et passe la tête dans l’embrasure. Elle a la tête
baissée, mais elle lève les yeux dans ma direction. Des larmes coulent
sur ses joues.
– C’est n’importe quoi, Carter.
J’entre en fermant la porte derrière moi.
– Bien sûr. Je n’y ai pas cru une seule seconde.
Elle se frotte les yeux. Je demande :
– Que puis-je faire ?
– Tu as tes propres problèmes à gérer, répond-elle, d’une voix
étouffée. Je dois juste reprendre contenance avant de sortir d’ici et
rentrer chez moi.
J’ai toujours pensé qu’Evie et moi étions deux loups dangereux, avec
des atouts différents qui se complètent, formant l’équipe parfaite. Mais
maintenant, je réalise que nous sommes les mêmes. Bien sûr, elle ne
veut pas lécher ses blessures devant témoin.ue peut-être n'avais-je pas assez connu l'amour moral pour tolérer
l'autre: j'étais atteinte de cette inquiétude romanesque, de cette fatigue qui donne des vertiges
et qui fait qu'après avoir nié, on remet tout en question et l'on se met à adopter des erreurs
beaucoup plus grandes – Je finis de lire cet article avant de partir. (Je plisse instinctivement
les yeux en lui jetant un coup d’œil. Daryl portait une jupe et des talons
vertigineux il y a quelques heures et, maintenant, elle a enfilé une
blouse et ses cheveux blondis par le soleil sont noués en queue-decheval.)
C’est ce soir que nous allons chez Mike et Steph. Dis-moi que
c’est ton déguisement, je t’en supplie.
Daryl commence à gigoter sur elle-même et semble prêter
soudainement une attention démesurée à une tache invisible sur
l’ourlet de sa chemise. Je sais alors qu’elle va me planter.
Je halète :
– Non !
– Je suis désolée ! dit-elle en s’affalant d’un air théâtral sur la chaise
en face de moi.
– Connasse. Tu me laisses tomber ?
– Je n’en ai aucune envie, mais j’ai oublié que j’avais promis à mon
oncle que je l’aiderais ce soir. Pourquoi ne me l’as-tu pas rappelé cet
après-midi ? Tu sais que ça fait partie de ton rôle dans notre amitié !
Je glisse dans mon fauteuil. Pour se payer l’université, Daryl a
travaillé au centre médical de son oncle et a profité de ses réductions
d’employée autant qu’elle a pu. Elle est sublime, une peau
resplendissante, des seins parfaits et un thigh gap
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si impressionnant
qu’on pourrait regarder la télé à travers, mais elle est aussi la première
à admettre qu’elle doit une grande partie de tout cela aux efforts
pionniers de la science et à son oncle, le Dr Elias Jordan, chirurgien
esthétique. Daryl aura trente ans cette année et, en plus de son job à
l’étage dans le département Écriture et Adaptation audiovisuelle, elle
travaille pour lui de temps en temps pour payer ses petites retouches
récentes. Comme beaucoup de gens dans cette ville, elle est déterminée
à ne jamais vieillir.
Heureusement pour elle, elle n’aura bientôt plus besoin de s’en
soucier, parce que je vais la tuer.