Le matin était lumineux, et Petter décida de surprendre Clara avec un déjeuner improvisé. Ces derniers temps, il avait senti qu’ils s’éloignaient, les longues heures de travail et ses propres pensées l’isolant peu à peu d’elle. C’était l’occasion parfaite de raviver leur complicité. Alors, sans prévenir, il se dirigea vers les bureaux de l’entreprise Solaris, portant un bouquet de fleurs et un petit sac de leurs plats préférés.
Arrivé devant le bâtiment, Petter se fraya un chemin jusqu’à l’étage de Clara, espérant la surprendre. Cependant, à peine eut-il dépassé le coin d’un couloir qu’il s’arrêta brusquement, la scène qui se jouait devant lui figeant son sourire. Clara était là, debout dans le hall, parlant et riant avec une autre femme. Cette femme… Son cœur fit un bond dans sa poitrine. C’était elle. Émilie.
Il sentit son souffle se bloquer, l’image d’Émilie et Clara échangeant des rires et des confidences le frappa de plein fouet. C’était bien elle, Émilie, son premier amour, celle qui l’avait quitté sans un mot. Toutes les questions sans réponse qu’il portait depuis des années se bousculaient dans son esprit. Un tourbillon d’émotions le saisit, mélange de nostalgie, de douleur et d’incompréhension. Il était là, figé, incapable de bouger ou de détourner le regard.
Émilie semblait si heureuse en compagnie de Clara. Les deux femmes partageaient visiblement une complicité sincère, échangeant des anecdotes, riant de plaisanteries qui semblaient profondes et sincères. Petter recula instinctivement, ne souhaitant pas être vu, et fit demi-tour, son esprit embrouillé. Il quitta le bâtiment sans même se retourner.
De retour chez lui, Petter se laissa tomber sur le canapé, ses mains tremblant légèrement. Les souvenirs d’Émilie resurgirent, chacun plus puissant et plus douloureux que le précédent. Pourquoi n’avait-elle jamais rien dit ? Pourquoi avait-elle disparu si soudainement, le laissant sans explication, pour réapparaître aujourd’hui dans la vie de Clara ? La situation le dépassait complètement.
Incertain de ce qu’il devait faire, il se leva, prit ses clés et sortit dans la ville. Il se retrouva dans un bar familier, commandant un verre, puis un autre, tentant de noyer le chaos qui régnait dans son esprit. Mais l’alcool ne faisait qu’exacerber ses émotions. Il se revoyait jeune, amoureux, incapable de comprendre pourquoi elle était partie. La douleur était encore là, vive et cruelle, comme une plaie jamais refermée.
Il était près de minuit lorsque Petter rentra chez eux, titubant légèrement. Clara, qui s’inquiétait déjà de ne pas l’avoir vu rentrer pour le dîner, accourut vers lui en le voyant franchir la porte.
— Petter ! Mais où étais-tu ? Tu ne répondais même pas à mes appels, dit-elle, la voix tremblante d’inquiétude.
Il la regarda, les yeux embués, incapable de formuler les pensées qui tourbillonnaient dans son esprit. Sa bouche s’ouvrit, mais aucun mot clair ne sortit. Enivré, il balbutia quelques phrases incohérentes, comme s’il cherchait à exprimer une douleur trop profonde pour être expliquée.
— Clara… tu ne comprends pas… elle… elle est revenue, elle est là… murmura-t-il, titubant légèrement.
Clara fronça les sourcils, perplexe.
— De qui parles-tu, Petter ? Qu’est-ce que tu racontes ? demanda-t-elle, une lueur de panique dans les yeux.
Mais Petter, perdu dans son ivresse et ses souvenirs, ne fit que secouer la tête, évitant son regard. Ses mots étaient embrouillés, et malgré les efforts de Clara pour comprendre, elle ne parvenait pas à saisir le sens de ce qu’il tentait de dire. Il posa une main maladroite sur son visage, le caressant comme pour se rassurer.
— C’était… elle… la première, celle qui est partie, murmura-t-il, la voix chargée de tristesse.
Clara le dévisagea, inquiète. Elle ne l’avait jamais vu dans cet état, perdu et vulnérable. Elle tenta de l’aider à s’asseoir, le soutenant alors qu’il s’effondrait sur le canapé. Elle posa une main douce sur son épaule.
— Petter, parle-moi. Que se passe-t-il ? Tu m’inquiètes… Dis-moi ce qui te tourmente.
Mais il secoua la tête, murmurant des mots qu’elle ne comprenait pas, l’esprit trop embrouillé pour donner un sens à sa douleur. Clara l’observa en silence, désemparée. Elle se sentait impuissante, incapable de comprendre ce qui le tourmentait, mais une angoisse sourde s’installait en elle.
Alors qu’il s’appuyait contre elle, Petter sentit sa douleur se mêler à l’alcool, comme un poids qu’il ne pouvait plus supporter. Il leva un regard trouble vers Clara, cherchant en elle un réconfort qu’il n’avait plus ressenti depuis des années. Mais à cet instant, les traits de Clara se confondaient presque avec ceux d’Émilie dans son esprit.
— Pourquoi elle est partie… sans rien dire… pourquoi elle m’a laissé ? murmura-t-il, la voix pleine de désespoir.
Clara, le cœur battant, essaya de comprendre, mais chaque mot de Petter semblait l’éloigner davantage de la réalité. Elle le prit dans ses bras, le berçant doucement, espérant que sa présence suffirait à apaiser ses tourments. Pourtant, elle sentait qu’un fossé invisible se creusait entre eux.
Il finit par s’endormir dans ses bras, murmurant des mots inaudibles. Clara l’observa un instant, ses pensées se mélangeant entre inquiétude et incompréhension. Elle n’avait jamais vu Petter dans cet état, si fragile, si perdu. Une partie d’elle sentait qu’il y avait quelque chose de plus profond derrière ses paroles, quelque chose qui lui échappait encore.
Après s’être assurée que Petter dormait paisiblement, Clara s’éloigna et alla s’asseoir près de la fenêtre, fixant la nuit noire. Elle était troublée, incapable de trouver le sommeil. Qui était cette « elle » dont Petter avait parlé dans un moment d’ivresse et de désespoir ? Qu’avait-il voulu dire en évoquant quelqu’un qui l’avait quitté ?
Elle sentit une inquiétude sourde grandir en elle, comme un pressentiment qu’une partie du passé de Petter qu’elle ignorait encore venait de refaire surface. Elle se demanda si cette mystérieuse personne faisait partie de sa vie autrefois, et surtout, pourquoi son souvenir semblait le hanter encore si profondément.
Clara se sentit impuissante, assise seule dans le silence, des questions sans réponses tourbillonnant dans son esprit. Elle jeta un coup d’œil à Petter, qui dormait toujours, un léger froncement de sourcils trahissant son tourment intérieur même en plein sommeil.
Elle se promit d’attendre qu’il se réveille pour lui parler, mais au fond d’elle, elle savait qu’il y avait des douleurs que même l’amour ne pouvait guérir sans un effort sincère pour affronter la vérité.