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Grandir et aimer quelqu'un qu'on ne devrait pas...

Elena n’a pas tout à fait quatorze ans, du moins officiellement. La vie s’étant chargée de la faire grandir au pas de course, c’est sans difficulté qu’elle se fond dans un groupe de jeunes adultes pendant les vacances d’été et qu’elle entame sa première histoire d’amour avec l’un d’eux.

Cette belle rencontre provoquera le tollé et l’incompréhension familiale. Elle marquera pour l’adolescente, le début d’une série de bouleversements psychologiques et de remises en question de sa propre identité.

Comment devenir une femme quand on est encore considérée comme une enfant ? A-t-on seulement le droit d’aimer ?

Laissez-vous bouleverser par cette histoire d'amour rendue difficile par la différence d'âge et les désapprobations familiales.

EXTRAIT

"« Il faut que je te dise un truc. » Nul… « Je t’ai menti. » Trop cash… « Maintenant qu’on se connaît mieux, on n’est plus à deux ou trois ans près, si ? »

Depuis cet après-midi pluvieux à l’atelier, je tiens ce genre de monologue intérieur au moins quatre fois par jour. Quand je le rejoins et quand je le quitte ; l’après-midi et le soir. À chaque fois, je me dis qu’il faut y aller et à chaque fois, je reporte. Après trois semaines, je commence à désespérer.

Le matin, c’est la première chose qui me vient à l’esprit. J’éprouve toujours une sorte de flottement désagréable au réveil en repensant au temps passé avec Tamao la veille et à mes occasions manquées. Surtout ces derniers jours, car nos affaires se corsent. Ma faute. Parfois la sienne. La faute à nos corps qui ne savent pas maintenir leurs distances, à ma curiosité, à sa douceur. À sa subtilité."

À PROPOS DE L'AUTEURE

Depuis l’enfance, Avril Clémence aime la lecture, l’écriture et les langues étrangères ; trois passions qui l’ont conduite à exercer le métier de traductrice. Curieuse par nature, sa plume s’aventure souvent dans des intrigues réalistes, au cœur de la société actuelle, ses mœurs et les équivoques qu’elles suscitent.

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1.
1. Quatre heures. Quatre heures de voyage et de silence. De paysages qui s’effacent un peu plus à chaque kilomètre parcouru. De taches colorées, toujours les mêmes, qui défilent devant mes yeux indifférents. Jaune colza. Vert maïs. Gris bitume. À gauche, l’ennui. À droite, la monotonie. Entre les deux, rien ; Louise et moi. Un duo mère-fille défiant les lois du calcul, où un et un ne s’additionnent pas. La voiture glisse sur l’asphalte et m’emporte inexorablement, tout droit vers… Où allons-nous, déjà ? Je ne sais même pas le nom de la commune. Me l’a-t-on dit ? Les informations m’ont été livrées au compte-gouttes, avec réticence, et d’une façon si peu détaillée qu’à ce stade j’imagine un toit posé sur quatre murs incolores, au beau milieu de nulle part. J’exagère : la propriété se trouve à proximité d’un village. Tout petit certes, et plutôt inerte compte tenu de la moyenne d’âge des habitants mais, dans ma situation, toutes les branches sont bonnes pour se raccrocher. Louise a grandi là. Jusqu’à ses dix-huit ans, du moins, car ensuite elle est partie pour Paris sans un regard en arrière. J’ignore pourquoi. Je ne crois pas qu’elle prévoyait de revenir un jour, mais en léguant à sa fille unique la bâtisse de son enfance, sa mère lui a offert une maison de vacances. Une friandise irrésistible pour ma génitrice, puisque ce genre de possession fait toujours son effet auprès des gens. Et de ça, Madame se soucie grandement. ⸺ On va s’arrêter pour manger. Elle balance ça sur un ton neutre, tout en empruntant la sortie vers une station-service. ⸺ Je m’occupe de l’essence, toi du déjeuner. Une chaleur étouffante me prend à la gorge et s’engouffre dans mes poumons dès que je quitte l’habitacle. La climatisation, c’est la vie ! pensé-je. La foule qui se presse devant les portes du bâtiment principal forme une boule compacte. Avec un soupir résigné, je me joins au flux des touristes et commence à piétiner vers l’entrée. Le rayon frais se situe à l’autre bout de la salle, il me faudra déployer des trésors d’adresse et de réactivité pour l’atteindre. Je zigzague entre les files d’attente, contourne les indécis, pile devant les presser, repars vers l’objet de ma convoitise. C’est plus une danse qu’une marche vers le déjeuner. Un grand ballet désordonné. Les joies des grands axes routiers, au premier jour des vacances d’été ! Tout en continuant de songer à notre destination, je fais mes courses. Deux bouteilles d’eau… Oh, et puis non, un Coca, pour moi. Le sucre aussi, c’est la vie ! … un sandwich – le premier qui passe – et une salade. La plus vierge possible, pour respecter le perpétuel régime de Madame. Gare à moi si je lui ramène un peu de fantaisie, comme… J’ose à peine y penser… des copeaux de parmesan ! Je vois la scène d’ici : la main sur le cœur, la grimace crispée. Désolée, gamine, le myocarde de ta maman n’a pas résisté. Hélas, les industriels tentent par tous les moyens de rendre leurs produits attrayants. On trouve de tout désormais, et ce qui pousse le commun des mortels à consommer de la feuille fait fuir ma mère, généralement. Tomates séchées – Ça baigne dans l’huile, non ? –, œufs durs – Des protéines ? Vous n’y pensez pas ! –, pâtes, et autres « détritus » tels que le thon qui donnent mauvaise haleine, toutes ces propositions sont rédhibitoires pour elle. Alors me voici, bouche tordue, sourcils froncés, à deux doigts d’aller cueillir de l’herbe… Finalement, ce que je cherche m’attend tout au bout du rayon : dans un coin, à l’écart, une salade déprime. Verte, striée de filaments orange. Je l’examine d’un peu plus près. Le moins qu’on puisse dire, c’est qu’ils y sont allés mollo sur la carotte… Parfait ! Je réintègre les rangs et me traîne avec les autres en direction de la caisse. Autant m’y habituer : traîner constituera ma principale activité pendant les deux mois à venir. Quand l’âge moyen de la population locale frise les quatre-vingts ans, c’est inévitable. Voilà toute l’étendue des informations lâchées par Madame au sujet des lieux de mon exil forcé. Ou tout ce que j’en retiens, si ça se trouve : à – presque – quatorze ans, la perspective de passer l’été en maison de repos n’a rien de réjouissant. Ça marque l’esprit, forcément. La personne qui me précède vire à droite et disparaît de mon champ de vision. Il me faut quelques secondes avant de réaliser que c’est mon tour. Le jeune caissier s’offre déjà une excursion mentale au cœur de mon soutien-gorge. La balade semble agréable, il prend son temps. Je devrais le gifler. Ou retourner ses présentoirs. Me curer le nez peut-être, histoire de le dégoûter. Quoi que je fasse, mon agression n’égalera pas la sienne, en tout cas. Je croise les bras en le fixant d’un regard noir, j’attends. L’absence de mouvement doit attirer son attention car il ne tarde pas à s’éjecter de sa chaise en piquant un fard. ⸺ Pardon, marmonne-t-il, si bas que je le lis sur ses lèvres plus que je ne l’entends. Le goujat s’active, annonce le tarif, tente un sourire poli. Je règle en faisant la gueule, et repars en silence. Assieds-toi sur ma politesse, connard ! La fournaise extérieure m’avale toute crue sitôt que je pousse la porte. Un balayage rapide des environs me permet de repérer ma génitrice installée à une table de l’aire de repos. Elle a pris soin d’étaler une serviette sur le banc pour ne pas risquer de tacher son précieux tailleur. Je soupire encore, lève les yeux au ciel. Un tailleur, sérieux ! S’apprêter de la sorte pour voyager relève du ridicule, selon moi. Pour elle, en revanche, c’est un impératif : avec Louise, il s’agit moins de bien se présenter que d’apparaître sous son meilleur jour en toutes circonstances. Et si elle tombait sur une connaissance ? Que penseraient les gens si elle négligeait sa tenue ? Ce à quoi elle ressemble en privé, ça la regarde. Le monde, lui, doit la percevoir comme une super-femme, une super-épouse, une super-maman, une super-tout. Quoi qu’il arrive. Alors, même pour faire sept heures de voiture, elle a scrupuleusement suivi sa routine ce matin, du choix méticuleux de ses fringues à l’indispensable lissage de sa jolie crinière blonde en passant par son maquillage léger, mais sophistiqué. Avec mon short en jean déjà porté une fois dans la semaine, mon débardeur anonyme et mes sandales sans artifices, je ne pouvais pas présenter de contraste plus net – sans parler de mes cheveux bruns rassemblés en chignon approximatif et fixés par une simple baguette. ⸺ Elena ! Louise m’adresse de grands signes. L’agacement se lit sur son visage et la faim lui fait tendre des mains avides vers la salade à mon approche. Tu m’étonnes ! Privé de pratiquement tout, son organisme doit attendre les heures de repas avec une impatience féroce ! Je m’installe de l’autre côté de la table, pas tout à fait face à elle, et nous entamons notre déjeuner en silence. Des rires éclatent sur ma gauche, où deux fillettes jouent. La plus jeune court en tous sens pour arracher un ballon aux pieds de sa sœur, tournicote autour d’elle, tente un ou deux tacles. Leurs cheveux roux flamboient dans leur sillage, on dirait deux petites comètes. La gosse finit par récupérer la balle, à grand renfort de bousculades. Ignorant les protestations de l’aînée, elle file à toute vitesse vers le gardien-papa qui l’attend plus loin, les jambes fléchies, les bras ouverts et le regard concentré. Peu avant d’atteindre son objectif, elle s’arrête, pose un pied confiant sur le ballon et dégage son visage des mèches trempées de sueur qui l’encombrent. ⸺ Je vais marquer, Papa, tu vas voir ! ⸺ Impossible, je suis trop fort pour toi. ⸺ Mais tu connais pas ma technique de tir secrète ! Le père rit. Moi aussi. Lassée de se sentir ignorée, la grande sœur repart en direction de la mère qui se tient assise sous un arbre. La gamine affiche une moue boudeuse et gesticule, tape du pied. Ses plaintes se perdent dans les bruits environnants. ⸺ Buuuuuut ! Je n’ai pas vu le tir. Dommage. Le père soulève sa fille dans les airs pour fêter l’exploit puis la hisse sur ses épaules. Ensemble, ils s’en vont retrouver la maman, qui les couve d’un regard affectueux, et la sœur, de plus en plus grognon. Enfant, je rêvais d’avoir un frère. Pour se disputer et se réconcilier, jouer à deux et chacun de son côté, se confier des secrets et s’ignorer. Tenir bon dans les moments difficiles. Depuis dix ans, c’est Fabian qui remplit ce rôle. Il valait mieux, en fin de compte. Que fait mon meilleur ami maintenant ? Lui et les autres doivent déjà être en Espagne, à cette heure-ci. J’aurais tant aimé partir avec eux ! Ces moments où la réalité me rattrape et me jette notre différence d’âge à la figure sont terribles, je les ressens comme une injustice. Pourtant, je sais que je ne peux pas tout faire comme mes potes : ils sont majeurs, eux, ou presque. Pas moi. Les souvenirs de notre dernière sortie avant le grand départ affluent. Je revois Fabian remplir sa valise et proposer de me cacher dedans. Alyssa me présenter le bon côté des choses, argumenter en faveur de cette maison de vacances qui ouvre des perspectives intéressantes pour l’avenir. ⸺ Une fois les travaux terminés, disait-elle, on pourra y aller tous ensemble. J’entends Fab m’expliquer que même les petits bleds doivent vivre avec leur époque et qu’il doit y avoir un camping dans les parages. Une connexion Internet… ⸺ … un peu de civilisation, quoi. Si ça se trouve, ta mère traîne des infos obsolètes et tu rencontreras plein de jeunes. ⸺ Peut-être aussi des mecs potables, a renchéri Alyssa. ⸺ Ouais, enfin, ne t’emballe pas trop. Les mecs ont des idées dégueulasses, tiens-toi loin d’eux. ⸺ Ce n’est pas parce que tu as des idées déplacées que c’est le cas de tout le monde ! ⸺ Fais-moi confiance, Lili. Tu ne veux pas savoir ce qu’on a dans la tête. Trop occupée à m’inquiéter de notre séparation à venir, je n’ai pas écouté la suite du débat. Avec un recul de vingt-quatre heures et vu le néant qui caractérise ma situation actuelle, je le regrette : j’aurais pu trouver dans son écho de quoi divaguer un certain temps. Un tête-à-tête avec Louise n’est pas la perspective la plus fun au monde et l’arrivée du Chef, dans une semaine, n’améliorera pas les choses… ⸺ Ce truc va tomber droit sur tes cuisses. ⸺ Mmmh ? Madame repousse l’emballage de mon sandwich du bout des doigts. Elle vient sûrement de remarquer la mention « mayonnaise ». ⸺ Ta bouffe de lapin me déprime, fais-je en haussant les épaules. ⸺ Si tu ne veux pas gonfler passée vingt ans, c’est pourtant ce qu’il faudra que tu manges. Bon sang ! Si c’est pour devenir aussi aigrie, j’aime autant bombarder mon corps de saloperies ! Je soupire. Changeons de sujet. ⸺ Combien d’heures de route encore ? ⸺ À peu près trois, répond-elle en soulevant les feuilles de salade avec le bout de sa fourchette. À sa manière de froncer le nez, je devine qu’elle juge mon choix exagérément sobre, en fin de compte. ⸺ On va s’y mettre tout de suite. Ton père voudrait que tout soit prêt à son arrivée, nous y verrons plus clair pour les travaux. ⸺ Qu’est-ce qu’on doit faire ? ⸺ Il faut virer toutes les vieilleries qui traînent. On essaiera aussi de démonter les meubles pour s’en débarrasser. Ils sont peu nombreux, mais assez massifs. Le reste de ses commentaires s’évanouit quelque part entre sa bouche et mes oreilles. Je ne l’écoute déjà plus. Sa façon de parler de cette maison et de son contenu me sidère : elle la réduit à l’état de murs anonymes, et ses anciens propriétaires à celui d’étrangers. Si je peux concevoir qu’on n’attache pas une grande importance aux choses matérielles, je n’arrive pas à croire qu’elle ait pu détester ses parents et son enfance au point de les piétiner de la sorte. Tout ne peut pas être bon à jeter, si ? Même moi, je ne pense pas que je lui réserverais pareil traitement si je la perdais demain. Et pourtant, nos relations ne sont pas harmonieuses ! Mon mutisme finit par avoir raison de ses explications, ou peut-être n’a-t-elle plus rien à dire. Le silence reprend bientôt sa place naturelle entre nous et s’installe jusqu’à la fin du déjeuner. Nous nous remettons en route d’un accord tacite. Louise ne s’est pas encore engagée sur la quatre-voies que je sombre dans le sommeil. *** La voiture s’arrête brusquement. Dans mon rêve, le sol s’incline et je bascule vers l’avant. La sensation de chute me réveille en sursaut. Du coin de l’œil, je perçois des mouvements sur ma gauche. Une forme allongée apparaît soudain devant mon nez et je l’attrape par réflexe ; ce n’est qu’une fois entre mes doigts que je l’identifie comme une clef. ⸺ Va ouvrir, ordonne Louise d’une voix lasse. La Mercedes attend, moteur ronronnant, devant un grand portail en fer forgé. Je m’extirpe de l’habitacle en me frottant les paupières pour chasser les dernières traces de fatigue, tourne autour du verrou sans réussir à introduire la clef. Madame s’impatiente déjà. J’essaie de recouvrer mes esprits en me secouant un peu, écarte enfin les portes puis me range sur le côté afin de laisser passer Sa Majesté et son carrosse. Fin du voyage. Un soupir m’échappe alors que je referme et que mon regard s’égare vers l’horizon. Compte à rebours lancé : retour à la civilisation dans cinquante-huit jours. Voyons un peu la prison… Mon corps se tourne lentement et je garde les cils baissés sur le sol le plus longtemps possible avant de regarder, comme si retarder l’échéance pouvait adoucir le verdict. Quand enfin je me décide, pourtant, ce que je découvre n’est pas si terrible. Pas du tout, même ! La bâtisse n’a rien de l’assemblage de briques insipide que j’avais imaginé. C’est une grande longère en pierres avec des volets bleu azur, dont la façade principale est traversée par une vigne vierge qui zigzague ici et là. Un jardin spacieux l’entoure, où se mêlent des effluves de lavande, un peu discrets, et de jasmin, plus prononcés. Deux buissons de roses orangées s’épanouissent de part et d’autre de la grille et un troisième, rouge celui-là, énorme, trône à côté d’une balancelle quelque peu rongée par l’air marin. Ma mauvaise humeur s’évanouit, chassée par une brise légère qui joue avec les mèches échappées de mon chignon. Des bruissements semblables à des murmures se propagent de loin en loin parmi les feuilles des arbres. Dans un rayon de soleil qui filtre entre les branches d’un noisetier, deux papillons colorés virevoltent. Ils s’attardent un moment dans la lumière dorée, tournoient, se pourchassent. Cette vision achève de me séduire. Je pivote vers Louise, prête à lui reprocher de m’avoir laissée envisager le pire, et me coupe dans mon élan. Debout entre la portière et l’habitacle, un pied encore à l’intérieur, elle fixe la maison de son enfance du regard. Je guette une trace d’émotion sur son visage, mais celui-ci demeure parfaitement neutre. Rien ne transparaît, rien ne trahit la moindre de ses pensées. Ses mouvements sont aussi maîtrisés que d’habitude lorsqu’elle s’anime à nouveau. Ses jambes l’entraînent avec assurance vers la porte tandis que ses mains fouillent dans son sac. Elle ne tremble pas en glissant la clef dans la serrure, n’hésite pas sur le seuil avant d’entrer. Elle disparaît à l’intérieur le temps d’atteindre les fenêtres, refait surface en écartant les volets, s’éclipse encore, et son visage n’affiche toujours rien. Que peut-elle bien penser ? Qu’est-ce que ça lui fait de revenir ? De retrouver cette propriété, ce village, ce pan de sa vie qu’elle a fui si jeune ? Je m’attarde un peu dans le jardin, fais le tour de la clôture, m’arrêtant ici pour humer le parfum d’une fleur, là pour en admirer les couleurs. L’exil me semble bien plus supportable à présent. Une fraîcheur agréable m’accueille à l’intérieur de la maison. Le soleil pénètre par les fenêtres tout juste ouvertes en dessinant sur le sol de grands rectangles blancs qui tranchent avec l’obscurité ambiante. Madame ne s’accorde aucun répit et multiplie les allers-retours pour décharger la voiture, accompagnée par le cliquetis régulier de ses talons sur le carrelage. J’attends que mes yeux s’acclimatent avant d’aller à la rencontre de ces lieux qui m’intimident. Peu à peu, les silhouettes se précisent, deviennent meubles, luminaires, babioles. Les murs de pierre brute se dévoilent, les dalles sous mes pieds se parent de motifs discrets. Je découvre une grande pièce à vivre comportant un imposant buffet, deux fauteuils, une bibliothèque, une table basse. Une cuisine carrelée de beige et arborant des coupes de fruits, avec des placards en bois sombre et des chaises à l’assise en osier tressé. Une salle d’eau peinte en vieux rose – une nuance que Louise s’empressera de faire disparaître, à n’en pas douter – et quatre chambres. La plus grande comprend un large lit à baldaquin, un fauteuil à bascule, une coiffeuse et une immense armoire. D’épais rideaux en velours encadrent les fenêtres et de nombreuses aquarelles ornent les murs. Je ressens une pointe de tristesse en déambulant dans ces pièces qui me dévoilent un peu de la vie de ces aïeux inconnus. Le cliquetis des talons ralentit. Je perçois le bruit de valises posées à terre, de la porte d’entrée qui se referme. De retour dans le salon, je m’approche d’une commode où trônent plusieurs photographies. L’une d’elles attire tout de suite mon attention. Mes parents ne tiennent pas d’album de famille et jugent le concept de portrait désuet. Pourtant, même sans avoir jamais vu mes grands-parents maternels, un regard me suffit pour établir la filiation : la femme courte sur pattes, aux yeux marron et cheveux raides, qui sourit sur ce cliché est une version plus âgée de ma mère, à ceci près que Louise ne tolérerait pas son embonpoint sur elle-même. À ses côtés se tient un homme ventripotent qui rit à gorge déployée, une main posée sur son épaule. Il la dépasse d’une tête au moins. Je les trouve beaux et me promets aussitôt de sauver cette photo si Sa Majesté décide, comme je le soupçonne, de tout jeter. ⸺ Bien, soupire Madame en me rejoignant, prends ça. Là-dessus, elle me colle une parure de lit et un oreiller entre les bras. ⸺ Choisis tes quartiers et portes-y tes affaires. Quand tu seras installée, tu m’aideras à vider les placards. Je vais chercher des sacs poubelle. Quel monstre ! Je prends soin d’opter pour la chambre la plus éloignée des autres, dans l’idée tout à fait illusoire de m’isoler autant que possible de ma mère et, dès la semaine prochaine, de mon père. Elle ne comporte qu’un lit deux places en bois massif, une armoire et une bibliothèque peu remplie. Je trouve le papier peint fleuri qui orne les murs assez repoussants mais, pour le reste, elle ne me déplaît pas. Je dispose même de ma propre salle de bain ! Sa fenêtre s’ouvre sur la partie arrière du jardin. Un petit portail bleu marine se dévoile dans le fond. Je fais mon lit, range mes vêtements, constate avec effroi que la couverture réseau est quasiment inexistante et décide d’abandonner mon téléphone dans un coin. Je devrais réussir à m’occuper avec les livres éparpillés dans la bibliothèque. ⸺ Elena, viens m’aider ! Avec un grognement, j’obéis. Déjà à l’œuvre dans la grande chambre, ma génitrice renverse le contenu des tiroirs dans un sac poubelle. Elle me désigne aussitôt l’armoire ; un geste silencieux et non équivoque qui traduit une invitation à la rejoindre dans son expédition punitive. ⸺ Tu viens de te taper sept heures de voiture, grommelé-je. Ça ne pouvait pas attendre demain ? Ou au moins le temps de prendre un café ? ⸺ Je préfère commencer tant qu’il me reste assez d’énergie. Nous avons beaucoup de travail, tu sais. ⸺ Une heure ou deux, ça ne va pas changer grand-chose, si ? N’obtenant pas de réponse, je la regarde jeter tout ce qui lui passe sous la main. Je me demande si le couple de la photo avait prévu ça au moment d’établir son testament. ⸺ Tu ne veux vraiment rien garder ? ⸺ Non. Tu vires tout sans exception, rétorque Louise. Devant ma mine déconfite, elle ajoute : ⸺ Inutile de s’encombrer, Elena. Tout ce bric-à-brac ne me sert à rien. ⸺ Je ne comprends pas comment tu peux faire ça. C’est la vie de tes parents que tu jettes. ⸺ Et qu’est-ce que ça peut bien te faire, à toi ? Tu les connaissais ? ⸺ Non. ⸺ Voilà. Alors au boulot. Je capitule sur ce point. ⸺ Tu m’avais parlé d’une plage dans le coin, non ? ⸺ Oui. ⸺ Elle est loin ? ⸺ Cinq minutes à pieds. Tu passes par le portail de derrière et tu suis la route qui part à droite. La pente pour y accéder est assez raide, je te préviens. ⸺ Elle est fréquentée ? L’espoir fait vivre, il paraît. ⸺ Non. À l’époque où j’habitais encore ici, les gens commençaient déjà à déserter pour se rapprocher de la ville et des commerces, ça n’a pas dû s’arranger depuis. C’est un tout petit village, il n’y a même pas d’école. À terme, il disparaîtra sûrement. Ne te fais pas d’illusions, en tout cas : tu ne trouveras personne de ton âge. J’envisage de chercher un arbre auquel me pendre dès que j’aurai une minute.

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