– Le blessé aura rejoint ses complices.
– Impossible ! s’écria Victor. J’étais là, alors que Mademoiselle et Albert l’apercevaient encore.
– Enfin, quoi, il faut pourtant bien qu’il soit quelque part ! Dehors ou dedans, nous n’avons pas le choix !
– Il est ici, dirent les domestiques avec obstination.
Le juge haussa les épaules et s’en retourna vers le château, assez morose. Décidément l’affaire s’annonçait mal. Un vol où rien n’était volé, un prisonnier invisible, il n’y avait pas de quoi se réjouir.
Il était tard. M. de Gesvres pria les magistrats à déjeuner ainsi que les deux journalistes. On mangea silencieusement, puis M. Filleul retourna dans le salon où il interrogea les domestiques. Mais le trot d’un cheval résonna du côté de la cour, et, un instant après, le gendarme que l’on avait envoyé à Dieppe, entra :
– Eh bien ! vous avez vu le chapelier ? s’écria le juge, impatient d’obtenir enfin un renseignement.
– La casquette a été vendue à un chauffeur.
– Un chauffeur !
– Oui, un chauffeur qui s’est arrêté avec sa voiture devant le magasin et qui a demandé si on pouvait lui fournir, pour l’un de ses clients, une casquette de chauffeur en cuir jaune. Il restait celle-là. Il a payé sans même s’occuper de la pointure, et il est parti. Il était très pressé.
– Quelle sorte de voiture ?
– Un coupé à quatre places.
– Et quel jour était-ce ?
– Quel jour ? Mais ce matin.
– Ce matin ? Qu’est-ce que vous me chantez là ?
– La casquette a été achetée ce matin.
– Mais c’est impossible, puisqu’elle a été trouvée cette nuit dans le parc. Pour cela il fallait qu’elle y fût, et par conséquent qu’elle eût été achetée auparavant.
– Ce matin. Le chapelier me l’a dit.
Il y eut un moment d’effarement. Le juge d’instruction, stupéfait, tâchait de comprendre. Soudain, il sursauta, frappé d’un coup de lumière.
– Qu’on amène le chauffeur qui nous a conduits ce matin !
Le brigadier de gendarmerie et son subordonné coururent en hâte vers les écuries. Au bout de quelques minutes, le brigadier revenait seul.
– Le chauffeur ?
– Il s’est fait servir à la cuisine, il a déjeuné, et puis…
– Et puis ?
– Il a filé.
– Avec sa voiture ?
– Non. Sous prétexte d’aller voir un de ses parents à Ouville, il a emprunté la bicyclette du palefrenier. Voici son chapeau et son paletot.
– Mais il n’est pas parti tête nue ?
– Il a tiré de sa poche une casquette et il l’a mise.
– Une casquette ?
– Oui, en cuir jaune, paraît-il.
– En cuir jaune ? Mais non, puisque la voilà.
– En effet, Monsieur le juge d’instruction, mais la sienne est pareille.
Le substitut eut un léger ricanement.
– Très drôle ! très amusant ! il y a deux casquettes… L’une, qui était la véritable, et qui constituait notre seule pièce à conviction, est partie sur la tête du pseudo-chauffeur ! L’autre, la fausse, vous l’avez entre les mains. Ah ! le brave homme nous a proprement roulés.
– Qu’on le rattrape ! Qu’on le ramène cria M. Filleul. Brigadier Quevillon, deux de vos hommes à cheval, et au galop !
– Il est loin, dit le substitut.
– Si loin qu’il soit, il faudra bien qu’on mette la main sur lui.
– Je l’espère, mais je crois, Monsieur le juge d’instruction, que nos efforts doivent surtout se concentrer ici. Veuillez lire ce papier que je viens de trouver dans les poches du manteau !
– Quel manteau ?
– Celui du chauffeur.
Et le substitut du procureur tendit à M. Filleul un papier plié en quatre où se lisaient ces quelques mots tracés au crayon, d’une écriture un peu vulgaire :
Malheur à la demoiselle si elle a tué le patron.
L’incident causa une certaine émotion.
– À bon entendeur, salut, nous sommes avertis, murmura le substitut.
– Monsieur le comte, reprit le juge d’instruction, je vous supplie de ne pas vous inquiéter. Vous non plus, Mesdemoiselles. Cette menace n’a aucune importance, puisque la justice est sur les lieux. Toutes les précautions seront prises. Je réponds de votre sécurité. Quant à vous, Messieurs, ajouta-t-il en se tournant vers les deux reporters, je compte sur votre discrétion. C’est grâce à ma complaisance que vous avez assisté à cette enquête, et ce serait mal me récompenser…
Il s’interrompit, comme si une idée le frappait, regarda les deux jeunes gens tour à tour, et s’approcha de l’un d’eux :
– À quel journal êtes-vous attaché ?
– Au Journal de Rouen.
– Vous avez une carte d’identité ?
– La voici.
Le document était en règle. Il n’y avait rien à dire. M. Filleul interpella l’autre reporter.
– Et vous, Monsieur ?
– Moi ?
– Oui, vous, je vous demande à quelle rédaction vous appartenez.
– Mon Dieu, Monsieur le juge d’instruction, j’écris dans plusieurs journaux…
– Votre carte d’identité ?
– Je n’en ai pas.
– Ah ! et comment se fait-il ?…
– Pour qu’un journal vous délivre une carte, il faut y écrire de façon suivie.
– Eh bien ?
– Eh bien ! je ne suis que collaborateur occasionnel. J’envoie de droite et de gauche des articles qui sont publiés… ou refusés, selon les circonstances.
– En ce cas, votre nom ? vos papiers ?
– Mon nom ne vous apprendrait rien. Quant à mes papiers, je n’en ai pas.
– Vous n’avez pas un papier quelconque faisant foi de votre profession !
– Je n’ai pas de profession.
– Mais enfin, Monsieur, s’écria le juge avec une certaine brusquerie, vous ne prétendez cependant pas garder l’incognito après vous être introduit ici par ruse, et avoir surpris les secrets de la justice.
– Je vous prierai de remarquer, Monsieur le juge d’instruction, que vous ne m’avez rien demandé quand je suis venu, et que, par conséquent, je n’avais rien à dire. En outre, il ne m’a pas semblé que l’enquête fût secrète, puisque tout le monde y assistait… même un des coupables.
Il parlait doucement, d’un ton de politesse infinie. C’était un tout jeune homme, très grand et très mince, vêtu d’un pantalon trop court et d’une jaquette trop étroite. Il avait une figure rose de jeune fille, un front large planté de cheveux en brosse et une barbe blonde mal taillée. Ses yeux brillaient d’intelligence. Il ne semblait nullement embarrassé et souriait d’un sourire sympathique où il n’y avait pas trace d’ironie.
M. Filleul l’observait avec une méfiance agressive. Les deux gendarmes s’avancèrent. Le jeune homme s’écria gaiement :
– Monsieur le juge d’instruction, il est clair que vous me soupçonnez d’être un des complices. Mais, s’il en était ainsi, ne me serais-je point esquivé au bon moment, selon l’exemple de mon camarade ?
– Vous pouviez espérer…
– Tout espoir eût été absurde. Réfléchissez, Monsieur le juge d’instruction, et vous conviendrez qu’en bonne logique…
M. Filleul le regarda droit dans les yeux, et sèchement :
– Assez de plaisanteries ! Votre nom ?
– Isidore Beautrelet.
– Votre profession ?
– Élève de rhétorique au lycée Janson-de-Sailly.
M. Filleul le regarda dans les yeux, et sèchement :
– Que me chantez-vous là ? Élève de rhétorique…
– Au lycée Janson, rue de la Pompe, numéro…
– Ah ça, mais, s’exclama M. Filleul, vous vous moquez de moi ! Il ne faudrait pas que ce petit jeu se prolongeât !
– Je vous avoue, Monsieur le juge d’instruction, que votre surprise m’étonne. Qu’est-ce qui s’oppose à ce que je sois élève au lycée Janson ? Ma barbe peut-être ? Rassurez-vous, ma barbe est fausse.
Isidore Beautrelet arracha les quelques boucles qui ornaient son menton, et son visage imberbe parut plus juvénile encore et plus rose, un vrai visage de lycéen. Et, tandis qu’un rire d’enfant découvrait ses dents blanches :
– Êtes-vous convaincu, maintenant ? Et vous faut-il encore des preuves ? Tenez, lisez, sur ces lettres de mon père, l’adresse : « M. Isidore Beautrelet, interne au lycée Janson-de-Sailly. »
Convaincu ou non, M. Filleul n’avait point l’air de trouver l’histoire à son goût. Il demanda d’un ton bourru :
– Que faites-vous ici ?
– Mais… je m’instruis.
– Il y a des lycées pour cela… le vôtre.
– Vous oubliez, Monsieur le juge d’instruction, qu’aujourd’hui, 23 avril, nous sommes en pleines vacances de Pâques.
– Eh bien ?
– Eh bien, j’ai toute liberté d’employer ces vacances à ma guise.
– Votre père ?…
– Mon père habite loin, au fond de la Savoie, et c’est lui-même qui m’a conseillé un petit voyage sur les côtes de la Manche.
– Avec une fausse barbe ?
– Oh ! ça non. L’idée est de moi. Au lycée, nous parlons beaucoup d’aventures mystérieuses, nous lisons des romans policiers où l’on se déguise. Nous imaginons des tas de choses compliquées et terribles. Alors j’ai voulu m’amuser et j’ai mis une fausse barbe. En outre, j’avais l’avantage qu’on me prenait au sérieux et je me faisais passer pour un reporter parisien. C’est ainsi qu’hier soir, après plus d’une semaine insignifiante, j’ai eu le plaisir de connaître mon confrère de Rouen, et que, ce matin, ayant appris l’affaire d’Ambrumésy, il m’a proposé fort aimablement de l’accompagner et de louer une voiture de compte à demi.
Isidore Beautrelet disait tout cela avec une simplicité franche, un peu naïve, et dont il n’était point possible de ne pas sentir le charme. M. Filleul lui-même, tout en se tenant sur une réserve défiante, se plaisait à l’écouter.
Il lui demanda d’un ton moins bourru :
– Et vous êtes content de votre expédition ?
– Ravi ! Je n’avais jamais assisté à une affaire de ce genre, et celle-ci ne manque pas d’intérêt.
– Ni de ces complications mystérieuses que vous prisez si fort.
– Et qui sont si passionnantes, Monsieur le juge d’instruction ! Je ne connais pas d’émotion plus grande que de voir tous les faits qui sortent de l’ombre, qui se groupent les uns contre les autres, et qui forment peu à peu la vérité probable.
– La vérité probable, comme vous y allez, jeune homme ! Est-ce à dire que vous avez, déjà prête, votre petite solution de l’énigme ?
– Oh ! non, repartit Beautrelet en riant… Seulement… il me semble qu’il y a certains points où il n’est pas impossible de se faire une opinion, et d’autres, même, tellement précis, qu’il suffit… de conclure.
– Eh ! mais, cela devient très curieux et je vais enfin savoir quelque chose. Car, je vous le confesse à ma grande honte, je ne sais rien.
– C’est que vous n’avez pas eu le temps de réfléchir, Monsieur le juge d’instruction. L’essentiel est de réfléchir. Il est si rare que les faits ne portent pas en eux-mêmes leur explication. N’est-ce pas votre avis ? En tout cas je n’en ai pas constaté d’autres que ceux qui sont consignés au procès-verbal.
– À merveille ! De sorte que si je vous demandais quels furent les objets volés dans ce salon ?
– Je vous répondrais que je les connais.
– Bravo ! Monsieur en sait plus long là-dessus que le propriétaire lui-même ! M. de Gesvres a son compte : M. Beautrelet n’a pas le sien. Il lui manque une bibliothèque et une statue grandeur nature que personne n’avait jamais remarquées. Et si je vous demandais le nom du meurtrier ?
– Je vous répondrais également que je le connais.
Il y eut un sursaut chez tous les assistants. Le substitut et le journaliste se rapprochèrent. M. de Gesvres et les deux jeunes filles écoutaient attentivement, impressionnés par l’assurance tranquille de Beautrelet.
– Vous connaissez le nom du meurtrier ?
– Oui.
– Et l’endroit où il se trouve, peut-être ?
– Oui.
M. Filleul se frotta les mains :
– Quelle chance ! Cette capture sera l’honneur de ma carrière. Et vous pouvez, dès maintenant, me faire ces révélations foudroyantes ?
– Dès maintenant, oui… Ou bien, si vous n’y voyez pas d’inconvénient, dans une heure ou deux, lorsque j’aurai assisté jusqu’au bout à l’enquête que vous poursuivez.
– Mais non, tout de suite, jeune homme…
À ce moment, Raymonde de Saint-Véran, qui, depuis le début de cette scène, n’avait pas quitté du regard Isidore Beautrelet, s’avança vers M. Filleul.
– Monsieur le juge d’instruction…
– Que désirez-vous, Mademoiselle ?
Deux ou trois secondes, elle hésita, les yeux fixés sur Beautrelet, puis, s’adressant à M. Filleul :
– Je vous prierai de demander à Monsieur la raison pour laquelle il se promenait hier dans le chemin creux qui aboutit à la petite porte.
Ce fut un coup de théâtre. Isidore Beautrelet parut interloqué.
– Moi, Mademoiselle ! moi ! vous m’avez vu hier ?
Raymonde resta pensive, les yeux toujours attachés à Beautrelet, comme si elle cherchait à bien établir en elle sa conviction, et elle prononça d’un ton posé :
– J’ai rencontré dans le chemin creux, à quatre heures de l’après-midi, alors que je traversais le bois, un jeune homme de la taille de monsieur, habillé comme lui, et qui portait la barbe taillée comme la sienne… et j’eus l’impression qu’il cherchait à se dissimuler.
– Et c’était moi ?
– Il me serait impossible de l’affirmer d’une façon absolue, car mon souvenir est un peu vague. Cependant… cependant il me semble bien… sinon la ressemblance serait étrange…
M. Filleul était perplexe. Déjà dupé par l’un des complices, allait-il se laisser jouer par ce soi-disant collégien ?
– Qu’avez-vous à répondre, Monsieur ?
– Que Mademoiselle se trompe et qu’il m’est facile de le démontrer. Hier, à cette heure, j’étais à Veules.
– Il faudra le prouver, il le faudra. En tout cas la situation n’est plus la même. Brigadier, l’un de vos hommes tiendra compagnie à monsieur.
Le visage d’Isidore Beautrelet marqua une vive contrariété.
– Ce sera long ?
– Le temps de réunir les informations nécessaires.
– Monsieur le juge d’instruction, je vous supplie de les réunir avec le plus de célérité et de discrétion possible…
– Pourquoi ?
– Mon père est vieux. Nous nous aimons beaucoup… et je ne voudrais pas qu’il eût de la peine par moi.
Le ton larmoyant de la voix déplut à M. Filleul. Cela sentait la scène de mélodrame. Néanmoins, il promit :
– Ce soir… demain au plus tard, je saurai à quoi m’en tenir.
L’après-midi s’avançait. Le juge retourna dans les ruines du vieux cloître, en ayant soin d’en interdire l’entrée à tous les curieux, et patiemment, avec méthode, divisant le terrain en parcelles successivement étudiées, il dirigea lui-même les investigations. Mais, à la fin du jour, il n’était guère plus avancé, et il déclara devant une armée de reporters qui avaient envahi le château :
– Messieurs, tout nous laisse supposer que le blessé est là, à portée de notre main, tout, sauf la réalité des faits. Donc, à notre humble avis, il a dû s’échapper, et c’est dehors que nous le trouverons.
Par précaution cependant, il organisa, d’accord avec le brigadier, la surveillance du parc, et, après, un nouvel examen des deux salons et une visite complète du château, après s’être entouré de tous les renseignements nécessaires, il reprit la route de Dieppe en compagnie du substitut.
La nuit vint. Le boudoir devant rester clos, on avait transporté le cadavre de Jean Daval dans une autre pièce. Deux femmes du pays le veillaient, secondées par Suzanne et Raymonde. En bas, sous l’œil attentif du garde champêtre, que l’on avait attaché à sa personne, le jeune Isidore Beautrelet sommeillait sur le banc de l’ancien oratoire. Dehors, les gendarmes, le fermier et une douzaine de paysans s’étaient postés parmi les ruines et le long des murs.
Jusqu’à onze heures, tout fut tranquille, mais à onze heures dix, un coup de feu retentit de l’autre côté du château.
– Attention, hurla le brigadier. Que deux hommes restent ici !… Fossier et Lecanu… Les autres au pas de course.
Tous, ils s’élancèrent et doublèrent le château par la gauche. Dans l’ombre, une silhouette s’esquiva. Puis, tout de suite, un second coup de feu les attira plus loin, presque aux limites de la ferme. Et soudain, comme ils arrivaient en troupe à la haie qui borde le verger, une flamme jaillit à droite de la maison réservée au fermier, et d’autres flammes aussitôt s’élevèrent en colonne épaisse. C’était une grange qui brûlait, bourrée de paille jusqu’à son faîte.
– Les coquins ! cria le brigadier Quevillon, c’est eux qui ont mis le feu. Sautons dessus, mes enfants. Ils ne peuvent pas être loin.
Mais la brise courbant les flammes vers le corps de logis, avant tout il fallut parer au danger. Ils s’y employèrent tous avec d’autant plus d’ardeur que M. de Gesvres, accouru sur le lieu du sinistre, les encouragea par la promesse d’une récompense. Quand on se fut rendu maître de l’incendie, il était deux heures du matin. Toute poursuite eût été vaine.
– Nous verrons cela au grand jour, dit le brigadier… pour sûr ils ont laissé des traces… on les retrouvera.
– Et je ne serai pas fâché, ajouta M. de Gesvres, de savoir la raison de cette attaque. Mettre le feu à des bottes de paille me paraît bien inutile.
– Venez avec moi, Monsieur le comte… la raison, je vais peut-être vous la dire.
Ensemble ils arrivaient aux ruines du cloître. Le brigadier appela :
– Lecanu ?… Fossier ?…
D’autres gendarmes cherchaient déjà leurs camarades laissés en faction. On finit par les découvrir à l’entrée de la petite porte. Ils étaient étendus à terre, ficelés, bâillonnés, un bandeau sur les yeux.
– Monsieur le comte, murmura le brigadier tandis qu’on les délivrait, nous avons été joués comme des enfants.
– En quoi ?
– Les coups de feu… l’attaque… l’incendie… tout cela des blagues pour nous attirer là-bas… Une diversion… Pendant ce temps, on ligotait nos deux hommes et l’affaire était faite.
– Quelle affaire ?
– L’e********t du blessé, parbleu !
– Allons donc, vous croyez ?
– Si je crois ! C’est la vérité certaine. Voilà bien dix minutes que l’idée m’en est venue. Mais je ne suis qu’un imbécile de ne pas y avoir pensé plus tôt. On les aurait tous pincés.
Quevillon frappa du pied dans un subit accès de rage.
– Mais où, sacrédié ? Par où sont-ils passés ? Par où l’ont-ils enlevé ? Et lui, le gredin, où se cachait-il ? Car enfin, quoi ! on a battu le terrain toute la journée, et un individu ne se cache pas dans une touffe d’herbe, surtout quand il est blessé. C’est de la magie, ces histoires-là !…
Le brigadier Quevillon n’était pas au bout de ses étonnements. À l’aube, quand on pénétra dans l’oratoire qui servait de cellule au jeune Beautrelet, on constata que le jeune Beautrelet avait disparu. Sur une chaise, courbé, dormait le garde champêtre. À côté de lui, il y avait une carafe et deux verres. Au fond de l’un de ces verres, on apercevait un peu de poudre blanche.
Après examen, il fut prouvé, d’abord que Beautrelet avait administré un narcotique au garde champêtre, qu’il n’avait pu s’échapper que par une fenêtre, située à deux mètres cinquante de hauteur – et enfin, détail charmant, qu’il n’avait pu atteindre cette fenêtre qu’en utilisant comme marchepied le dos de son gardien.