IX

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IX Donc, au moment qu’Iris était le plus résignée à ne jamais revoir le lord irlandais, et à l’oublier, il s’offrit inopinément à sa vue, réveillant les premiers souvenirs de leur amour et de leurs aveux mutuels. La crainte de se trahir, l’intérêt que lui inspirait lord Harry la retenaient dissimulée derrière le rideau. « Tout va bien à Rathco ? demanda le survenant en faisant allusion à sir Arthur. – Parfaitement, milord : M. Montjoie nous quittera demain. – Compte-t-il revenir à la ferme ? – Oui, malheureusement. – Savez-vous s’il a fixé le jour de son départ pour son voyage ? – Oui, milord, répondit Miles en fouillant avec ardeur les profondeurs de ses poches. Il a écrit un billet à M me Lewson pour l’en informer et m’a recommandé de le lui remettre en allant au village. » Mais, que diable ! cet homme allait-il faire à cette heure nocturne ? Chercher en hâte un médicament pour l’un des chevaux malades de son maître ? Tout en parlant, il finit par retrouver la petite note de sir Arthur. Iris vit Miles passer à lord Harry la lettre destinée à M me Lewson. Celui-ci riposta d’un ton plaisant : « Ah ! çà, croyez-vous que j’aie le don de lire à tâtons ? » Sur ce, Miles détache de sa ceinture, une petite lanterne sourde. « Quand il fait nuit noire, certaines parties de la route sont loin d’offrir de la sécurité », fit-il observer en soulevant l’abat-jour à charnière de la lanterne. Alors le sauvage lord prend la lettre, l’ouvre et la parcourt sans se presser : « Ma bonne vieille, attendez-moi demain à dîner à trois heures. Bien à vous. » Après une courte pause, lord Arthur reprit : « Y a-t-il des étrangers à Rathco, Harry ? – Oui, deux ouvriers qui travaillent au jardin. » Un nouveau silence suivit ce court dialogue. Puis, lord Harry murmure ces mots : « Comment puis-je le protéger ? » Évidemment, il soupçonnait les deux inconnus (des espions sans doute) d’avoir déjà fait savoir à leurs affiliés l’heure à laquelle partirait Arthur Montjoie. Enfin, Miles se hasarde à dire : « J’espère, toutefois, milord, que vous ne m’en voulez pas ? – En voilà une bêtise ! Voyons, me suis-je jamais fâché contre vous, au temps où j’étais assez riche pour vous avoir à mon service ? – Ah ! milord, vous étiez le meilleur des maîtres, s’écria Miles avec conviction, aussi ne puis-je me résigner à vous voir exposer votre précieuse vie comme vous le faites. – Ma précieuse vie ? répéta lord Harry d’un ton désinvolte ; c’est à celle de M. Montjoie que vous pensez en parlant ainsi. Il mérite assurément d’être sauvé, nous verrons bien. Mais quant à moi !… » Sur ce, il se mit à siffloter, comme le seul moyen d’exprimer le peu de cas qu’il faisait de sa propre existence. « Milord, milord ! reprit Miles avec obstination. Les Invincibles n’ont plus autant confiance en vous. Si l’un d’eux vous apercevait rôdant autour de la ferme de M. Montjoie, il vous tirerait un coup de fusil à bout portant, quitte à se demander après ça, s’il a eu tort ou raison de vous envoyer ad patres. » Après avoir héroïquement sauvé lord Harry du guet-apens de la borne milliaire, apprendre que votre vie ne tient plus qu’à un fil, était une épreuve au-dessus des forces d’Iris. Une fois de plus l’amour l’emporta sur la prudence. Donc, un instant encore et miss Henley eût joint ses instances à celles de Miles, si lord Harry ne l’en eût inopinément empêchée, en usant d’un procédé auquel elle était loin de s’attendre. « Éclairez-moi, dit-il, et je vais écrire un mot à M. Montjoie. » Il déchire alors la feuille blanche du billet adressé à M me Lewson, et trace à la hâte les lignes suivantes : « Je vous exhorte à changer l’heure fixée pour votre départ de Rathco, et à ne communiquer à âme qui vive vos nouveaux plans. Ayez soin de seller vous-même votre cheval. » (Comme de juste, les mots étaient tracés d’une écriture déguisée.) « Remettez ce billet à Montjoie en personne ; s’il demande le nom de celui qui l’a écrit, n’hésitez pas à répondre que vous l’ignorez ; d’autre part, si le destinataire s’avise que l’enveloppe a été ouverte et veut savoir par qui, mentez encore. Bonsoir, Miles, et surtout pas d’imprudence sur la route. » Le groom referme précipitamment la lanterne et Miles s’empresse alors de se servir du manche de son fouet, pour frapper à la porte : « Une lettre de M. Arthur », s’écria-t-il. M me Lewson prend la missive, l’examine à la lueur d’une chandelle, puis, montrant au porteur l’enveloppe déchirée, elle dit : « Quelqu’un l’a déjà lue, ça se voit, mais qui ça ? » Fidèle à la consigne qu’il vient de recevoir, Miles répond : « Je l’ignore. » Sur ce, il pique des deux et décampe. Avant même que la porte fût refermée, Iris descend l’escalier, si bien que M me Lewson s’empresse de lui exhiber la lettre d’Arthur, et de dire : « J’ai le plus grand désir de répondre à cette lettre et d’inviter M. Arthur Montjoie à se garer des hommes armés jusqu’aux dents ; ils pourraient lui jouer un mauvais tour sur la route ; mais la difficulté, c’est de me faire comprendre. Ah ! que vous seriez bonne de me venir en aide. » Iris accéda volontiers à ce désir : une lettre de cette femme au cœur chaud, tendre et dévoué, ne pouvait que consolider l’effet produit par la lettre de lord Harry à Arthur. Il fallait inférer de la sienne, qu’il serait de retour à trois heures. De plus, la question adressée au groom par lord Harry : « Y a-t-il des étrangers à Rathco ? » et sa réponse : « Oui, deux ouvriers qui travaillent au jardin », se présentèrent instantanément à l’esprit d’Iris. Elle en conclut, comme lord Harry, que le mieux était de conseiller à M me Lewson d’écrire à Arthur Montjoie, en le conjurant de changer l’heure de son départ, sans en rien laisser transpirer, bien entendu, et de quitter Rathco à la muette. M me Lewson approuva en tout point le plan proposé par Iris et sans perdre de temps, elle va s’enfermer dans le parloir, afin d’y griffonner la missive en question. Elle pria même miss Henley d’attendre, pour remonter chez elle, que la lettre fût terminée. Le fond de la pensée de la brave dame, c’était qu’Iris pût prendre connaissance de l’épître, avant qu’elle fût adressée au destinataire. Restée seule dans le hall, Iris, la porte ouverte devant elle, les yeux levés vers le ciel, songeait. La vie des deux êtres qui lui inspiraient le plus vif intérêt, quoique à des titres très différents, était également menacée. Pour l’instant, celui qui courait les dangers les plus réels, c’était lord Harry, ce réprouvé, cet insurgé, ce révolté, dont le passé ne pouvait être facilement percé à jour, mais, disons-le à sa décharge, qui était prêt à risquer sa vie pour sauver celle de son ami. Au cas où lord Harry voudrait courir les champs à l’aventure, en ce voisinage dangereux de la ferme, sans soucis des assassins qui pouvaient être postés derrière les haies, Iris, seule, se targuait de posséder assez d’influence sur lui pour le décider à fuir ces parages, très loin ! Lorsqu’elle était venue rejoindre M me Lewson dans le hall, c’était la réflexion à laquelle elle s’était livrée. L’instant d’après, sa résolution étant prise, elle sortit déterminée à mettre son plan à exécution. Iris commença par faire le tour des bâtiments, poussant à travers l’obscurité, tantôt une pointe par-ci, tantôt une pointe par-là, tantôt enfin balbutiant le nom de lord Harry. Pas une créature vivante ne parut ; aucun bruit de pas ne troubla le calme de la nuit. Évidemment, lord Harry s’était éloigné de ces lieux redoutables. Ce fait inespéré mit au cœur de la jeune fille une douce sécurité et une grande joie ! Tout en regagnant la maison, elle se représenta, chemin faisant, combien l’acte généreux qu’elle venait d’accomplir était téméraire et insensé ! Ah ! si lord Harry et elle s’étaient rencontrés, aurait-elle eu la force de nier le tendre intérêt qu’il lui inspirait ? N’aurait-il donc pu inférer de sa conduite, qu’elle lui avait pardonné ses erreurs, ses égarements, ses vices, et qu’il était d’ores et déjà autorisé à lui rappeler leurs engagements et à demander sa main ? Elle tremblait en songeant aux concessions qu’il eût pu lui arracher ! En résumé, si le hasard les eût rapprochés, sa responsabilité n’y eût eu aucune part. Iris était rentrée à la ferme, et même elle avait eu le temps de relire sa lettre à Arthur, quand l’horloge sonna l’heure d’aller se coucher ; mais, cette nuit-là, M me Lewson et miss Henley dormirent mal. Le lendemain de grand matin, l’on chargea l’un des deux journaliers restés fidèles à M. Montjoie, d’aller à cheval porter la lettre de M me Lewson et d’attendre la réponse. Y compris le temps nécessaire pour faire reposer sa bête, on calcula que cet homme serait de retour avant midi.
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