Les Battements du Silence (Tom 2)

Confidences troublantes

Depuis plusieurs jours, Clara était complètement absorbée par son travail. Son poste de directrice de projet en innovation écologique dans l’entreprise de M. Solaris occupait chaque minute de son emploi du temps, et les soirées, où elle retrouvait Petter à la maison, devenaient de simples pauses avant de replonger dans ses dossiers. La fatigue se lisait sur son visage, mais une étincelle de satisfaction y brillait aussi : elle aimait ce qu’elle faisait, fière de contribuer aux projets ambitieux de son père. Malheureusement, ce dévouement l’amenait, sans qu’elle ne s’en rende compte, à négliger Petter, qui semblait plus renfermé et pensif.

Un soir, alors qu’elle rentrait tardivement, Clara retrouva Petter dans le salon, plongé dans ses pensées. Elle déposa son sac et s’approcha de lui, souriant malgré l’épuisement.

— Désolée pour mon retard, murmura-t-elle en s'asseyant près de lui. J’ai eu une journée… intense.

Petter lui rendit un sourire distrait, le regard toujours lointain. Clara, sans remarquer son silence inhabituel, se lança dans le récit de sa journée.

— On avance bien sur le projet d’énergie solaire, expliqua-t-elle. Mon père est exigeant, mais je sens que je progresse vraiment. Et j’ai la chance d’avoir une équipe incroyable à mes côtés, notamment Émilie. C’est devenu une amie précieuse.

À la mention de ce prénom, Petter tressaillit légèrement, mais Clara, emportée par ses pensées, continua, inconsciente de l’effet que ces mots avaient sur lui.

— Émilie est un vrai soutien, et elle est incroyablement professionnelle. Mais… je ne sais pas. Elle semble souvent perdue dans ses pensées. Parfois, j’ai l’impression qu’elle cache quelque chose de douloureux, une sorte de tristesse qui ne la quitte jamais vraiment.

Petter, intéressé malgré lui, se redressa un peu.

— Comment ça ? Tu penses qu’elle a vécu quelque chose de difficile ? demanda-t-il, essayant de dissimuler son trouble.

Clara hocha la tête, pensive.

— Oui, c’est ce qu’il me semble. Elle m’a confié que certains souvenirs de son passé lui revenaient de plus en plus. Elle n’a pas encore partagé tous les détails, mais elle laisse entendre qu’elle a dû partir précipitamment un jour, sans pouvoir dire au revoir à certaines personnes importantes pour elle.

À ces mots, Petter sentit son cœur s’emballer. La description qu’Émilie avait faite de son départ précipité ressemblait étrangement à leur propre histoire. Était-il possible qu’elle pense à lui quand elle évoquait ce passé douloureux ? Il sentit une vague de nostalgie et de confusion le submerger. Mais il ne laissa rien paraître, continuant à écouter attentivement Clara, qui poursuivait son récit.

Clara s’interrompit un instant, repensant aux moments qu’elle partageait avec Émilie au bureau. Elle voyait bien que sa collègue, malgré sa gentillesse et sa détermination, portait un poids invisible. À plusieurs reprises, elle avait surpris Émilie, les yeux perdus dans le vide, comme si elle se replongeait dans des souvenirs douloureux.

— Tu sais, Petter, j’ai vraiment de la peine pour elle. Elle ne dit pas grand-chose, mais on sent que quelque chose l’a marquée profondément. Elle a laissé entendre qu’elle regrettait de ne pas avoir pu dire au revoir à des personnes chères… Je ne sais pas qui, mais ça me fait de la peine de la voir comme ça. Je ne peux pas imaginer ce que ça doit être de devoir quitter des gens qu’on aime sans même pouvoir leur expliquer, murmura Clara, une pointe d’émotion dans la voix.

Petter baissa les yeux, ressentant cette même peine. Il savait exactement ce que cela signifiait, car il avait vécu cette douleur d’abandon quand Émilie était partie de sa vie sans prévenir. Il s’efforça de garder son calme, de ne pas laisser transparaître la tempête qui faisait rage en lui.

— Ça doit être dur, en effet, dit-il d’une voix plus calme qu’il ne l’aurait cru. Peut-être qu’un jour, elle te racontera tout.

Clara hocha la tête, pensive.

— Oui, je l’espère. J’ai l’impression qu’elle a besoin d’en parler. Et si je peux l’aider à trouver un peu de paix, alors je ferai tout pour.

Elle lui adressa un sourire, touchée par la douceur dans la voix de Petter. Ce qu’elle ne remarquait pas, c’était la lutte intérieure de celui qu’elle aimait, sa douleur contenue derrière des réponses mesurées.

Alors qu’elle continuait de parler d’Émilie, Petter se sentit à la fois submergé par les souvenirs et piégé par l’impossibilité de tout révéler à Clara. Il se souvenait de sa relation avec Émilie comme si c’était hier, de leurs promenades sous les étoiles, de leurs confidences partagées, et de cette promesse silencieuse qu’ils avaient scellée entre eux. Il n’avait jamais vraiment tourné la page, et maintenant, il se trouvait face à une situation qui ramenait à la surface tous ces souvenirs.

Il se racla la gorge, tentant de masquer son émotion, et posa une question qui lui brûlait les lèvres, en essayant de paraître détaché.

— Est-ce qu’elle t’a parlé de… qui elle a dû quitter ? Peut-être que ça l’aiderait de se confier.

Clara secoua la tête.

— Pas vraiment, non. Elle est encore très réservée à ce sujet. Elle a seulement laissé entendre qu’elle avait dû partir sans explications, et que cela avait laissé des cicatrices.

Petter déglutit, son cœur se serrant à l’idée qu’Émilie puisse penser à lui de la même façon. Chaque détail que Clara mentionnait faisait écho à des souvenirs enfouis, des instants qu’il pensait avoir oubliés.

Clara, de son côté, ressentait de plus en plus de compassion pour Émilie. Elle admirait sa force, sa capacité à cacher ses douleurs tout en restant professionnelle et amicale. Elle se demandait quel genre d’histoire pouvait bien la tourmenter ainsi, au point que même après des années, elle ne soit toujours pas en paix avec son passé.

— Je suppose qu’on a tous des blessures secrètes, non ? murmura-t-elle en prenant la main de Petter. Parfois, j’aimerais pouvoir l’aider, mais je sais qu’elle doit faire ce chemin seule.

Elle se tourna vers lui, cherchant dans son regard un soutien silencieux. Petter, malgré le tumulte qui l’habitait, lui adressa un sourire doux, serrant sa main dans la sienne.

— Oui, on porte tous des cicatrices. Mais tu fais déjà beaucoup en étant là pour elle.

Les mots de Petter étaient sincères, mais à l’intérieur, il se sentait comme un imposteur. Il comprenait trop bien la douleur d’Émilie, celle de devoir partir sans un mot, de laisser des liens derrière soi. Cette même douleur résonnait en lui, mais il n’avait personne à qui en parler. Il devait vivre avec ce fardeau seul, même si chaque mot de Clara lui rappelait que cette histoire continuait de peser lourd sur lui.

Plus tard dans la soirée, après que Clara se soit endormie, Petter resta allongé, le regard perdu dans le plafond. Il était à la fois rongé par les souvenirs d’Émilie et déchiré par la douleur de mentir à Clara. Il savait qu’il devait faire un choix, mais il se sentait piégé entre un passé qu’il ne pouvait oublier et un présent qu’il voulait préserver.

Clara, de son côté, dormait paisiblement, inconsciente des tourments de Petter. Elle se sentait apaisée par la perspective de pouvoir aider Émilie, de lui offrir l’amitié dont elle semblait avoir besoin. Mais une part d’elle s’interrogeait encore sur ce mystère, cette histoire qui liait Émilie à un passé dont elle n’avait jamais parlé.

Au fil des jours, Clara continua de parler de sa collègue Émilie à Petter, partageant avec lui les confidences qu’elle recevait, sans jamais soupçonner la vérité. Petter écoutait, chaque mot résonnant en lui, lui rappelant combien leur passé commun était intense et douloureux.

Chaque soir, en écoutant Clara, il se rapprochait un peu plus du point de rupture, sachant qu’il ne pourrait plus longtemps dissimuler la vérité. Mais comment le lui avouer, sans briser l’équilibre fragile de leur relation ?

Dans les jours qui suivirent, Petter se retrouva de plus en plus tiraillé entre ses sentiments pour Clara et le souvenir d’Émilie, qui semblait le hanter comme jamais. Il savait que la vérité ne pouvait rester cachée éternellement, mais il redoutait le jour où elle serait révél