35. SEMENCES DE L’AVENIR (1re SEMENCE)-3

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– Vous avez encore cinq minutes. – Montrez-moi votre course. Je meurs d’envie de voir cela, dit l’impatiente veuve, en pesant des deux mains sur le bras de Geoffrey. Geoffrey la fit reculer jusqu’à une place marquée par un jeune arbre, auquel était attaché un drapeau, à une faible distance du cottage. Elle glissait à côté de lui avec une molle ondulation de mouvement qui paraissait exaspérer Perry. Il attendit qu’elle fût hors de la portée de sa voix. Alors il appela les foudres du ciel sur la tête de la fashionable Mrs Glenarm. – Mettez-vous là, dit Geoffrey, en la plaçant près du petit arbre. Quand je passerai devant vous… ce sera, comme si j’étais un cheval, au grand galop. Ne m’interrompez pas, je n’ai pas fini. Vous devez me regarder, quand je vous quitterai, à l’endroit où le coin du mur de clôture du cottage coupe la ligne des arbres. Quand vous ne m’apercevrez plus derrière le mur, vous m’aurez vu courir la longueur de 3 miles, à partir de ce drapeau. Vous avez de la chance ! Perry m’essaie dans un long sprint, aujourd’hui. Vous comprenez bien… vous devez rester ici. Très bien ! Maintenant, permettez-moi de vous quitter et d’aller revêtir mon costume. – Ne vous reverrai-je pas encore, Geoffrey ? – Je viens de vous dire que vous me verrez courir. – Oui, mais après ? – Après, on m’épongera, on me frictionnera, et je me reposerai dans le cottage. – Mais, nous vous verrons ce soir ? Il fit de la tête un signe affirmatif et la quitta. Le visage de Perry avait une indicible expression quand Geoffrey et lui se rencontrèrent à la porte du cottage. – J’ai une question à vous poser, Mr Delamayn, dit l’entraîneur. Avez-vous besoin de moi, oui ou non ? – Comme de raison, j’ai besoin de vous. – Que vous ai-je dit, quand je suis venu ici ? continua Perry d’un ton sévère. Je vous ai dit… que je voulais que personne ne vît un homme que j’entraînais. Ces dames et ces messieurs qui sont ici ont mis dans leur tête de vous voir. Moi, j’ai mis dans ma tête de n’avoir pas de spectateurs. Je veux que votre travail ne soit contrôlé que par moi. Je n’entends pas que chaque bienheureux yard que vous parcourez soit noté dans les journaux. Pas une âme ne doit savoir ce que vous pouvez faire et ce que vous ne pouvez pas faire. Vous ai-je dit cela, Mr Delamayn, ou ne vous l’ai-je pas dit ? – Très bien ! – L’ai-je dit ou ne l’ai-je pas dit ? – Vous l’avez dit. – Alors, n’amenez plus de femme ici. C’est manifestement contraire à nos conventions, je ne veux pas de cela. Toute autre créature vivante, le prenant sur un semblable ton, aurait eu probablement à s’en repentir. Mais Geoffrey avait peur de montrer son caractère en présence de Perry. Le premier entre tous les entraîneurs anglais n’était pas un personnage que pût traiter légèrement même le premier athlète de l’Angleterre. – Elle ne reviendra plus, dit Geoffrey, elle quitte les Cygnes dans deux jours. – J’ai mis tout ce que je possède, jusqu’au dernier shilling, sur vous, poursuivit Perry d’un ton plus doux. Cela me brise le cœur, quand je vous vois arriver avec une femme sur vos talons. C’est une trahison envers ceux qui vous soutiennent. Oui, monsieur, c’est une trahison envers ceux qui parient pour vous. – Ne parlons plus de cela, dit Geoffrey, et venez m’aider à vous gagner votre argent. Il ouvrit la porte du cottage d’un coup de poing, et l’athlète et l’entraîneur disparurent. Après une attente de quelques minutes, Mrs Glenarm vit les deux hommes s’avancer vers elle. Vêtu d’un costume collant, léger, élastique, s’adaptant à tous les mouvements et répondant aux exigences de l’exercice auquel il allait se livrer, les avantages physiques de Geoffrey s’offraient sous leur aspect le plus beau. Sa tête était bien posée sur son cou d’une blancheur éclatante, sa puissante poitrine aspirait l’air embaumé de l’été, et ses jambes musculeuses, d’une admirable forme, étaient le triomphe même de la beauté mâle, dans son type le plus parfait. Mrs Glenarm le dévorait des yeux dans une muette admiration. Elle croyait voir un demi-dieu de la fable, une statue antique animée, avec la couleur et la vie. – Oh ! Geoffrey !… s’écria-t-elle tout bas quand il arriva près elle. Il ne lui répondit ni ne la regarda ; il avait bien autre chose à faire que d’écouter de niaises fadeurs. Il se rassemblait pour l’effort qu’il avait à accomplir, ses lèvres étaient serrées, ses poings légèrement contractés. Perry le mit à sa place, en silence, le visage sévère, la montre à la main. Geoffrey fit quelques pas au-delà du drapeau pour se donner plus d’élan. Il voulait avoir atteint la plus grande vitesse de sa course quand il passerait devant la veuve. – Partez ! dit Perry. Un instant après, il passait devant Mrs Glenarm comme une flèche lancée par une arbalète. Son action était parfaite. Son allure, à ce haut degré de vitesse, conservait des éléments constitutifs de force et de fermeté. Il courait et devenait plus petit pour les yeux qui le suivaient, toujours franchissant l’espace avec légèreté, toujours gardant la ligne droite. Un moment encore, et le beau coureur s’évanouit derrière le mur du cottage. La montre de l’entraîneur alla reprendre sa place dans son gousset. Dans son impatience de savoir le résultat de cette course, Mrs Glenarm oublia sa jalousie contre Perry. – Combien a-t-il mis de temps ? demanda-t-elle. – Bien d’autres que vous seraient heureux de le savoir, riposta Perry. – Mr Delamayn me le dira, homme grossier ! – Cela dépend de la question de savoir si je le lui dirai à lui-même. Sur cette réponse, Perry se hâta de rentrer au cottage. Pas un mot ne fut échangé pendant que l’entraîneur donnait ses soins à son homme et pendant que l’homme reprenait son haleine. Quand Geoffrey fut bien et dûment frictionné et qu’il eut repris ses vêtements habituels, Perry avança un fauteuil. Geoffrey y tomba plutôt qu’il ne s’y assit. Perry fit un soubresaut et le regarda attentivement. – Eh bien, dit Geoffrey, et la question de temps : long, court, ou moyen ? – Très bon temps, dit Perry. – Combien ? – Quand m’avez-vous dit que partait cette dame, Mr Delamayn ? – Dans deux jours. – Très bien, monsieur. Je vous dirai combien vous avez mis de temps quand la dame sera partie. Geoffrey n’insista pas pour obtenir une réponse immédiate. Il sourit. Après un intervalle de moins de dix minutes, il étendit ses jambes, et ses yeux se fermèrent. – Vous allez dormir ? dit Perry. Geoffrey rouvrit les yeux avec effort. – Non, dit-il. À peine le mot était-il sorti de ses lèvres que ses yeux se fermèrent de nouveau. – Holà ! dit Perry en l’observant. Je n’aime pas cela. Il se rapprocha du fauteuil. Il n’y avait pas de doute possible, l’homme était endormi. Perry sifflota entre ses dents, se baissa et posa doucement deux doigts sur le pouls de Geoffrey. Les battements étaient lents, lourds, pénibles ; c’était évidemment le pouls d’un homme épuisé. L’entraîneur changea de couleur et fit un tour dans la chambre. Il ouvrit une armoire et y prit son journal de l’année précédente. Les notes relatives à la dernière préparation à laquelle il avait soumis Geoffrey pour une course à pied entraient dans les plus grands détails. Il se reporta à la première épreuve d’une course de 300 yards à toute vitesse. Quant au temps, il s’en fallait de quelques secondes que cette épreuve eût été aussi bonne que cette fois. Mais les résultats ultérieurs étaient bien différents. Perry avait alors écrit de sa main : « Pouls bon. L’homme en parfaite disposition. Prêt, si j’avais voulu le lui permettre, à courir une seconde fois. » Perry regarda le même homme, épuisé au bout d’un an et profondément endormi dans ce fauteuil. Il prit dans l’armoire une plume, de l’encre et du papier, et écrivit deux lettres. Toutes deux portaient la mention : Particulière. La première était pour un médecin jouissant d’une grande autorité parmi les entraîneurs. La seconde était pour son agent à Londres. Cette seconde lettre recommandait à l’agent le plus strict secret et contenait pour instruction de parier contre Geoffrey pour une somme égale à celle qu’il avait pariée pour lui. « Si vous avez mis personnellement de l’argent sur lui, disait la lettre en concluant, faites ce que je fais, couvrez-vous et retenez votre langue. » « Encore un d’usé, dit l’entraîneur en se retournant une dernière fois pour regarder l’homme endormi. Il perdra la course ! »
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