Marques profondes

2380 Words
Julian ne répond pas.  En fait, il est figé depuis que nous avons mis les pieds dans le bureau de Viktor.  Il fixe le costume d’évêque posé sur un cintre, accroché à une patère dans un coin de la pièce.  Je le sens apeuré et en colère.  Je lui touche le bras.  Il se calme aussitôt et lâche la soutane des yeux.  Viktor me lance un regard interrogateur.  Je hausse les épaules, ne sachant quoi répondre.   -          Je vais bien, assure Julian en plissant des yeux comme s’il avait mal à la tête.  Je dois annoncer à ma Mère que je ne retourne pas à Pittsburgh.  Ça doit me stresser plus que je ne le pensais.   -          Vous désirez enfin vous établir à Montréal pour vous rapprocher de Rébecca.  Sage décision, observe l’Ancien.   -          Je souhaite aussi m’éloigner de la Congrégation qui m’a trahi, souligne ma moitié, le ton dur.  Je ne veux pas retourner là où tout a commencé.   Viktor lui donne raison, une fois de plus.  Il nous accorde la permission de sortir à condition que Julian se nourrisse par lui-même avant de partir et que nous l’attendions.  C’est ma première nuit au Munitum depuis l’anniversaire de mes 100 ans, ce fameux soir où je me suis effondrée à deux reprises dans la grande salle, créant l’émoi parmi les citoyens.   -          Qu’est-ce que j’ai manqué ? me demande Julian après avoir donné le b****r à Mimi, une autre Initiée de notre cantine.   J’ai trouvé tellement excitant de l’entendre gémir sous le b****r de l’homme que j’aime que je mets quelques secondes à comprendre qu’il me parlait.   -          Content que ça te plaise autant, rigole Julian.   -          J’aime quand même mieux quand c’est moi qui reçois, minaudé-je en l’attirant à moi à l’aide de sa cravate.    Je l’embrasse avec passion.  Je le désire tellement.  Je sens que c’est réciproque à la ferveur de son b****r.  Ses mains cherchent une façon de se glisser sous ma robe puis il me repousse doucement.  Il me sourit, charmeur.   -          Nous ne sommes pas seuls, Sweet-cubus.   -          Tu l’as mise K.O. avec ton merveilleux b****r.  Elle en tremble encore.  C’est à mon tour d’en profiter.  J’ai envie de toi.   -          Moi aussi, je te le jure.  But not here.    J’ai une drôle d’impression.  Il me vole un b****r car je le boude, la satisfaction de mon désir ayant été brutalement interrompue.  Je mets le trouble que je ressens en lui sur sa prochaine rencontre avec sa Mère.  Je sais peu de choses sur elle et ne l’ai croisée que très brièvement dans une très mauvaise situation.  Mais je comprends très bien qu’elle puisse le rendre nerveux.    -          Tu me racontes ce que j’ai manqué pendant que je n’étais pas vraiment moi, me demande à nouveau Julian, fixant les livres de la bibliothèque devant lui.    Nous sommes dans un des salons communs du Presbytère.  Je l’invite à me rejoindre sur le divan près de moi.  Nous nous installons face à face.   -          De quoi te souviens-tu en dernier ?   -          J’attendais Virginia dans un café près de chez-moi.  Je venais d’acquérir ton cadeau d’anniversaire du joaillier Sakyu qui l’a dessiné expressément pour toi.  Tu es venu me visiter pour me dire de me réfugier dans un coin de mon esprit.  Tu m’as embrassé puis plus rien.    Il secoue la tête comme s’il réfléchissait.    -          Pas vraiment rien.  Je n’avais rien à faire dans la pièce où je me suis enfermé.  J’ai fait ça tellement vite que je n’ai rien imaginé, rien apporté avec moi.  Après un moment, je me suis mis à compter le temps.  J’ai calculé sept millions sept cent soixante-seize mille cinq cent quarante-trois secondes avant que tu franchisses la porte.  C’est 90 jours et des poussières Rébecca.  Qu’est-ce qui s’est passé pendant ces trois mois Sweety ?   -          Pour moi, à peine quelques heures de plus que toi, avoué-je.   Il me fixe, l’air surpris.  Je lui explique mon inquiétude en découvrant qu’il n’avait plus de cellulaire puis ma panique lorsqu’il a perdu le contrôle sur sa bête quand j’ai voulu lui parler par télépathie.  Il me console lorsque j’éclate en larmes en me remémorant le visage de Virginia combiné à son élan amoureux.    -          Je sais maintenant ce que tu éprouves quand tu es jaloux, sangloté-je dans ses bras.  J’aurais voulu la détruire, lui arracher les ongles un par un pour la torturer.  Elle n’avait pas le droit d’être aussi près de toi.  Je savais que quelque chose clochait.  Nous avons rapidement compris qu’il y avait du Molaĩ dans tes agissements.  Virginia ne pouvait être qu’un pion.  Elle était trop jeune et pas de la bonne descendance pour arriver à te faire oublier qui tu es vraiment.  Nous sommes des Âmes Jumelles.  Nous sommes plus puissants que de simples Nouveaux-Nés.  Ce qui signifiait que notre ennemi devait être plus puissant encore.  Ça m’a fait peur.  J’ai ensuite promis à Lydia, Kat et Dorken d’agir normalement toute la soirée pour ne pas inquiéter le nouveau toi.  Il fallait également empêcher l’ennemi de se servir du lien pour appréhender nos actions.    -          Alors pendant que je me faisais manipuler par des Molaĩ, tu fêtais nos 100 ans sans moi, me taquine Julian.      -          Rectification : pendant que tu me trompais avec Virginia, je valsais avec Lucas et mes Anciens, lui rétorqué-je dans un clin d’œil.  Cassie nous avait organisé une réplique du bal de clôture…   -          Pour que je puisse officiellement t’inviter à danser après ton Évêque, demandant au passage la permission de m’établir à Montréal avec toi.  C’était le plan d’origine.  Nous avions tout orchestré.  Je devais au préalable avoir discuté avec ta tante Lena pour obtenir son accord.  Je tenais à faire ça dans les règles.  C’est d’ailleurs pour ça qu’elle était ton invitée surprise.   Il est si parfait cet Immortel.  Je retiens mon envie de lui sauter au cou pour l’embrasser.  Mais j’ai la vague impression que j’en voudrais plus et qu’il me repousserait.  Je ne fais que poser la main sur sa joue, les yeux débordant d’amour.     -          Tu peux encore discuter avec elle.  Lydia m’a dit qu’elle est toujours ici.  Elle veut d’ailleurs me voir.  Je préfère t’avertir qu’elle n’est pas en très bons termes avec ta Mère.  La chasse de nos ennemis ne se serait pas très bien déroulée entre elle.  Notre chère Professeure Jacobs s’est trouvé un nouveau hobby et m’a raconté pleins de potins avant de m’amener à toi.  Ce fut très divertissant.  Mais je m’égare un peu.  Tu veux demander quoi à Lena ?  Tu avais vraiment planifié une mise en scène avec ma Sirène pour faire ta demande pour t’établir à Montréal ?    -          Pas juste pour demander la permission de vivre ici, je voulais te demander publiquement de vivre avec moi, Sweet-cubus.  Et pour Lena, je sais qu’elle compte beaucoup pour toi, qu’elle est de ta famille.  Je voulais qu’elle m’accepte même si je suis un Purifié, connaissant sa haine envers nous.  Je jugeais important d’avoir son accord pour m’établir avec toi.  Maintenant, c’est sans importance… I only wanna be with you, Sweet-cubus.   Julian m’embrasse avec passion puis il met abruptement fin au b****r, insistant pour que je poursuive la narration de la nuit de nos 100 ans.    -          Tout se passait relativement bien.  Ethan et Lucas se sont amusés à raconter mes erreurs de jeunesse aux Anciens qui me les ont ramenés en plein visage pendant que je dansais avec eux.  Je réglais mes comptes avec Lucas quand j’ai senti que tu buvais du sang.  Du sang de vampire.  J’ai vu rouge.  Je suis entré dans ta tête et Charles Townsend m’y attendait.  Tous les citoyens m’ont entendu lui crier que tu étais à moi.  J’ai ensuite ressenti une vive douleur à la poitrine.  Tout s’est éteint puis rallumé d’un coup.  J’étais allongé sur le sol.  J’ai dit une vacherie à Lucas et tout le monde en a déduit que j’allais bien.    -          You’re so cruel, Sweety.  Lucas est un chic type, surtout avec toi.  Il te considère comme sa sœur.   -          Je sais.  Mais c’est plus fort que moi.  Je… Ah !  Laisse tomber, m'énervé-je.  Mais je n’allais pas bien.  Tu n’étais plus là.  Tout ce que je sentais, c’était ce point dans ma poitrine.  Viktor a supposé qu’il t’avait pieuté.  Le seul test que nous n’avions pas fait.   -          Maintenant, nous savons quoi faire pour avoir des vacances de l’autre, rigole-t-il.   -          Stupide Skugga, le grondé-je sérieusement en le frappant à l’épaule.  Je n’ai vraiment pas apprécié l’expérience.  J’étais seule.  C’était comme si tu m’avais abandonnée.  Déjà que j’avais l’impression que tu ne m’aimais plus, là, tu leur appartenais entièrement.  Et je n’avais aucun moyen de savoir où tu étais.  C’était comme si tu n’existais plus.  Seul ce fichu point me rappelait que tu étais encore quelque part.  Mais je me devais de rester forte devant les citoyens de Montréal.  Je devais surtout expliquer à Lena pourquoi je tombais dans les pommes quand on te pieutait et que tout le monde semblait trouver ça presque normal.   -          Donc, elle sait maintenant tout à notre sujet.    -          Je ne sais pas.  Je n’ai pas vraiment eu le temps de parler avec elle.  Ta Mère est arrivée au Munitum avec l’ASARA.    -          Tu as rencontré ma Mère, s’étonne Julian.   -          On peut dire ça.   Je baisse les yeux en me remémorant la rencontre avec la Consul de Pittsburgh.  Le souvenir est vivace dans mon esprit et je me sens encore piquée par le ton qu’elle a employé lorsqu’elle m’a appelée « cette Prêtresse ».  Je la revois ployée sous l’effet de ma majestuosité aiguisant ma fierté rapidement fouettée par le regard courroucé de Monseigneur.  Je l’entends ensuite me défendre, disant qu’elle avait peut-être été un peu raide avec la Coniux de son Fils.   -          Elle a vraiment utilisé Coniux, souffle Julian. Devant mon air ahuri, il poursuit : ça signifie conjointe.  Venant d’elle, je suis agréablement surpris. Continue. En paroles ou en pensées, je te suis.   -          Le Roi nous a convié pour une réunion dans son bureau.  Je ne m’y suis jamais rendue.  Un peu avant le couloir, le point au cœur a disparu et j’ai senti une décharge me traverser le dos.  On te fouettait.  J’ai compté 20 coups. Quand j’ai repris contact avec toi, il était toujours là.    Je tremble au souvenir de la colère qui m’habitait cette nuit-là.  Julian me serre contre lui.  Je suis rassurée de le savoir avec moi, de le sentir contre moi, d’être avec lui.   -          Il m’a dit qu’il allait tout nous enlever, à l’ASARA et à moi.  Tu n’étais qu’un jouet pour lui.  J’étais folle de rage.  J’ai menacé de le détruire.  Il paraît que j’ai défoncé le mur devant moi et terrorisé les citoyens présents.  J’ai senti à nouveau la douleur à la poitrine.  Quand je me suis réveillée, j’étais sur un divan dans le bureau du Roi.  On m’a dit que ça faisait trois mois que j’étais inconsciente.   -          Trois mois, répète Julian.   -          Trois mois, confirme Viktor en entrant dans le salon, vêtu de ses habits d’Évêque.  À se demander si elle allait ouvrir les yeux ou devenir cendre.  Vous comprenez maintenant pourquoi je tiens à vous accompagner au Munitum.  Vos citoyens ont craint pour vous Prêtresse Duhamel.  Ils seront plus qu’heureux de vous retrouver.  Tout comme ils seront soulagés de savoir que vous vous portez bien Prêtre Peters.  Tous ont mis l’épaule à la roue pour aider à votre sauvetage.    -          Je tâcherai de remercier chacun d’eux, murmure Julian, mal à l’aise.   Je ressens en lui le même trouble qu’un peu plus tôt dans le bureau de Viktor.  Comme je suis toujours collée contre lui, je le serre un peu plus.  Il se détend.  Mon Évêque exige que j’aille revêtir mes habits de Première Prêtresse.  J’obéis sans rechigner.  Lorsque je reviens au salon, j’ai l’impression d’interrompre une conversation.  Julian évite mon regard et semble troublé.  Son esprit m’est inaccessible, comme lui seul sait le faire.  Mon Ancien affiche l’attitude de son âge.  Ce qui me confirme qu’ils me cachent tous les deux quelques choses.  Je fais celle qui n’a rien remarqué, pilant sur ma curiosité.  Après tout, Julian a droit de confier ses tourments à un Purifié en toute discrétion.   
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