Chapter 6

564 Words
CHAPITRE VIContinuation de l’histoire que fit le docteur Noir– Tout à coup la bouche de mademoiselle de Coulanges s’entrouvrit, et il sortit, de sa poitrine adorable, un cri perçant et flûté qui réveilla Louis XV le bien-aimé. – Ô ma déité ! qu’avez-vous ? s’écria-t-il en étendant vers elle ses deux mains et ses deux manchettes de dentelles. Les deux jolis pieds de la plus parfaite des maîtresses tombèrent du sofa, et coururent au bout de la chambre avec une vitesse bien surprenante, lorsque l’on considère par quels talons ils étaient empêchés. Le monarque se leva avec dignité, et mit la main sur la garde damasquinée de son épée ; il la tira à demi, dans le premier mouvement, et chercha l’ennemi autour de lui. La jolie tête de mademoiselle de Coulanges se trouva renversée sur le jabot du prince, ses cheveux blonds s’y répandirent avec un nuage léger de poudre odoriférante. – J’ai cru voir, dit sa douce voix… – Ah ! je sais, je sais, ma belle… dit le roi les larmes aux yeux, tout en souriant avec tendresse, et jouant avec les boucles de la tête languissante et parfumée ; je sais ce que vous voulez dire. Vous êtes une petite folle. – Non vraiment, dit-elle ; votre médecin sait bien qu’il y en a qui enragent. – On le fera venir, dit le roi ; mais quand cela serait, voyons… l’enfant, ajouta-t-il en lui tapant sur la joue comme à une petite fille ; quand cela serait, leur croyez-vous la bouche assez grande pour vous mordre ? – Oui, oui, je le crois, et j’en souffre à la mort, dirent les lèvres roses de mademoiselle de Coulanges ; et ses deux beaux yeux se mirent en devoir de se lever au ciel et de laisser échapper deux larmes. Il en tomba une de chaque côté : celle de droite coula rapidement du coin de l’œil d’où elle avait jailli, comme Vénus sortant de la mer d’azur ; cette jolie larme descendit jusqu’au menton, et s’y arrêta d’elle-même, comme pour se faire voir au coin d’une petite fossette, où elle demeura comme une perle enchâssée dans un coquillage rose. La séduisante larme de gauche eut une marche tout opposée ; elle se montra fort timidement, toute petite et un peu allongée ; puis elle grossit à vue d’œil, et resta prise dans les cils blonds les plus doux, les plus longs et les plus soyeux qui se soient jamais vus. Le roi bien-aimé les dévora toutes les deux. Cependant le sein de mademoiselle de Coulanges se gonflait de soupirs, et paraissait devoir se briser sous les efforts de sa voix, qui dit encore ceci : – J’en ai pris une… j’en ai pris une avant-hier, et certainement elle était enragée : il fait si chaud cette année ! – Calmez-vous ! calmez-vous ! ma reine, je chasserai tous mes gens et tous mes ministres, plutôt que de souffrir que vous trouviez encore un de ces monstres dans des appartements royaux. Les joues bienheureuses de mademoiselle de Coulanges pâlirent tout à coup, son beau front se contracta horriblement, ses doigts potelés prirent quelque chose de brun, gros comme la tête d’une épingle, et sa bouche vermeille, qui était bleue en ce moment, s’écria : – Voyez si ce n’est pas une puce ! – Ô félicité parfaite, s’écria le prince d’un ton tant soit peu moqueur, c’est un grain de tabac ! Fassent les dieux qu’il ne soit pas enragé ! Et les bras blancs de mademoiselle de Coulanges se jetèrent au cou du roi. Le roi, fatigué de cette scène violente, se recoucha sur le sofa. Elle s’étendit sur le sien comme une chatte familière, et dit : – Ah ! sire, je t’en prie, fais appeler le docteur, le premier médecin de votre majesté. Et l’on me fit appeler.
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