Introduction
IntroductionIl paraît singulier que le livre si célèbre en Allemagne intitulé Aus den Memoiren einer Saengerin n’ait jamais été traduit en français. C’est un ouvrage extrêmement intéressant, non seulement au point de vue de la bibliographie de l’héroïne, mais aussi au point de vue des anecdotes curieuses qu’il contient sur les mœurs des différents pays qu’elle habita. Il contient en outre des observations psychologiques du premier ordre.
L’ouvrage parut en deux tomes, et l’on a déjà beaucoup discuté sur la date de ces publications. C’est ainsi que H. Nay donne, dans sa Bibliotheca Germanorum e*****a, les renseignements bibliographiques suivants :
Aus den Memoiren einer Saengerin, Verlagsbureau, Altona, tome I, 1862 ; tome II, 1870.
Pisanus Fraxi, dans son Index librorum prohibitorum, donne les dates suivantes : Berlin, tome I, 1868 ; tome II, 1875.
Plus loin, le même auteur se range à l’avis de H. Nay en ce qui concerne le lieu d’impression, Altona. Le docteur Düehren donne d’autre part les renseignements suivants :
2 tomes petit in-octavo [ Altona ] Boston Reginald Chesterfield, tome I, 1862 ; tome II, 1870.
L’ouvrage a été souvent imprimé en Allemagne, où la plus récente impression porte :
Aus den Memoiren einer Saengerin. Boston Reginald Chesterfield, pour le premier tome, et II Chicago, Gedrückt auf Kosten Guter Freunde pour le second tome. Le premier volume comporte IV-235 pages imprimés, plus le verso blanc de la dernière page, deux feuillets non imprimés de la couverture. Le second tome comporte 164 pages, plus la couverture. La couverture comporte sur le premier plat extérieur un encadrement typographique contenant : Memoiren einer Saengerin I. Chicago, Gedrückt auf Kosten Guter Freunde, pour le premier tome, tandis que sur le second on voit : II Chicago ; le second plat extérieur comporte un encadrement avec un fleuron au centre.
H. Nay n’avait point pensé à chercher l’auteur de cet ouvrage singulier. Le premier qui ait pensé à attribuer ces Mémoires à la célèbre cantatrice Schrœder-Devrient est Pisanus Fraxi. C’est sur la foi de ce qu’il en dit dans son « Index » que Düehren, d’une part, et Eulenbourg, dans Sadismus und masochismus, ont rendu la célèbre Wilhelmine Schrœder-Devrient responsable de cette autobiographie, la seule autobiographie féminine que l’on puisse comparer aux Confessions de J.-J. Rousseau ou aux célèbres Mémoires de Casanova.
D’ailleurs Pisanus Fraxi n’étaye son opinion d’aucune preuve : « On affirme, dit-il, que ces Mémoires sont une autobiographie de la célèbre et notoire Mme Schrœder-Devrient », et il dit plus loin que les papiers auraient été trouvés après sa mort par son neveu, qui les aurait édités.
Je dois dire que l’examen attentif du style des lettres de Wilhelmine Schrœder-Devrient ne rappelle pas complètement celui des Mémoires qui lui sont attribués, mais que, malgré des différences biographiques qui ont pu fort bien être introduites par des éditeurs, certains détails cadrent assez bien avec l’existence romanesque de la célèbre cantatrice, et qu’il ne serait pas impossible, après tout, qu’il s’agisse de Mémoires rédigés d’après certains fragments, certaines indications, certaines lettres trouvés dans les papiers de Mme Schrœder-Devrient.
Wilhelmine Schrœder-Devrient, qui était née à Hambourg le 6 décembre 1804, mourut à Cobourg le 26 janvier 1860, c’est-à-dire deux ans avant la publication des Mémoires. Nous n’avons pas à nous étendre longuement ici sur la vie, ni sur la carrière artistique de Schrœder-Devrient. L’attribution qui lui est faite des Mémoires repose sur des bases trop fragiles pour qu’on puisse la considérer définitivement comme en étant l’auteur. Il faut ajouter cependant que ce que l’on connaît de son caractère n’est point incompatible avec celui que révèlent les écrits en litige. La malheureuse affaire de son second mariage même semblerait pouvoir être prise comme une preuve de l’authenticité de ces Mémoires. Son second mari s’appelait Von Doering et l’avait rendue fort malheureuse ; elle ne l’appelait jamais que le « diable » et s’efforçait de l’oublier complètement. Quand elle mourut, elle avait épousé un gentilhomme hollandais, qui s’appelait von Bock, et l’on grava sur le granit de sa tombe :
WILHELMINE VON BOCK SCHRŒDER-DEVRIENT
Toutefois il semble invraisemblable qu’une femme qui avait connu Beethoven et sur l’album de laquelle Gœthe avait écrit des vers n’en parle même pas dans ses Mémoires.
Quoi qu’il en soit, on se trouve peut-être en présence d’une rapsodie écrite par un faux mémorialiste, qui aurait réuni à quelques détails, à quelques cancans concernant l’existence de Schrœder-Devrient des histoires de son invention. Peut-être se trouve-t-on aussi en présence de Mémoires authentiquement écrits par une femme, une cantatrice, qui ne serait pas Wilhelmine Schrœder-Devrient. Cette dernière hypothèse paraît d’ailleurs la plus probable, car on ne peut guère douter que ce soit là l’ouvrage d’une femme. Il y a dans les Mémoires trop de renseignements qui paraissent sincères et caractéristiques de la psychologie féminine.
Pour finir, voici une liste des ouvrages dans lesquels a chanté Mme Schrœder-Devrient. Ceux qui en auront le temps et le goût pourront, après avoir lu les Mémoires, lui comparer la liste des rôles créés par l’héroïne de l’autobiographie. Les deux listes seraient entièrement différentes.
Ouvrages de Glück : Alceste (rôle d’Alceste), Iphigénie en Aulide (rôle de Clytemnestre), Iphigénie en Tauride (rôle d’Iphigénie), Armide (rôle d’Armide), Orphée (rôle d’Eurydice).
Ouvrages de Mozart : La Flûte enchantée (rôle de Pamino), Don Juan (rôle de Donna Anna), Mariage de Figaro, (rôle de la Comtesse), L’e********t au Sérail (rôle de Constance).
Ouvrage de Beethoven : Fidelio (rôle de Léonore).
Ouvrages de Chérubini : Fanisca (rôle de Fanisca), Le Porteur d’eau, Ali-Baba ; Lodoïska (rôle de Lodoïska).
Ouvrages de Weber : Le Freyschütz (rôle d’Agathe), Preciosa (rôle de Preciosa), Euryanthe (rôle d’Euryanthe), Obéron (rôle de Rezzia).
Ouvrages de Spohr : Zémire et Azor (rôle de Zémire), Jessonda (rôle de Jessonda).
Ouvrages de Spontini : La Vestale (rôle de Julie), Fernand Cortez (rôle d’Amazelli), Olympia (rôle d’Olympia).
Ouvrages de Rossini : Le Barbier de Séville (rôle de Rosine), Othello (rôle de Desdémone), Sémiramis (rôle de Sémiramis).
Ouvrages de Bellini : La Straniera (rôle d’Alaïde), Norma (rôle de Norma), Montaigu et Capulet (rôle de Roméo), La Somnambule (rôle d’Aline), Les Puritains (rôle d’Elvire), Le Pirate.
Ouvrages de Donizetti : Anna Boleyn (rôle d’Anna), Lucrèce Borgia (rôle de Lucrèce).
Ouvrage de Boieldieu : La Dame Blanche (rôle d’Anna).
Ouvrages d’Auber : La Muette de Portici (rôle d’Elvire), La Neige (rôle de la princesse Lydia), Le Bal masqué, Le Cheval de bronze.
Ouvrages de Meyerbeer : Robert le Diable (rôle d’Alice), Les Huguenots (rôle de Valentine), Les Croisés en Égypte.
Ouvrages de Marchner : Le Templier et la Juive (rôle de Rebecca), La Fiancée du Fauconnier (rôle de Johanna).
Ouvrages de Kreutzer : Libussa (rôle du Libussa), Cordelia (rôle de Cordelia).
Ouvrage de Weigl : La Famille suisse (rôle d’Hémeline).
Ouvrage de Lebrun : Les Viennois à Berlin (rôle de Mlle Von Schlingen).
Ouvrages d’Hérold : La Clochette enchantée, Marie (rôle de Marie) ; Zampa (rôle de Camille).
Ouvrages de Reisiger : Adèle de Foix (rôle d’Adèle) ; Turandot (rôle de Turandot) ; Libella (rôle de Libella).
Ouvrages de R. Wagner : Rienzi (rôle d’Adrieno) ; Le Vaisseau Fantôme (rôle de Senta) ; Tannhauser (rôle de Vénus).
Ouvrage de Schelerd : Macbeth (rôle de Lady Macbeth).
Ouvrage de Halévy : Rido et Ginevra (rôle de Ginevra).
Ouvrages de Wolfram : Le Moine (rôle de Francisca ; Le Château de Candra (rôle de Maria) ; La Rose enchantée.
Ouvrage de Lwoff : Bianca et Gattiera (rôle de Bianca).
Ouvrage de Grétry : Barbe-Bleue (rôle de Marie).
Ouvrage de Glaeser : L’Aire de l’aigle (rôle de Rose).
Ouvrage de Rastrelli : Les Jeunes Mariés (rôle d’Alexis, apprenti cordonnier).
Ouvrage d’Isouard : Joconde (rôle de Joconde).
Ouvrage de Paër : Sargino (rôle d’Isella).
Ouvrage de Mitiz : Saül (rôle de Michael).
Ouvrage de Riez : La Fiancée du Brigand.
Les renseignements fournis par l’héroïne des Mémoires sur les rôles qu’elle a chantés ne sont pas conformes à cette liste. Néanmoins, la critique allemande s’est déjà tellement exercée sur la question qui nous occupe ici que, parlant des Mémoires de la chanteuse allemande, il n’était pas possible de passer sous silence le nom de Wilhelmine Schrœder-Devrient.
Le traducteur de cet ouvrage a eu la chance de trouver un manuscrit allemand préparé pour l’édition et qui contenait certains changements qui ont été suivis dans la traduction française, car ils rendent beaucoup plus agréable la lecture de cette curieuse autobiographie.
G.A.