CHAPITRE IV
DANS LES FOSSES
Cependant Swartboy, voyant le temps s’écouler et les ombres de la nuit descendre du côté de la rivière, commença à perdre espoir. Il ne pouvait se rendre compte des raisons qui empêchaient le jeune chasseur de venir à son secours.
Groot Willem, Hendrick et Hans devaient être de retour : comment ne s’étaient-ils pas mis en quête de leurs serviteurs absents ?
Après être resté silencieux, il fut saisi tout à coup du besoin d’exprimer son peu de satisfaction de la manière dont le sort avait conduit les événements.
« Congo ! cria-t-il, où êtes-vous ? pourquoi ne rentrez-vous pas au camp ? »
Le Cafre reconnut immédiatement cette voix. Comme lui, le bushman était dans une tombe vivante. Ceci expliquait sa négligence à apporter l’aide désirée.
« Pourquoi ? pourquoi ? s’écria Congo, souriant pour la première fois depuis son emprisonnement, je ne veux pas aller au camp et vous laisser derrière moi, je vous attends.
— Vous avez trop bonne opinion de votre amabilité, répliqua le bushman : qui désirerait la compagnie d’un vieux fou de moricaud comme vous ? Vous pouvez retourner au camp, et quand vous serez là, dire à baas Hendrick que Swartboy désire le voir. J’ai quelque chose de particulier à lui dire.
— Très-bien, fit le Cafre, de plus en plus réconcilié avec son emprisonnement. Mais ne puis-je dire à baas Hendrick ce que vous désirez sans lui donner la peine de venir ici ? Que voulez-vous que je lui demande ? »
En réponse à cette question, Swartboy fit un long speech dans lequel le Cafre était requis d’avouer sa maladresse et sa stupidité d’être tombé dans une trappe.
Celui-ci répliqua en demandant comment l’un aurait été plus maladroit que l’autre. Mais rien ne pouvait ôter de l’esprit du bushman que la maladresse de Congo avait causé la sienne.
Cette pensée, bien que consolante pour son orgueil, ne pouvait empêcher qu’il ne fût emprisonné dans un trou noir et sale, en compagnie de peu aimables reptiles.
Peu à peu son imagination s’exalta : qu’adviendrait-il si, par accident, Arend ne retournait point au camp, et si Groot Willem et les autres n’y rentraient pas non plus avant deux ou trois jours ?
Et si une tribu des sauvages habitants de cette contrée venait à les découvrir ? Ou si un éléphant étourdi lui tombait sur le dos...
Ces conjectures et un millier d’autres remplissaient la cervelle du bushman et le menaient à cette conclusion, que lui et son compagnon avaient pour perspective, après s’être nourris des reptiles qui remplissaient la trappe, de mourir de faim.
Ces désagréables rêveries furent interrompues par un aboiement furieux ; levant les yeux jusqu’à l’ouverture par laquelle il était tombé, Swartboy aperçut une sauvage créature, le « wilde houden » des chasseurs hollandais.
A ce premier aboiement en succédèrent plusieurs autres.
Les animaux, par une crainte instinctive de l’homme, se retirèrent à une petite distance, mais ils avaient faim, et eurent le sens de reconnaître que l’ennemi qu’ils avaient aperçu devait se trouver pour quelque raison dans l’impossibilité de leur nuire.
En se rapprochant peu à peu des fosses, ils jugèrent qu’au fond de chacune il y avait de la nourriture pour eux.
La voix et les regards humains avaient perdu leur pouvoir, et les chiens sauvages commencèrent à gratter sur les fosses, envoyant dedans une pluie de poussière, de sable, de gazon qui faillirent suffoquer les deux hommes qui y étaient enfermés.
Les perches qui soutenaient l’écran de terre furent déracinées avec rage, et tout l’échafaudage menaça de s’écrouler. « C’est une avalanche de chiens, pensa Swartboy, j’espère que Congo en a sa part. »
Cet espoir fut bientôt réalisé, car un instant après, il entendit les aboiements d’un de ces animaux évidemment tombé dans le trou voisin.
Le chien était en effet dans la trappe, mais non sans s’être blessé, heureusement pour Congo, de façon à ne pouvoir être dangereux. Il était tombé sur le bâton à bout aigu, planté dans le centre du trou !
Le Cafre ne pouvait tenir son visage éloigné de plus de douze pouces de la gueule du chien, qui se débattait et tournait sur sa pique comme sur un pivot, et Congo dut se serrer contre un côté de la fosse, afin de se tenir hors de l’atteinte de l’animal enragé.
Swartboy pouvait distinguer les cris du chien empalé de ceux de ses compagnons qui étaient au-dessus, et l’interprétation qu’il y trouva fut qu’un terrible combat se livrait entre lui et le Cafre.
La jalousie et la rancune, si souvent témoignées par le bushman, n’étaient pas aussi invétérées qu’il le pensait.
Son intense anxiété pour savoir l’issue du combat lui fit comprendre que son amitié pour le Cafre triomphait de son animosité.
Tout à coup, il lui sembla que le troupeau sauvage s’éloignait. Le seul animal qui parût rester était celui qui aboyait toujours dans la fosse de Congo.
A quelle cause fallait-il attribuer le départ des chiens ? Le secours venait-il enfin ?
Le bushman écouta en retenant son haleine.