Les Battements du Silence (Tom 2)

Le Poids du Passé

Clara était assise dans le grand salon de la villa Solaris, fixant les murs d’un regard absent, comme si le monde autour d’elle n’était plus tangible. Tout semblait si irréel, et pourtant terriblement lourd. La révélation de ses origines avait balayé tout ce qu’elle croyait savoir d’elle-même, comme si un coup de vent avait emporté les fondations de sa vie. Elle se sentait suspendue au-dessus d’un gouffre, sans rien pour l’ancrer.

Petter, assis à côté d'elle, serrait doucement sa main, observant les traits tirés de son visage avec une inquiétude qu’il tentait de dissimuler. Depuis l'annonce de M. Solaris, il percevait un changement profond en elle. Elle semblait distante, enfermée dans une bulle de silence. Le vide dans ses yeux trahissait une souffrance qu’il ne pouvait atteindre.

Elle se sentait à la fois proche et étrangère de cette famille qui l'avait accueillie. La richesse des lieux, les meubles d’un luxe discret, les œuvres d’art suspendues aux murs, tout semblait lui murmurer qu’elle n’était pas chez elle. Et pourtant, elle l’était, d’une certaine manière.

— Clara, tu es prête à partir ? demanda Petter doucement, brisant le silence pesant.

Clara cligna des yeux, ramenée brutalement à la réalité. Son regard se posa sur lui, et elle esquissa un sourire tremblant, forcé. Elle n’était pas prête, mais pouvait-elle l’admettre ? Mr Solaris l’attendait pour un dîner familial, une rencontre officielle avec ses deux sœurs jumelles, Élisa et Raphaëlle. Un moment supposé joyeux. Pourtant, elle ne ressentait rien d’autre que de l’appréhension.

— Oui, je suis prête, murmura-t-elle d'une voix rauque, qui trahissait sa fatigue émotionnelle.

Petter la scruta, les sourcils froncés. Il connaissait Clara mieux que personne et voyait à quel point cette révélation la rongeait. Depuis qu’elle avait appris qu’elle était l’une des filles de l’homme le plus influent du pays, elle semblait avoir perdu tous ses repères. Ce n'était pas seulement une découverte surprenante ; c'était une déconstruction de tout ce qu’elle pensait être.

Il se leva, tendant la main pour l’aider à se relever. Elle la prit avec hésitation, comme si même ce simple geste lui coûtait un effort considérable. Sa main tremblait légèrement dans celle de Petter, un frisson parcourant son bras.

Dans la voiture qui les conduisait vers la demeure de M. Solaris, Clara fixa la route devant elle, évitant les regards de Petter. Le paysage défila en silence, mais son esprit, lui, bouillonnait de pensées contradictoires. Elle revoyait les visages de ses parents adoptifs, marqués par la culpabilité, les lèvres tremblantes alors qu’ils lui confiaient enfin la vérité. Ils lui avaient dit qu’ils l’avaient aimée comme leur propre fille, mais cela n’atténuait pas la douleur d’avoir été trompée. Elle ressentait leur amour, mais la trahison de leur silence la déchirait.

Petter jetait des coups d'œil vers elle, guettant un signe, une parole, un éclat d'émotion qui trahirait ce qu'elle gardait enfoui. Le silence s’étirait, dense, presque insupportable.

— Clara… tu sais que je serai toujours là, quoi qu'il arrive, murmura-t-il soudain.

Elle tourna la tête vers lui, ses yeux brillant de larmes qu’elle peinait à retenir.

— Je le sais, Petter… mais tout ça… c'est trop, répondit-elle, la voix tremblante. Je ne sais plus qui je suis.

Petter hocha la tête, un air sérieux et triste se dessinant sur son visage. Il la comprenait, même si ses propres émotions restaient confuses. La Clara qu’il aimait était toujours là, mais une part d’elle semblait s’être envolée, perdue dans cette nouvelle identité.

— Tu es toujours Clara, lui répondit-il en serrant doucement sa main. La Clara que j’aime depuis le premier jour. Rien de tout cela ne changera jamais.

Un sourire fugace effleura les lèvres de Clara, mais elle baissa vite les yeux. Les mots de Petter lui apportaient un réconfort fragile, mais ne suffisaient pas à combler le vide qu’elle ressentait.

La voiture s’arrêta devant la vaste demeure de Mr Solaris, une architecture imposante aux allures de château moderne. Clara sentit son cœur s’emballer alors que les deux grandes portes s’ouvraient devant eux. Elle inspira profondément, comme pour se donner du courage.

Petter lui tendit la main, et elle la serra, cherchant une ancre dans cet océan d’incertitudes. Lorsqu’ils franchirent le seuil, Amélie les accueillit avec un sourire réconfortant.

— Clara, Petter, bienvenue, dit-elle en les invitant à entrer.

Elle guida Clara vers le salon, où M. Solaris et ses deux filles jumelles les attendaient. En entrant, Clara se figea. Élisa et Raphaëlle étaient assises l'une à côté de l'autre, et en les voyant, Clara eut l’impression de se regarder dans un miroir déformé. Leurs traits étaient si proches des siens, mais étrangers à la fois. Un tourbillon d’émotions l’envahit, et une larme silencieuse roula sur sa joue.

Petter sentit son trouble et glissa discrètement sa main dans la sienne pour la soutenir. Il la connaissait assez pour savoir que ce moment devait être insupportable pour elle.

— Clara, mesdemoiselles Élisa et Raphaëlle, dit Mr Solaris d’une voix calme, posant son regard bienveillant sur ses trois filles. Nous espérons que cette rencontre sera le début de quelque chose de beau.

Clara sentit le poids de cette phrase et tenta de sourire, mais son cœur battait à tout rompre. Elle n’était pas prête pour cette "beauté". Tout ce qu’elle ressentait était le chaos, une lutte entre ses émotions contradictoires. Elle fit un effort pour échanger quelques mots avec ses sœurs, mais ses réponses étaient hésitantes, comme si chaque phrase était un fardeau supplémentaire.

Pendant le dîner, les échanges étaient courtois et calmes. Mr Solaris, Amélie, Élisa, et Raphaëlle tentaient de créer une ambiance légère, mais Clara ne parvenait pas à se détendre. Elle les écoutait parler de souvenirs qu’elle n’avait pas partagés, d’anecdotes d’enfance qui lui étaient étrangères. Elle les observait, se demandant si un jour elle pourrait vraiment faire partie de leur monde.

Le dîner terminé, Clara remercia poliment sa nouvelle famille et se laissa conduire par Petter jusqu’à la voiture. Une fois de retour dans l’habitacle, elle se laissa aller, les épaules s’affaissant comme si elle portait un poids invisible.

— Ça va ? demanda doucement Petter, caressant sa joue du bout des doigts.

Clara inspira profondément, hésitant à répondre.

— Je ne sais pas, avoua-t-elle enfin. Je ne sais pas si je pourrai jamais me sentir vraiment à ma place.

Petter la regarda, ses yeux exprimant une compréhension totale. Il savait qu’il ne pouvait pas résoudre ce conflit pour elle, mais il espérait que, peu à peu, elle retrouverait sa propre identité dans ce labyrinthe d’émotions.

Clara tourna la tête vers la fenêtre, observant les lumières de la ville qui défilaient. Elle se sentait prise entre deux mondes, entre deux vies qu’elle n’arrivait pas à concilier. Mais au fond, elle savait qu’elle devrait trouver un équilibre, car ce passé, aussi difficile qu'il soit à accepter, faisait désormais partie d’elle.